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Par Marie-Pier Forest, professeure en didactique des mathématiques à l’Université du Québec à Trois-Rivières

Il se dégage désormais un consensus selon lequel une approche d’enseignement par la résolution de problèmes est à privilégier en classe de mathématiques (Vlassis et al., 2014). En effet, plusieurs recherches ont été menées sur le sujet : par exemple, celle de DeCaro et Rittle-Johnson (2012) souligne que l’exploration de problèmes mathématiques avant l’enseignement d’un concept améliore significativement la compréhension conceptuelle des élèves par rapport à une séquence plus traditionnelle, dans laquelle les problèmes sont proposés après l’enseignement. Dans l’étude de Voyer et al. (2018), même les élèves les plus en difficulté ont amélioré de manière significative leur compréhension conceptuelle à la suite d’une intervention mettant à profit une approche d’enseignement par la résolution de problèmes.

Un enseignement des mathématiques par la résolution de problèmes implique « toute situation où les élèves, confrontés à certaines informations extrinsèques (celles qu’on leur fournit) et intrinsèques (celles qu’ils possèdent déjà), tentent de répondre à une question ou d’accomplir une tâche nécessitant obligatoirement une recherche de solutions non évidentes de prime abord » (MEO, 2006, p. 4). On vise ainsi la construction de nouvelles connaissances mathématiques – concepts, processus, procédures, notions, savoirs, etc. – grâce à la résolution d’un problème et ce, peu importe le champ mathématique. La résolution de problèmes devient ainsi une modalité pédagogique permettant d’enseigner et d’apprendre les mathématiques en leur donnant du sens (Van de Walle et Lovin, 2007).

Une telle approche d’enseignement est également soutenue par plusieurs documents ministériels canadiens, notamment celui du Ministère de l’Éducation de l’Ontario (MEO, 2006). On y aborde un enseignement par la résolution de problèmes « dont l’un des principaux buts est d’explorer, de développer et de démontrer la compréhension d’un concept mathématique » (p. 7). Ce moyen d’apprendre les mathématiques devrait donc être exploité comme point de départ d’une séquence d’apprentissage et non seulement comme point d’arrivée, comme cela a longtemps été perçu (MEO, 2006, p. 3). Plus récemment, le programme-cadre de mathématiques (MEO, 2020) reconnait également qu’au moyen de la résolution de problèmes, « les élèves bénéficient de nombreuses possibilités d’établir des liens avec des idées mathématiques et de développer leur compréhension conceptuelle » (p. 87). La résolution de problèmes devrait donc être le pilier de l’enseignement des mathématiques, car elle offre à tous les élèves la possibilité de devenir compétents dans cette discipline (Van de Walle et al., 2013). En permettant une réelle exploration mathématique, elle permet par ailleurs de rapprocher l’activité faite par l’élève en classe de celle faite par le mathématicien.

Maintenant que nous savons qu’une telle approche devrait être mise en œuvre en mathématiques, comment s’y prend-on concrètement? Le Ministère de l’Éducation de l’Ontario (2006) propose une approche en trois temps : avant l’apprentissage (mise en train), pendant l’apprentissage (exploration) et après l’apprentissage (objectivation/échange mathématique). Cette approche est en adéquation avec les étapes pour enseigner les mathématiques par la résolution de problèmes proposés par d’autres chercheurs (Alwarsh, 2018; Van de Walle et al., 2013) et par d’autres ministères canadiens, comme celui du Québec (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement Supérieur, 2019). Dans les prochaines lignes, les trois temps sont expliqués. Pour en avoir des exemples concrets, il est possible de consulter les deux scénarios proposés par le MEO (2006) : le premier s’adresse aux élèves de la première à la troisième année (à partir de la page 15) et le deuxième s’adresse aux élèves de la quatrième à la sixième année (à partir de la page 26).

Avant l’apprentissage (mise en train)

Dans ce premier temps de la situation d’apprentissage, la personne enseignante présente aux élèves le problème mathématique qui leur permettra d’explorer un nouveau concept. Elle aide les élèves à positionner ce nouveau problème par rapport à leurs connaissances antérieures et à leurs expériences de résolution de problèmes. La personne enseignante s’assure également de la compréhension du problème par les élèves et elle donne des directives claires : il ne s’agit pas d’expliquer comment résoudre le problème, mais plutôt de s’assurer que la tâche à accomplir est comprise par les élèves. Le choix d’un bon problème est particulièrement important : la situation doit permettre à tous les élèves de connaitre un certain succès, même ceux qui éprouvent des difficultés en mathématiques. Comme un bon problème se prête à l’utilisation d’une variété de stratégies et de démarches, tous les élèves peuvent ainsi s’y engager.

Toujours dans ce premier temps de mise en train, il est essentiel que la personne enseignante ne fournisse pas trop d'informations spécifiques au problème afin de ne pas minimiser le défi (le problème doit demeurer un véritable problème), mais elle doit s'assurer que les élèves sont suffisamment motivés pour s’engager dans une tentative de résolution. Soulignons que les actions de ce premier temps n’ont pas à être réalisées dans un ordre spécifique. Par exemple, dans certains cas, une courte activité peut permettre d’activer les connaissances antérieures des élèves sur le problème, puis la personne enseignante présente le problème et clarifie ses attentes. Dans d’autres cas, il est possible de commencer par le problème en s’assurant de sa compréhension, puis les élèves auront à réfléchir à leurs connaissances antérieures et à leurs expériences similaires de résolution de problèmes.

