Article rédigé par Usha James, directrice générale, The Critical Thinking Consortium
Partout, les professionnels de l’enseignement se demandent comment répondre le mieux possible aux besoins de chaque élève. Nos classes sont en train de se diversifier. Nous prenons conscience des inégalités qui existent dans les écoles, les collectivités et la société en général ainsi que de l’importance du rôle de l’éducation dans l’élimination de ces inégalités. L’un des scénarios suivants vous interpelle‑t-il? Qui sont les élèves de votre classe dont les besoins ne semblent pas être satisfaits par vos approches actuelles?
- Un enseignant du secondaire est au bout du rouleau. Un tiers de sa classe a des besoins particuliers en matière d’apprentissage. L’enseignant essaie de respecter tous leurs plans d’enseignement individualisé (PEI), mais il ne sait trop comment répondre aux besoins de chaque élève.
- Au cours d’une leçon de littératie, une enseignante du niveau intermédiaire remarque que les élèves ont de la difficulté à suivre et que leurs travaux écrits sont d’un niveau très limité. L’enseignante se dit que les données démographiques ont beaucoup changé dans sa classe et que les livres qu’elle utilise ne reflètent pas les diverses origines ethniques et expériences de ses élèves. Il est peut-être temps de revoir la liste des textes choisis.
- Une enseignante de maternelle se demande pourquoi certains élèves sont constamment inattentifs ou dysrégulés pendant l’heure du cercle. Elle a l’impression de passer beaucoup de temps à gérer le comportement de quelques élèves qui sont distraits et de faire patienter les autres élèves.
[1] Dans le présent article, je suggère humblement quelques façons de créer des classes inclusives où tous les élèves ont un sentiment d’appartenance et bénéficient de l’environnement et de l’approche dont ils ont besoin pour réussir et s’épanouir.
Il est évident que les élèves réussissent mieux lorsque nous planifions de façon appropriée et que nous trouvons des moyens de miser sur leurs points forts et de répondre à leurs besoins divers en classe (De La Paz et Wissinger, 2015; Tomlinson, 2015; Tomlinson et Parrish Jr., 2018). Le défi de répondre aux besoins de tous les apprenants peut sembler colossal, mais en prenant quelques modestes mesures, on peut améliorer grandement la situation pour certains élèves. Le présent article suggère des points de départ simples, mais très efficaces. Je traiterai de ce qu’il faut pour avoir une mentalité inclusive et j’examinerai l’importance des décisions prises au quotidien concernant l’évaluation et l’enseignement – visant à mieux connaître nos élèves ainsi qu’à différencier et à universaliser l’enseignement – pour l’adoption d’une approche inclusive dans nos salles de classe.
Adopter une mentalité inclusive
Pour créer une classe inclusive, il est essentiel de nourrir une approche inquisitrice à l’égard de nos propres pratiques pédagogiques (Cochran-Smith et Lytle, 2009). Pour appuyer chaque apprenant ou apprenante, il faut adopter une mentalité qui nous pousse à envisager différemment nos responsabilités de professionnels de l’enseignement, plutôt que faire l’acquisition d’un ensemble de stratégies (bien que cela soit indéniablement très important). Les professionnels de l’enseignement qui ont adopté une mentalité inclusive présentent les caractéristiques suivantes :
- Ils s’engagent à l’égard de l’inclusion : Ils cherchent activement à éliminer les obstacles et à faciliter l’apprentissage de chaque élève en planifiant et en prenant des décisions au quotidien sur l’évaluation et l’enseignement. Songez à faire part de votre engagement à vos collègues et à vos élèves; célébrez ensemble vos efforts en cernant et en reconnaissant vos points forts et vos succès afin d’optimiser vos chances de garder le cap.
- Ils adoptent une approche inquisitrice : Ils examinent d’un œil critique leurs pratiques, leurs interprétations et leurs croyances. Ils réfléchissent également à l’influence qu’ils exercent sur l’apprentissage et le bien-être des élèves. Prenez l’habitude de vous poser des questions comme celles-ci :
- Qu’est-ce que je crois savoir concernant les points forts de cet élève par rapport au domaine du curriculum en question?
- Comment puis-je confirmer ou revoir mon raisonnement?
- Quels éléments d’information me manque-t-il?
- Quels élèves profitent de mon approche et quels élèves n’en profitent pas? Comment puis-je le savoir?
