Par Tiffany L. Gallagher, Ph.D. et Xavier Fazio, Ed.D., Université Brock
Que signifie « lire pour apprendre » en sciences?
Au palier élémentaire, l’importance des habiletés de communication orale, de lecture et d’écriture dans des disciplines comme les sciences est bien établie (Fazio et Gallagher, 2015; National Research Council, 2014; Shanahan et Shanahan, 2008). En effet, les élèves doivent acquérir des capacités langagières afin de pouvoir lire pour apprendre dans diverses matières, dont les sciences (Fang et coll., 2008; Moje, 2008). En particulier, l’intégration efficace des sciences et de la littératie encourage les élèves à explorer des phénomènes scientifiques tout en développant des habiletés fondamentales en lecture et en écriture (Bradbury, 2014). Pour pouvoir prendre part aux décisions de demain, les élèves d’aujourd’hui doivent acquérir les habiletés qui leur permettront de lire, d’écrire et de communiquer oralement en sciences avec facilité et efficacité (Krajick et Sutherland, 2010; Pearson et coll., 2010). Même si peu d’élèves feront carrière en sciences, tous seront appelés à faire des lectures sur les sciences au cours de leur vie. Ainsi, tous les élèves ont besoin de « lire pour apprendre » en sciences!
Et pourtant, l’enseignement qui intègre les sciences et la littératie est souvent mal compris par les enseignantes et enseignants en exercice, et peut même être laissé de côté en raison de la difficulté à trouver des méthodes adaptées pour les élèves ayant des troubles d’apprentissage (TA) [Mason et Hedin, 2011]. Il est primordial que les professionnels de l’enseignement aident tous les élèves à lire en sciences. Pourquoi? Parce que les élèves utiliseront la faculté de « lire pour apprendre » en sciences plus que toute autre modalité à l’école. Par conséquent, lorsqu’on intègre les sciences et l’apprentissage de la langue dans des contextes de l’élémentaire, les élèves :
- tirent avantage des processus cognitifs communs aux deux disciplines (Vitale et Romance, 2012);
- constatent la valeur de savoir lire et écrire pour « faire » des sciences (Pearson et coll., 2010).
Quels sont donc les éléments essentiels dont le personnel enseignant a besoin pour créer une synergie entre les sciences et la littératie pour tous les élèves? Il existe des stratégies propres à chaque discipline qui permettent d’améliorer les résultats d’apprentissage en sciences tout en intégrant des expériences du domaine langagier (Cervetti et Pearson, 2012). Plus précisément, lorsque les activités de lecture et d’écriture s’articulent autour d’une expérience scientifique pratique, les élèves peuvent apprendre à lire et à écrire du contenu à caractère scientifique tout en faisant des sciences et en parlant le langage (Cervettiet coll., 2012; Yore et coll., 2003). Des études démontrent l’efficacité de cette forme d’intervention en littératie et en sciences (Fazio et Gallagher, 2016; Fang et coll., 2008; Goldschmidt, 2010; Patrick et coll., 2009), ainsi que son utilité pour ce qui est d’aider tous les élèves à « lire pour apprendre » en sciences – y compris les élèves ayant des TA.
Difficultés que vivent les élèves ayant des TA lorsqu’ils « lisent pour apprendre » en sciences
En général, le cheminement à l’élémentaire permet l’apprentissage de la lecture au point de pouvoir lire pour le plaisir ou pour découvrir le monde naturel. Pour beaucoup d’élèves ayant des TA toutefois, la lecture représente une difficulté qui peut diminuer leur capacité à « lire pour apprendre ». Les enseignantes et enseignants doivent prévoir des activités différenciées pour aider les élèves ayant des TA à « lire pour apprendre » en sciences. Ces élèves peuvent connaître les difficultés suivantes dans le traitement de textes à caractère scientifique :
Connaissances préalables – Les élèves ayant des TA peuvent avoir de la difficulté à comprendre un texte de nature scientifique s’ils n’ont pas une connaissance préalable des concepts présentés dans le texte (Mason et Hedin, 2011). Pour eux, l’intégration d’une nouvelle matière aux connaissances antérieures n’est pas toujours un processus fluide. Il est essentiel pour ces élèves d’établir des liens entre leurs acquis en sciences et les nouveaux concepts essentiels en sciences qui leur permettent d’approfondir leur compréhension de phénomènes scientifiques (Villanueva et coll., 2012).
Transfert – Un enseignement correctif ou un programme d’intervention peut aider les élèves ayant des TA à acquérir des stratégies générales pour lire des textes. Cependant, nombre d’entre eux ne pourront probablement pas appliquer ces stratégies générales à d’autres contextes de façon autonome (Biancarosa et Snow, 2006), surtout lorsque le texte porte expressément sur les sciences. Les élèves ayant des TA ont besoin qu’on leur enseigne explicitement comment utiliser et appliquer des stratégies de lecture dans toutes les situations sollicitant cette faculté.
Mémoire de travail – Les élèves ayant des TA peuvent avoir de la difficulté à garder de l’information en mémoire tout en effectuant d’autres tâches cognitives (Hallahan et coll., 2010). Les textes de nature scientifique contiennent une grande quantité de faits, de concepts et de données à mémoriser. Dans une situation où l’élève « lit pour apprendre » un concept scientifique, le texte peut inclure du contenu visuel comme un graphique ou une image qui complète ce que l’élève a lu. La coordination de ces opérations dans la mémoire de travail peut-être ardue pour les élèves ayant des TA (Dexter et Hughes, 2011).