Pendant l’apprentissage (exploration)

Dans ce deuxième temps de la situation d’apprentissage, les élèves tentent de résoudre le problème individuellement, avec un partenaire ou en petits groupes. Pendant ce temps, la personne enseignante circule dans la classe, observe les élèves et les encourage à se concentrer sur la tâche. Elle facilite l’apprentissage en questionnant les élèves afin de guider ou de rediriger leur exploration. Elle donne de l’aide à ceux et celles qui en ont besoin en posant des questions qui incitent à la réflexion, mais sans laisser entendre qu’elle « détient la bonne réponse ». Le MEO (2020) nous rappelle que la tentation de fournir la solution peut être très forte, mais qu’il faut absolument y résister. La personne enseignante peut aussi proposer des prolongements pour les élèves qui terminent rapidement afin que ces derniers puissent poursuivre leur réflexion mathématique.

Après l’apprentissage (objectivation/échange mathématique)

Ce troisième temps de la situation d’apprentissage commence lorsque les élèves ont suffisamment progressé dans la résolution du problème. Pendant une discussion de groupe, la personne enseignante agit à titre de guide : elle encourage les élèves à discuter et à remettre en question leurs solutions et leurs stratégies de résolution tout en les écoutant activement, mais sans les évaluer. En effet, ce sont les élèves eux-mêmes qui évaluent leurs stratégies et leurs solutions. La personne enseignante peut résumer les idées principales et les connaissances mathématiques utilisées tout au long de l'activité de résolution de problèmes. Van de Walle et al. (2013) souligne qu’il est difficile, mais essentiel de prévoir suffisamment de temps pour cette mise en commun.

Un exemple concret : des contes mathématiques pour enseigner la numération positionnelle

Cette approche d’enseignement des mathématiques par la résolution de problèmes est exploitée à travers une série de contes mathématiques développée dans l’étude de Voyer et al. (2018). Les contes, sous la forme de capsules vidéos, le matériel complémentaire et les fiches d’animation adressées aux personnes enseignantes sont accessibles gratuitement sur le site du RÉVERBÈRE (Réseau de recherche et de valorisation de la recherche sur le bien-être et la réussite en contexte de diversité). Chaque conte est accompagné de problèmes mathématiques qui visent l’apprentissage de la numération positionnelle : les fiches d’animation explicitent notamment le déroulement selon les trois temps d’un enseignement par la résolution de problèmes. Concrètement, ce sont donc dix situations mathématiques issues de quatre contes qui ont été vécues avec des enseignantes et des élèves du premier cycle du primaire dans le cadre de la recherche. L’approche s’est révélée particulièrement efficace auprès des élèves les plus faibles en mathématiques des classes expérimentales. Au-delà de ces résultats positifs sur le rendement, le contexte des contes a soutenu l’intérêt des élèves pendant les situations mathématiques (Voyer et al., 2019).

Pour conclure, en exploitant davantage en salle de classe une approche d’enseignement des mathématiques par la résolution de problèmes, tous les élèves pourraient en bénéficier, dont les élèves en difficulté. Bien que la mise en œuvre de cette approche demande un certain changement de posture de la part des enseignantes et des enseignants, nous croyons qu’un tel changement est nécessaire pour amener les élèves en difficulté à avoir du plaisir à faire des mathématiques.

Références

Alwarsh, A. A. (2018). Productive mathematical discussions in teaching through problem solving. Ohio Journal of School Mathematics, 78, 4-10.

DeCaro, M. S. et Rittle-Johnson, B. (2012). Exploring mathematics problems prepares children to learn from instruction. Journal of Experimental Child Psychology, 113(4), 552-568. https://doi.org/10.1016/j.jecp.2012.06.009

Ministère de l’Éducation de l’Ontario. (2006). Guide d’enseignement efficace des mathématiques de la maternelle à la 6e année. Fascicule 2. Gouvernement de l’Ontario. https://edusourceontario.com/res/geem-m-6-fascicule2

Ministère de l’Éducation de l’Ontario. (2020). Le curriculum de l’Ontario de la 1re à la 8e année : mathématiques. Gouvernement de l’Ontario. https://www.dcp.edu.gov.on.ca/fr/curriculum/elementaire-mathematiques

Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement Supérieur. (2019). Référentiel d’intervention en mathématique. Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/dpse/adaptation_serv_compl/Referentiel-mathematique.PDF

Van de Walle, J. A., Karp, K. S. et Bay-Williams, J. M. (2013). Elementary and middle school mathematics: Teaching developmentally (8e éd.). Pearson.

Van de Walle, J. A. et Lovin, L. H. (2007). L'enseignement des mathématiques : l’élève au centre de son apprentissage. Tome 1. ERPI.

Vlassis, J., Mancuso, G. et Poncelet, D. (2014). Le rôle des problèmes dans l’enseignement des mathématiques : analyse des croyances d’enseignants du primaire. Cahiers des Sciences de l’Éducation, 36, 143-174.

Voyer, D., Lavoie, N. et Forest, M.-P. (2019). Des contes pour apprendre à compter. Vivre le primaire, 32(2), 34-38.

Voyer, D., Lavoie, N., Goulet, M.-P. et Forest, M.-P. (2018). La littérature jeunesse pour enseigner les mathématiques : résultats d’une expérimentation en première année. Revue canadienne de l’éducation, 41(3), 633-660.

Marie-Pier Forest est professeure suppléante en didactique des mathématiques au primaire au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Elle réalise actuellement un doctorat en éducation à l’Université du Québec à Rimouski. Elle est membre du Réseau de recherche et de valorisation de la recherche sur le bien-être et la réussite (RÉVERBÈRE) et du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE). Ses intérêts de recherche portent notamment sur l’enseignement des mathématiques par la résolution de problèmes et sur le développement d’une compréhension conceptuelle chez les élèves du primaire.