- Quelles hypothèses et croyances pourraient influencer ma perception de l’apprenant ou de l’apprenante, du curriculum et de mes efforts?
- Ils cultivent un mode de raisonnement fondé sur les points forts : Attendez-vous à ce que l’identité, les expériences et les points forts de vos élèves soient diversifiés; reconnaissez-les, appréciez-les et cherchez à bien les comprendre. Songez à la façon dont vous pourriez cultiver un mode de raisonnement fondé sur les points forts en misant sur ceux de vos élèves et sur leurs champs d’intérêt. Comment pourriez-vous adapter vos stratégies pédagogiques pour tenir compte de ce que vous découvrez à propos de vos élèves? Par exemple, adaptez votre approche pour les élèves qui travaillent mieux en petits groupes en créant des groupes de tailles différentes au lieu d’essayer de former des groupes identiques de trois ou quatre élèves.
Chercher continuellement à mieux connaître nos apprenants
La prise de décisions axées sur l’élève est au cœur d’une classe inclusive (Tomlinson, 2016), et elle n’est possible que si nous comprenons bien les élèves en tant qu’êtres humains et en tant qu’apprenants. Chaque jour, nous devons chercher à répondre à la question suivante : Avant la leçon d’aujourd’hui, quels nouveaux éléments d’information utiles ai-je appris au sujet de certains de mes élèves?
- Demandez-vous ce qu’il pourrait être utile d’apprendre au sujet de vos élèves et comment vous pourriez y parvenir. Quels éléments d’information souhaiteriez-vous connaître à propos de tel ou tel élève lorsque vous planifiez vos leçons? Commencez par créer des profils de l’apprenant ou de l’apprenante. Dites-vous qu’ils ne doivent pas nécessairement être complets dès le début. Un profil de l’apprenant ou de l’apprenante est un document en évolution constante qui, au départ, peut contenir des renseignements sur un seul aspect des points forts et des besoins d’un ou d’une élève, en lecture, par exemple, et s’enrichir au fil du temps, à mesure que vous en apprenez davantage sur l’élève.
- Ayez des conversations constructives. Demandez-vous comment vous pourriez faire participer les élèves, leur famille et vos collègues à des conversations, au tout début de l’année scolaire, pour montrer que vous souhaitez en savoir davantage sur les points forts de vos élèves et sur les stratégies qui ont bien fonctionné par le passé.
- Prévoyez la façon dont vous pourrez faire des observations judicieuses. Vous pouvez améliorer votre capacité à faire des observations pertinentes avec la pratique ainsi qu’en demeurant attentif ou attentive aux conclusions que vous tirez et en y réfléchissant. Envisagez la possibilité de collaborer avec des collègues pour cocréer un outil d’observation qui vous aiderait à dégager vos observations et à consigner les éléments d’information que vous découvrez.
Différencier l’enseignement
Lorsque nous nous engageons à chercher constamment à en apprendre sur nos élèves et à appliquer les nouveaux éléments d’information que nous obtenons à notre prise de décisions concernant l’évaluation et l’enseignement, il est logique que nous souhaitions différencier notre approche. L’enseignement différencié est souvent assimilé à tort à un programme individualisé. Cette idée fausse nourrit souvent la frustration des enseignants à qui on demande de créer une classe plus inclusive. Enseigner de façon différenciée ne signifie pas créer des plans de leçons uniques pour 25 élèves différents. Cela signifie plutôt examiner régulièrement nos pratiques afin de cerner les éventuels obstacles que doivent surmonter certains élèves et trouver d’autres moyens de favoriser leur apprentissage.
Lorsque nous sommes engagés à l’égard de l’enseignement différencié, nous devons nous poser de nombreuses questions avant, pendant et après la classe :
- Quel aspect du milieu d’apprentissage, du contenu ou de la tâche nuit à l’apprentissage de l’élève?
- À quelle étape l’élève bute-t-il ou bute-t-elle?
- Cet apprentissage se trouve-t-il dans la « zone proximale de développement » de l’élève (Vygotsky, 1986), c’est-à-dire juste au-delà de ce qu’il ou elle peut déjà réaliser de façon autonome?
- Le contenu est-il pertinent et intéressant?
- Comment pourrais-je aplanir les obstacles?
- Comment ma façon de grouper les élèves influe-t-elle sur leur apprentissage?
- Les élèves doivent-ils tous s’efforcer d’apprendre le même contenu ou d’utiliser le même processus, ou chaque groupe peut-il aborder les concepts de base différemment?
