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par Jody Chong, Ph. D., professeure adjointe, Jackman Institute of Child Study à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario de l’Université de Toronto/enseignante-ressource, TDSB

La conscience phonologique constitue une habileté fondamentale pour apprendre à lire. Toutes les langues parlées ont une phonologie ou un système de sons et, dans le cas de langues telles que le français et l’anglais où le système d’écriture alphabétique a été conçu dans le but premier de représenter le système de parole, il est essentiel de prendre conscience de la relation qui existe entre les sons de la langue parlée (phonèmes) et les lettres (graphèmes) (Juel, 1988). La conscience phonologique est un terme hyperonyme qui englobe la façon dont la langue parlée peut être décomposée en unités de diverses tailles : les unités de plus grande taille , telles que les mots et les syllabes, et celles de plus petite taille, telles que les phonèmes initiaux et les rimes (p. ex. : le mot « vache » peut être décomposé comme suit : « v » étant le phonème initial et « ache » étant la rime, et le mot « chat » peut être décomposé comme suit : « ch » étant le phonème initial et « at » étant la rime). L’élément d’aptitude le plus rapproché de l’acquisition de la lecture et de l’écriture est la prise de conscience de la façon dont les mots sont segmentés en leurs plus petites unités sonores, soit les phonèmes.

La conscience phonémique est une sous-catégorie de la conscience phonologique, et son enseignement permet aux enfants d’identifier, d’isoler, de fusionner, de catégoriser et de localiser les divers phonèmes des mots oraux. La conscience phonémique constitue la pierre angulaire des programmes de littératie pour les débutantes et débutants en lecture et pour les personnes présentant des troubles d’apprentissage en langage écrit (lecture et écriture). Selon la recherche, les difficultés en conscience phonémique et dans d’autres sphères de la phonologie provoquent des atteintes quand à l’acquisiton de la lecture et de l’orthographe, et permettent de les prédire. (Bryant et al., 2014; Ehri et al., 2001)  Or, l’enseignement du décodage pourrait s’avérer inefficace, à moins que les enfants puissent d’abord entendre les sons de la langue parlée (Juel, 1988; Perfetti et al., 1987). Ces difficultés s’appliquent quels que soient le QI, la race et la situation socioéconomique de l’apprenante ou de l’apprenant.

Plusieurs décennies de recherche sur ce sujet ont révélé que cette habileté est très facile à enseigner (Ball et Blachman, 1991; Bus et van Ijzendoom, 1999; Bradley et Bryant, 1985; Lundberg et al., 1988); et, lorsqu’elle est enseignée de façon précoce, elle permet de prévenir les difficultés en lecture. Voici 10 conseils pour aider le personnel enseignant, le(s) parent(s) et les professionnels ou les cliniciens à favoriser son acquisition :

Conseil n° 1 : Privilégier la répétition régulière des activités

Il n’est pas nécessaire de consacrer plusieurs heures par jour à l’acquisition de la conscience phonologique. Cette notion devrait être présentée à la maternelle et au jardin d’enfants, et consolider avec des occasions de mise en pratique dès la 1ère année. Il est de mise de poursuivre le travail en conscience phonologique en faisant le pont vers l’écrit même aux cycles primiaire et moyen (2e à 6e année). Il suffit d’y consacrer une quinzaine de minutes, quelques jours par semaine, dans le cadre d’activités de groupe avec le groupe-classe voire d’y consacrer 10 minutes supplémentaires dans de petits groupes différenciés pour les élèves qui ont besoin de s’exercer davantage. Dans sa méta-analyse d’études de recherche sur ce sujet, le National Reading Panel (2000) a constaté que 18 heures d’enseignement suffisent pour la plupart des apprenantes et apprenants, et cela peut facilement se réaliser sur plusieurs mois.

Conseil n° 2 : Miser sur le jeu

Dès la maternelle et le jardin d’enfants, au cycle préparatoire, les parents et les professionnels de l’enseignement peuvent présenter des jeux, des chansons et des activités d’une façon ludique et adaptée au développement de l’enfant. L’enseignement de la conscience phonémique doit être stimulant. Il existe une panoplie d’excellentes ressources et de suggestions pour vous inspirer (voir le conseil n° 10).

