Réponse fournie par Jennifer Wotherspoon, OEEO, leader pour la réussite des élèves, Halton District School Board
Dans l’objectif de rendre le système d’éducation plus équitable, le ministère de l’Éducation prévoit décloisonner les classes de 9e année dans les écoles de l’Ontario à l’automne 2021. Le cloisonnement visait au départ à regrouper les élèves en fonction de leurs styles d’apprentissage afin de pouvoir leur offrir des soutiens et des adaptations plus efficaces en classe. On a toutefois découvert qu’il accentue les conditions d’inégalité lorsque les élèves de familles à faible revenu ou autrement défavorisés étaient orientés en nombres disproportionnés vers la catégorie de cours appliqués par un personnel enseignant, une direction ou une structure partiaux. Malgré de bonnes intentions, la décision de décloisonner a suscité des inquiétudes chez nombre d’enseignants en Ontario.
Cours théoriques et appliqués : quelle est la différence?
La division des cours en catégories de cours théoriques et appliqués permet aux professionnels de l’enseignement d’adapter le niveau d’attention, les leçons, la matière et les ressources en fonction des besoins des élèves. Les cours appliqués mettent davantage l’accent sur les stratégies d’apprentissage et le perfectionnement des compétences, en visant les applications pratiques. L’objectif est d’amener les élèves à apprendre des stratégies et des compétences qu’ils pourront mettre en pratique dans différents contextes et environnements, comme la salle de classe ou le milieu de travail, et dans leurs communications personnelles ou professionnelles. Les élèves travaillent à leur propre rythme afin d’appliquer efficacement d’autres stratégies d’apprentissage, comme défendre ses propres intérêts, établir des objectifs, se concentrer et rester calme face aux difficultés, afin de les aider à mieux comprendre la matière actuelle et future. Dans les cours théoriques, les leçons et les ressources visent l’acquisition d’habiletés tout en mettant l’accent sur l’autonomie et la pensée critique. Les cours théoriques ont tendance à progresser plus rapidement afin de préparer les élèves à s’adapter à des conditions d’apprentissage rapides, comme celles qu’ils pourraient retrouver à l’université.
Indépendamment du style d’apprentissage ou de la présence d’un trouble d’apprentissage (TA), les élèves ont actuellement le choix de la catégorie de cours qu’ils veulent suivre, les deux catégories étant conçues pour favoriser la réussite de tous les élèves. Quel que soit leur choix, les élèves obtiendront les ressources dont ils ont besoin pour réussir à atteindre leurs objectifs et exploiter leur potentiel.
Si les catégories de cours théoriques et appliqués devaient être regroupées, les élèves qui ont besoin d’un soutien accru – notamment les élèves ayant des TA – pourraient tomber entre les mailles du filet. Les professionnels de l’enseignement devraient être conscients des défis qui pourraient accompagner le décloisonnement :
1. Il pourrait être plus difficile de déceler les besoins des élèves ayant des TA et d’y répondre
Dans les catégories de cours théoriques et appliqués, les connaissances et les habiletés des élèves sont généralement évaluées de manière informelle au début du semestre ou de l’année scolaire au moyen de tâches et d’activités de diagnostic, comme de courtes compositions écrites, des tests, etc. Le personnel enseignant peut ainsi planifier et adapter la matière, les leçons, les activités et les soutiens en fonction des besoins particuliers des élèves.
Advenant la fusion des deux catégories de cours, les élèves continueront d’avoir des options quant à la façon de démontrer leur compréhension; les stratégies didactiques, cependant, ne pourront peut-être pas faire l’objet de la même différenciation. Pour les élèves qui peuvent suivre facilement, le problème se pose moins puisqu’ils sont plus susceptibles de demander de l’aide ou des explications en cours de leçon lorsqu’ils en ont besoin. À l’inverse, les élèves ayant des TA pourraient être moins portés à demander de l’aide lorsqu’ils ne comprennent pas. Si le rythme des leçons est trop rapide, les élèves pourraient se sentir dépassés, se refermer et ne pas demander de l’aide s’ils craignent d’avoir l’air différents et/ou de se faire comparer aux autres. Différents niveaux d’assurance parmi les élèves pourraient freiner la participation de certains, et l’enseignante ou l’enseignant aurait alors de la difficulté à évaluer la compréhension des élèves et à savoir s’il est temps de poursuivre la leçon ou s’il est préférable de revoir une partie de la matière. Dans une classe où se trouvent des élèves très performants qui possèdent de solides aptitudes pour l’apprentissage autonome, ainsi que des élèves qui ont davantage besoin d’encadrement, d’encouragements, d’explications et de temps, les élèves qui ont besoin d’un soutien supplémentaire et/ou qui ont des troubles d’apprentissage risquent davantage de passer inaperçus. Par conséquent, les élèves ne bénéficieraient pas tous de chances égales et du même temps pour comprendre la leçon. Lorsque les besoins des élèves sont dissimulés, on ne peut pas adapter les objectifs d’apprentissage, et les élèves qui ont des TA peuvent prendre du retard.
2. Le décloisonnement pourrait avoir des répercussions sur la santé mentale des élèves
Les élèves ont tendance à se comparer à leurs pairs comme moyen d’évaluer leurs propres connaissances, habiletés et réussite. Dans les classes cloisonnées, où les élèves sont regroupés avec des pairs qui ont des styles d’apprentissage similaires, les élèves peuvent être rassurés par le fait que, lorsqu’ils travaillent ensemble à des projets de groupe, ils utilisent des compétences similaires et travaillent ensemble à développer des stratégies.