- Comment puis-je créer un climat dans lequel les élèves ont l’habitude de travailler dans différents groupes, de s’attaquer à différentes tâches ou d’examiner différentes sources d’information sans se sentir étiquetés, isolés ou exclus?
En nous posant régulièrement ces questions et d’autres encore concernant l’apprentissage de chaque élève et en croyant fermement que les méthodes pédagogiques que nous adoptons peuvent entraver ou favoriser l’apprentissage, nous pouvons exercer un effet transformateur sur notre pratique en classe.
Nous pouvons différencier divers aspects du processus d’enseignement et d’apprentissage :
- les tâches d’apprentissage;
- la matière;
- l’approche pédagogique;
- les stratégies de raisonnement;
- le groupement des élèves.
Vous pourriez sélectionner un point de départ et vous lancer dans une enquête critique, de façon autonome ou en collaboration avec des collègues, pour cerner et mettre à l’essai des moyens pratiques et efficaces de différencier votre enseignement afin que tous les élèves puissent accéder véritablement à l’apprentissage.
Universaliser l’enseignement
L’universalisation et la différenciation de l’enseignement vont de pair. Le domaine de l’éducation a emprunté le concept de la « conception universelle » au domaine de l’architecture. Selon cette approche de conception, l’élimination des éléments qui représentent un obstacle pour certains sera vraisemblablement avantageuse pour d’autres également.
Lorsque nous songeons aux pratiques qui fonctionnent bien pour tous les élèves, il peut être tentant de planifier pour la majorité d’entre eux et de songer plus tard aux autres pour lesquels notre plan pourrait s’avérer inefficace. Une approche plus consciencieuse consisterait à planifier avant tout pour les élèves qui sont habituellement marginalisés et à axer l’enseignement sur leurs besoins et leurs expériences en sachant qu’une telle planification répondra sans doute aux besoins des autres élèves également.
Il est possible d’universaliser les conditions et les possibilités d’apprentissage pour tous les élèves de plusieurs façons. Par exemple, nous pouvons reconfigurer l’environnement physique en disposant les meubles et en utilisant les murs de la classe différemment. Nous pouvons établir des attentes et des routines inclusives, et sélectionner des stratégies pédagogiques qui visent à optimiser la participation. Dans le présent article, je souhaite offrir quelques suggestions pratiques sur l’universalisation de notre approche au moyen d’un langage et de ressources inclusifs.
- Emploi d’un langage inclusif
- Respectez les désirs d’autrui. Utilisez les descripteurs que les élèves et les membres de la collectivité souhaitent que vous utilisiez pour les décrire. Au lieu de formuler des hypothèses, posez des questions. Demandez aux élèves quels pronoms de genre ils préfèrent que vous utilisiez pour les désigner. Demandez aux membres des communautés autochtones de la région où se trouve votre école quelle est la meilleure façon de les désigner.
- Engagez-vous à actualiser vos connaissances sur l’inclusion. Il existe de nombreuses lignes directrices sur la façon d’adopter un langage plus inclusif. Le langage évolue constamment. N’écartez donc pas la possibilité de modifier votre langage à mesure que vous en apprendrez davantage à cet égard.
- Élargissez vos horizons. Demandez qu’on vous recommande une personne à suivre sur les médias sociaux, des articles de médias indépendants ou communautaires à lire ou, encore, des documentaires ou des sources de divertissement que vous pourriez visualiser pour mieux comprendre le concept d’inclusion et pour enrichir le langage que vous utilisez en classe.
- Emploi de ressources inclusives
- Examinez toutes les ressources de la classe d’un œil critique. Que remarquez-vous au sujet de la personne ou des personnes représentées? De quoi traitent les récits? Qui raconte les histoires et comment les expériences sont-elles représentées et interprétées dans ces ressources? Invitez les élèves à réfléchir de façon critique à vos décisions en matière d’enseignement et d’apprentissage, notamment à vos plans de cours et d’évaluation.
- Engagez-vous à inclure différentes voix, perspectives et expériences dans toutes les matières. Les exemples utilisés, les types de scénarios fournis dans les problèmes mathématiques sous forme d’énoncés, l’origine des scientifiques dont il est question et les formes de savoirs qui sont validées transmettent tous un message sur les personnes qui comptent et sur celles qui ne comptent pas ainsi que sur les types d’expériences qui méritent d’être étudiés et compris.