Conseil n° 3 : Rechercher des possibilités de perfectionnement professionnel

Louisa Moats (1999-2020) estime que l’enseignement de la lecture est une véritable science, de sorte qu’il est important que le personnel enseignant comprenne explicitement en quoi consiste la conscience phonémique et pourquoi elle est importante. Il est aussi primordial qu’il évalue sa propre capacité d’effectuer des tâches de conscience phonologique. Cliquez ici pour vérifier vos connaissances et accéder à d’autres ressources d’apprentissage de Reading Rockets (en anglais seulement). Si vous êtes néophyte dans le domaine, il existe d’excellentes ressources pour vous permettre d’approfondir vos connaissances et de vous sentir outillé dans ce domaine (p. ex. : Kilpatrick, 2015).

Conseil n° 4 : Utilisez un outil d’évaluation pour orienter votre enseignement

L’utilisation d’un outil d’évaluation peut vous aider à dépister les élèves qui ont besoin de soutien supplémentaire, à surveiller leurs progrès et à personnaliser votre enseignement en vue d’établir des priorités pédagogiques. Une fois que vos élèves apprennent à travailler avec des unités sonores du langage oral plus importantes, par exemple en tapant des mains à chaque syllabe d’un mot ou en segmentant les mots en sons, vous pouvez passer à des tâches qui exigent qu’ils travaillent avec les phonèmes de certains mots.

Voici quelques outils susceptibles de vous être utiles :

  • ECPC: Évaluation préscolaire de la conscience phonologique (Pascal Lefebvre)
  • TCPP: Test de conscience phonologique préscolaire (Brosseau-Lapré & Rvachew, 2008)
  • Sous-test Concience phonologique du CELF-CND-F

Conseil n° 5 : Cibler votre enseignement

Pour les enfants qui se développent normalement, il peut s’avérer plus utile de vous concentrer sur un ou deux types de manipulation des phonèmes (p. ex. : la fusion et la segmentation), car des études ont démontré que les enfants ayant été enseignés un ou deux types de manipulation apprenaient plus rapidement que ceux ayant été enseignés trois ou plus. Dans certains cas, par ailleurs, les élèves se sont améliorés davantage en lecture et en orthographe (NRP, 2000; Ryder et al., 2008). Kilpatrick (2015). Toutefois, selon Kilpatrick (2015), les enfants qui éprouvent des difficultés en conscience phonémique ou qui risquent d’avoir des difficultés en littératie pourraient bénéficier d’un programme plus global comportant des tâches plus variées (comme des programmes qui enseignent aux enfants à manipuler, à supprimer et à remplacer les phonèmes au lieu de simplement les fusionner et les segmenter).

Conseil n° 6 : Favoriser diverses modalités

Il existe de nombreuses façons d’incorporer plus d’une modalité dans votre enseignement : utilisez du matériel de manipulation comme des jetons de bingo ou d’autres objets amovibles que les élèves peuvent « pousser » lorsqu’ils manipulent les phonèmes; servez-vous de voitures jouets ou de slinkys lorsque les élèves étirent et fusionnent les sons; utilisez des boîtes Elkonin (boîtes correspondant à des sons); montrez des images pour favoriser la compréhension des mots ciblés; enrichissez les activités ludiques avec les sons à l’aide d’images de mouvements de la bouche (Lindamood et Lindamood, 1998); et demandez aux élèves de taper avec leurs mains, leurs doigts, une petite baguette ou un crayon alors qu’ils segmentent des mots.

Conseil n° 7 : Faire le pont avec le correspondance lettres-sons

Selon la recherche, la conscience phonémique se veut une condition nécessaire, mais insuffisante, pour bien décoder et bien orthographier. D’ailleurs,  l’enseignement qui combine la conscience phonémique avec l’enseignement de la relation entre les lettres et les sons (phonétique) produit de meilleurs résultats que la conscience phonémique enseignée seule (Ball et Blachman, 1991; Bradley et Bryant, 1985; Schneider et al., 2000).