Vocabulaire – Un texte scientifique est riche en description, mais dense en vocabulaire, en partie à cause des racines latines et grecques des termes scientifiques; par exemple : thermomètre : du Grecque « thermo » (chaleur) et « mètre » (mesure) [Rasinski et coll., 2008]. Comme il s’agit souvent de termes phonologiquement irréguliers, la tâche de décodage est difficile pour les élèves ayant des TA. De plus, l’usage technique de termes scientifiques peut être inhabituel pour ces élèves (Weiser, 2013).
Complexité du texte – L’intelligibilité des textes informatifs en sciences varie selon le format et les structures du texte (Liang et coll., 2013). Il est alors difficile de déterminer les variantes d’un texte (Pitcher et Fang, 2007). De plus, les textes de nature scientifique sont souvent riches en concepts. Il est question ici du rythme auquel les concepts scientifiques sont présentés et des liens logiques qui sont établis au fil de la lecture du texte informatif (Mason et Hedin, 2011). Pour les élèves ayant des TA, les textes scientifiques sont complexes dans leurs dimensions linguistique et cognitive, ce qui augmente considérablement l’effort de compréhension à fournir (Kosanovich, 2013).
Compte tenu de ces difficultés, la lecture de textes scientifiques est souvent exigeante pour les élèves ayant des TA. La compréhension peut être ardue en raison du vocabulaire spécialisé, des renseignements factuels condensés et des concepts complexes qui font appel et référence à des connaissances préalables (Johnson et Zabrucky, 2011).
Stratégies pour aider les élèves ayant des TA à « lire pour apprendre » en sciences
Les devraient offrir à leurs élèves ayant des TA des occasions différenciées de « lire pour apprendre » en sciences.
Voici quelques stratégies d’enseignement et exemples d’activités pour les aider à apprendre en sciences. D’un point de vue pédagogique, le personnel enseignant doit tenir compte de l’efficacité éprouvée de l’enseignement explicite de stratégies (Almasi, 2003) et du modèle de transfert graduel de la responsabilité (ministère de l’Éducation, 2013) comme méthodes d’enseignement. Il doit aussi envisager les stratégies d’enseignement dans le cadre d’une méthode d’intervention combinée au lieu de les utiliser isolément.
Conclusion et lectures supplémentaires
Il y a de nombreuses façons d’appuyer l’apprentissage des sciences à l’aide d’outils efficaces pour l’enseignement de la lecture aux élèves ayant des TA (Brigham, Scruggs et Mastropieri, 2011). Les études confirment que les élèves ayant des TA peuvent être des lecteurs efficaces en sciences grâce à des stratégies qui fonctionnent en synergie avec des activités pratiques structurées axées sur l’enquête (Villanueva et coll., 2012). De plus, il semble que les élèves ayant des TA tirent avantage à « lire pour apprendre » en sciences lorsqu’on :
- met l’accent sur des idées principales et des concepts généraux;
- intègre des activités supplémentaires de pratique et de révision du vocabulaire et des concepts de base;
- ajoute des éléments visuels au texte scientifique.
En particulier, le fait d’intégrer les aides mnémotechniques, la création d’organisateurs graphiques, les lectures répétées et les stratégies d’apprentissage entre pairs (voir Mason et Hedin, 2011; Therrien et coll., 2011) à l’enseignement habituel des sciences peut aider à améliorer sensiblement le rendement des élèves dont les TA ont un impact sur leur capacité de « lire pour apprendre » en sciences. Ainsi, tous les élèves peuvent « lire pour apprendre » en sciences!
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Pour se renseigner sur une approche intégrant littératie et enseignement des sciences :
Bibliographie
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Ressources pertinentes sur le site Web de TA@l’école
Cliquer ici afin d’accéder au résumé éclairé par la pratique, « Les organisateurs graphiques ».
À propos des auteurs
Tiffany Gallagher est titulaire d’un doctorat en sciences de l’éducation (cognition et apprentissage) et d’une maîtrise en éducation (enseignement et apprentissage) de l’Université Brock. Elle y a également terminé un programme concomitant de baccalauréat ès arts en étude de l’enfance et de la jeunesse et de baccalauréat en éducation. Mme Gallagher est professeure agrégée à la faculté d’éducation de l’Université Brock et directrice du Brock Learning Lab (laboratoire d’apprentissage). Ses domaines d’expertise et d’intérêt en recherche portent sur l’enseignement et l’évaluation de la littératie, le soutien du personnel enseignant et des animateurs en apprentissage professionnel, et la littératie disciplinaire.
Xavier Fazio est titulaire d’un doctorat en étude des programmes d’enseignement (enseignement des sciences), d’une maîtrise en éducation (curriculum et enseignement) et d’un baccalauréat en éducation avec spécialisation en enseignement des sciences au cycle intermédiaire et au secondaire, de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario. Il possède également un baccalauréat spécialisé en biologie de l’Université de Toronto. M. Fazio est professeur agrégé à la faculté d’éducation de l’Université Brock. Ses intérêts en enseignement et en recherche portent sur les domaines de l’éducation en sciences et environnement, de la littératie disciplinaire et de l’évaluation.
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