Si les classes sont décloisonnées, les élèves se compareront à un plus grand nombre d’élèves susceptibles d’avoir des compétences plus solides, ce qui pourrait nuire à leur estime de soi et à leur sentiment de valeur personnelle. Cela pourrait aussi accentuer l’anxiété chez les élèves qui vivent de l’envahissement dans les groupes plus grands et se sentent accablés par l’environnement et les attentes propres à ces groupes. Les élèves qui ont des TA ont souvent de la difficulté à s’adapter à de nouveaux environnements où les structures et les routines ne correspondent pas à la normalité qu’ils connaissent. N’ayant pas la même résilience que leurs pairs, ces élèves s’efforcent de s’adapter sans soutien et pourraient vivre plus d’anxiété et de doute. Lorsque les élèves ayant des TA voient leurs pairs s’adapter facilement alors qu’eux-mêmes ont de la difficulté à le faire, ils peuvent perdre la motivation à comprendre la matière et à faire les travaux. Cela les empêche d’acquérir la résilience dont ils ont besoin pour aller de l’avant.
3. Les classes plus grandes rendent la différenciation plus difficile
Les classes cloisonnées, en particulier les classes appliquées, sont habituellement plus petites, ce qui permet au personnel enseignant d’aider les élèves plus souvent durant la période, d’adapter la matière, d’offrir un choix de modes d’évaluation et de donner aux élèves qui en ont besoin du temps ou des ressources supplémentaires pour travailler de façon autonome pendant que le reste du groupe passe à d’autres activités. Dans les grandes classes en revanche, il devient plus compliqué d’adapter non seulement la planification et l’exécution de la leçon, mais aussi la matière en fonction d’un large éventail de besoins et d’objectifs d’apprentissage. Cela pourrait être particulièrement difficile pour les enseignantes et enseignants qui ont donné des cours dans une seule catégorie de cours.
En effet, il n’est pas inhabituel, pour les enseignants qui ont principalement donné des cours appliqués, de consacrer une grande partie de la période à entretenir le lien avec les élèves et à leur allouer du temps supplémentaire pour qu'ils aient la possibilité de s’améliorer et d’appliquer la rétroaction reçue. Ceux qui ont principalement donné des cours théoriques sont habitués à maintenir un rythme d’apprentissage soutenu tout en différenciant les objectifs pour aider les élèves d’une manière équitable. Pour les enseignantes et enseignants qui ont de l’expérience dans seulement une des deux catégories de cours, la nécessité de s’adapter à de nouvelles exigences risque d’imposer une charge de travail lourde et très longue, et il se pourrait aussi que les besoins de certains élèves passent inaperçus. Le personnel enseignant devra revoir les attentes globales et la façon de rendre ces attentes équitables pour tous les élèves.
Que peut-on faire pour appuyer les élèves ayant des TA dans les cours décloisonnés?
Lors du décloisonnement des classes envisagé par le ministère de l’Éducation, la dynamique en salle de classe sera déterminante pour la réussite des élèves. Pour mieux appuyer les élèves, en particulier ceux qui ont des troubles d’apprentissage, il sera important d’encourager un espace positif et un environnement d’apprentissage inclusif au quotidien.
Le personnel enseignant travaille fort pour promouvoir et créer des espaces sécuritaires et inclusifs où les élèves peuvent apprendre et faire des erreurs. Les enseignantes et enseignants savent démontrer par l’exemple une attitude positive à l’égard des erreurs et normaliser le besoin de soutien supplémentaire durant les corrections. Dans une classe décloisonnée cependant, il peut être nécessaire pour les élèves, et pour le personnel enseignant, de démontrer par l’exemple ces habiletés et comportements afin que les élèves ayant des TA puissent voir et apprendre en observant les habiletés de leurs pairs. La planification d’activités qui permettent aux élèves d’exercer leur leadership et de faire du mentorat aidera à stimuler les élèves plus forts tout en développant l’assurance et l’autonomie des élèves qui ont davantage besoin de soutien, notamment les élèves qui ont des TA. L’établissement de liens plus solides entre pairs aiderait à augmenter le sentiment d’aisance dans l’environnement d’apprentissage, favorisant ainsi le développement de certaines habiletés comme la défense de ses propres intérêts, la participation et l’autorégulation.
Dans leurs efforts pour rendre les environnements d’apprentissage plus équitables, les professionnels de l’enseignement doivent être vigilants pour ne pas créer involontairement de nouvelles inégalités. En décloisonnant les classes, nous risquons d’avoir plus d’élèves en besoin, ainsi que des élèves ayant des TA qui passent entre les mailles du filet en ne recevant pas le soutien supplémentaire dont ils ont besoin pour atteindre leur plein potentiel. Il pourrait y avoir des effets négatifs sur la santé mentale des élèves qui doivent faire face à de nouvelles pressions et attentes tout en bénéficiant de ressources moindres. Dans leurs efforts pour compenser ce que les élèves ne peuvent plus obtenir dans les classes cloisonnées, les enseignantes et enseignants pourraient se retrouver avec la difficile tâche de créer et de différencier des leçons et des ressources pour arriver à offrir des chances égales à tous les élèves. Dorénavant, le personnel enseignant devra veiller à offrir un environnement de classe positif et inclusif, où l’on encourage et cultive les liens entre les élèves et entre les élèves et le personnel enseignant, dans le but de maintenir un milieu d’apprentissage équitable et confortable qui favorise la réussite de chaque élève.
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