Conseil n° 8 : Établir un lien avec l’apprentissage des mots irréguliers

Comme un pourcentage important des mots les plus courants en français ont une forme orthographique irrégulière (p.ex. : sept, femme, dix, fils, outil), de nombreux professionnels de l’enseignement croyaient qu’il était préférable de mémoriser la forme orthographique de ces mots de haute fréquence façon globale. Nous savons maintenant que, pour bien apprendre ces mots et pour pouvoir appliquer une partie de ce savoir à d’autres mots, les élèves doivent comprendre la relation qui existe entre les sons qu’ils entendent lorsque le mot est prononcé et les lettres qu’ils voient dans le mot écrit, même si l’orthographe de ce mot est irrégulière ou inattendue. Lorsque nous enseignons aux enfants à regarder chacune des lettres d’un mot et à réfléchir aux régularités de lettres qui sont attendues ou inattendues, leur cerveau apprend ces relations et les retient grâce à un processus appelé « cartographie orthographique ». Cette capacité de cartographier l’orthographe permet d’« établir un lien entre la forme orthographique, la prononciation et la signification de certains mots et à mémoriser ce lien » (Ehri, 2014, p. 5).

Voici un processus utile pour enseigner les mots irréguliers aux enfants :

  1. Dites le mot à haute voix et demandez-leur de le répéter (p. ex. : « sept »).
  2. Demandez aux élèves de segmenter le mot en phonèmes (p. ex. : /s/ - /e/ - /t/.)
  3. Tracez trois lignes au tableau ou sur une feuille de papier pour montrer que nous devons choisir trois graphèmes pour représenter les trois phonèmes.
  4. Discutez des lettres qu’on pourrait s’attendre à voir compte tenu de notre connaissance des associations son-lettre (phonème-graphème).
  5. Surlignez la partie du mot qui est irrégulière ou inattendue.

Nous disposons de plusieurs méthodes pour cerner ce processus pour les élèves : surligner la(les) lettre(s) qui « ne suit (suivent) pas les règles » ou les appeler des mots à apprendre par cœur et mettre la(les) lettre(s) irrégulière(s) en évidence en dessinant un petit cœur au-dessus d’elle(s), puisque c’est cette(ces) partie(s) du mot qui doit(doivent) être apprise(s) « par cœur ».

Cliquez ici pour visionner une démonstration de trois minutes sur cette approche.

Conseil n° 9 : Ne pas trop s’en faire

La conscience phonémique est un moyen pour parvenir à une fin - pour aider les enfants à lire et à orthographier - , et il est possible d’en faire trop dans ce sens. Les enfants doivent simplement démontrer systématiquement qu’ils sont conscients du fait que les mots prononcés sont composés de phonèmes qui peuvent être manipulés de différentes façons et qu’ils peuvent appliquer cette connaissance pour encoder et décoder les mots (SEDL, 2008, cité dans Ehri et al., 2001).

Conseil n° 10 : Enfin et surtout, se bâtir une trousse d’outils à partir de ressources pédagogiques fondées sur des données probantes (et stimulantes!)

La liste suivante est loin d’être exhaustive, mais voici quelques sites Web populaires :

Activité : Développer la conscience phonologique à l’aide d’outils gratuits en ligne

https://sosprof.ca/activites-preferees-conscience-phonologique/ 

https://www.educatout.com/edu-conseils/enfants-besoins-particuliers/chroniques/qu-est-ce-que-la-conscience-phonologique-et-l-importance-de-la-travailler-en-bas-age.htm

https://passetemps.com/blogue/mythes-et-conseils-en-conscience-phonologique-premi%C3%A8re-partie-n3262

https://passetemps.com/blogue/mythes-et-conseils-en-conscience-phonologique-deuxi%C3%A8me-partie-n3267

 

Références

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Bryant, P., Nunes, T., & Barros, R. (2014). The connection between children's knowledge and use of grapho‐phonic and morphemic units in written text and their learning at school. The British Journal of Educational Psychology, 84 (2), 211-225.

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Jody Chong, Ph. D., est professeure adjointe au Jackman Institute of Child Study à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario (OISE) de l’Ontario de l’Université de Toronto. Elle est également enseignante-ressource en éducation de l’enfance en difficulté au sein du Toronto District School Board. Elle siège au comité consultatif de LD@school/TA@l'école et contribue à la planification et à la mise en œuvre de projets pour les sites Web LD@school et TA@l'école depuis 2019.