- Encouragez les élèves à remettre en question les ressources existantes. Dans le cadre des leçons et des travaux, donnez aux élèves des occasions d’analyser, de critiquer et de retravailler le contenu de diverses ressources. Par exemple, invitez les élèves à critiquer un manuel d’histoire, à vérifier l’équité de problèmes mathématiques sous forme d’énoncés ou à déterminer comment les données représentées dans des revues scientifiques ou dans des médias projettent une certaine vision du monde au lieu d’être neutres. Même les élèves du primaire peuvent trier des livres de la classe ou de la bibliothèque selon que les personnages leur ressemblent ou pas, ou selon qu’ils vivent des expériences semblables aux leurs, ou pas. Les élèves peuvent même repérer les personnages dont l’histoire est racontée et ceux qui ont été « oubliés ».
- Cocréez de nouvelles ressources. Invitez les élèves à collaborer avec des experts, des membres de la collectivité ayant vécu des expériences diversifiées et avec des gardiens du savoir et des aînés pour créer de nouvelles ressources afin que les membres de la collectivité ou les élèves de la prochaine génération puissent faire l’apprentissage de la littératie, des études sociales, des mathématiques, des sciences ou des arts à l’aide de sources plus inclusives.
Veuillez cliquez ici pour consulter le tableau ci-dessus.
Conclusion
Ne vous leurrez pas : créer une classe inclusive peut s’avérer très difficile. Il faut s’engager à respecter les lignes directrices sur l’inclusion et être disposé ou disposée à examiner nos croyances, nos hypothèses et nos pratiques d’un œil critique. L’approche inquisitrice et réflexive que nous devons adopter remettra en question notre image de nous-mêmes et notre identité en tant qu’enseignant ou enseignante, et nous amènera souvent à nous demander quelle est la prochaine étape à suivre. En collaborant et en réfléchissant ensemble dans le but de créer des classes véritablement inclusives, nous pouvons créer des milieux et des occasions d’apprentissage qui suscitent un profond sentiment d’appartenance chez tous les apprenants.
[1] Les idées présentées ici sont adaptées de diverses ressources. Elles ont été publiées à l'origine sous forme de chapitres dans Case, R. et Clark, P. (2020) Learning to Inquire in History, Geography, and Social Studies : An Anthology for Secondary Teachers et Case, R. ; et Clark, P. (2021) Learning to Inquire in Social Studies : An Anthology for Elementary Teachers l. Pour une discussion plus détaillée sur les approches présentées dans cet article, y compris des conseils pratiques, des stratégies et des modèles, je vous encourage à consulter James, U. (2022) Supporting all learners : creating the conditions for inclusive classrooms. Vancouver, BC : The Critical Thinking Consortium (http://tc2.ca).
À propos de l’auteure
Usha James a travaillé 12 ans comme enseignante du secondaire et 5 ans d’abord comme formatrice et ensuite comme directrice du s au sein de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario, à l’Université de Toronto. Elle est coauteure de manuels scolaires, de ressources destinées aux enseignants et enseignantes, de profils de cours et de documents du ministère de l’Éducation qui visent à fournir des stratégies pratiques aux professionnels de l’enseignement qui souhaitent se perfectionner.
Mme James a apporté sa contribution au Critical Thinking Consortium (TC2) en tant que rédactrice ressource et animatrice, et elle y joue maintenant le rôle de directrice générale. Elle a travaillé avec des directions d’école, des surintendances et des membres du personnel enseignant de la maternelle au niveau postsecondaire, en vue de les aider à améliorer la qualité du raisonnement de tous les apprenants.
Références
Cochran-Smith, M., & Lytle, S.L. (2009). Inquiry as stance: Practitioner research for the next generation. New York, NY: Teachers College Press.
De La Paz, S., & Wissinger, D.R. (2015). Effects of genre and content knowledge on historical thinking with academically diverse high school students. The Journal of Experimental Education, 83(1), 110–129
Tomlinson, C.A. (2016). Why differentiation is difficult: Reflections from years in the trenches. Australian Educational Leader, 38(3), 6–8.
Tomlinson, C.A. (2015). Teaching for excellence in academically diverse classrooms. Society, 52(3), 203–209
Tomlinson, C.A., & Parrish Jr., W.C. (2018). Championing inclusion: A reflection. Australian Educational Leader, 40(2), 8–11.
Vygotsky, L. (1986). Thought and language. Cambridge, MA: MIT Press.
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