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Par Michèle Potvin, Orthopédagogue, M.A. (Éd.) 

La dictée est une épreuve très répandue à travers la Francophonie. Elle a démontré son efficacité à évaluer l’orthographe. Toutefois, les épreuves toutes faites sont souvent inadéquates pour évaluer certaines notions plus spécifiques qui nous intéressent. Il nous reste à composer nos propres dictées pour en choisir le contenu. C’est cependant plus facile à dire qu’à faire! Comment s'assurer que la dictée diagnostique que nous créons est adéquate pour l'élève et quelles sont les questions que nous devons nous poser pour créer notre dictée? Pour y répondre, je vais référer à mes travaux de recherche sur l’évaluation de l’orthographe qui ont révélé trois principaux éléments qui devraient être mis en questionnement : le niveau de langue utilisé, le choix des mots et les règles orthographiques visées.

Premièrement, il faut choisir un genre littéraire et un niveau de langue accessible pour l’élève. Le texte issu de la littérature classique, écrit dans un niveau de langue soutenu, est trop éloigné de la réalité de l’élève, avec un vocabulaire peu familier et des tournures de phrases plus complexes. Pour ma part, je préfère le genre narratif en langage standard qui est le plus intéressant pour l’élève et le plus flexible pour l’enseignant, ce qui permet d’intégrer les règles grammaticales souhaitées. En effet, à travers la narration d’une histoire, il est facile de varier la personne du verbe, le mode et le temps afin d’évaluer la conjugaison. De plus, il est plus facile de créer des situations où l’élève doit référer à un antécédent parfois éloigné, afin que l’on puisse vérifier qu’il est capable de le repérer. Entre autres, les pronoms il/ils/elle/elles s’insèrent bien dans ce genre littéraire et il est nécessaire de recourir à ces derniers puisqu’ils constituent une difficulté pour plusieurs élèves.

Deuxièmement, il est important de bien choisir les mots et d’utiliser un vocabulaire accessible pour l’élève. Selon Manesse et Cogis (2007), les mots outils qui constituent la structure de la phrase (déterminants, verbes avoir et être, conjonction, préposition, adverbes très fréquents comme ne...pas ou alors) doivent représenter 50 % des mots du texte. L’élève devrait aussi connaitre la majorité des mots qu’il doit écrire. Dans les dictées que je crée, je vise au moins 75 % de mots fréquents pour le niveau scolaire (incluant les mots outils), . Les mots fréquents sont les plus révélateurs, selon mon expérience, pour repérer les élèves en difficulté. Quand on voit « boucoup » à partir du 3e cycle et au secondaire, l’alarme sonne indéniablement! Il existe des banques de mots qui donnent la fréquence pour le primaire, telles que l’Échelle Québécoise d’acquisition de l’Orthographe Lexicale (ÉQOL) et la liste orthographique du MELS (Québec), et d’autres basées sur des corpus pour adultes, comme Omnilex ou Manulex. Aucune liste n’est disponible pour le niveau secondaire.

Troisièmement, sur le plan des règles orthographiques, tout dépendant de la finalité de l’évaluation, nous pouvons choisir d’insister sur certaines et d’en omettre d’autres. Pour une dictée diagnostique de début d’année, je priorise l’évaluation de toutes les règles d’orthographe lexicale et grammaticale des années précédentes afin d’en vérifier la maitrise. Toutefois, lors de ma maitrise de recherche, j’ai fait quatre : 1) l’apostrophe n’est pas comprise, 2) un pronom complément LES, NOUS ou VOUS devant le verbe court-circuite la réflexion, 3) les règles de position (ex. : C doux/dur) ne sont pas maitrisées en 1er secondaire; 4) les accords grammaticaux de base (GN, sujet-verbe) constituent la majorité́ des erreurs, qu’importe la force de l’élève en français. Une autre stratégie à utiliser est d’utiliser des tournures de phrase qui imposent le questionnement (sujet-verbe inversés, subordonnée entre le sujet et le verbe...). C’est ce qui permet de vérifier que l’élève se pose des questions et les bonnes questions. En effet, si dans la phrase Dans le ciel s’agitent des milliers de papillons, plusieurs élèves ont tendance à dire que le sujet est ciel, parce que ce dernier est à gauche du verbe et non pas parce qu’ils se sont demandé « QUI s’agite? ».

En conclusion, une dictée diagnostique doit permettre de dresser un portrait des forces et des faiblesses des élèves et doit donc viser l’ensemble de l’orthographe. Elle est aussi utilisée pour faire ressortir des indicateurs de dysorthographie, comme il a été vu lors du webinaire Démarche efficace pour dépister une dysorthographie, afin de dépister les élèves en difficulté. Chaque mot doit avoir son utilité pour évaluer la maitrise de l’orthographe d’usage, des règles orthographiques et des règles grammaticales. On peut ainsi, dans un minimum de mots, trouver l’information qui nous intéresse. La dictée devrait être constituée de phrases courtes plus faciles et de phrases longues qui augmentent la difficulté́ pour l’élève à risque. En effet, l’élève en difficulté éprouve plus de difficulté avec les phrases longues, ce qui aide au dépistage. Finalement, la dictée doit bien évidemment être adaptée au niveau scolaire de l’élève et respecter la progression des apprentissages! Il serait inconcevable de noter une règle qui n’a pas été à l’étude!

Références

Desrochers, A. (2006). OMNILEX : Une Base de Données sur le Lexique du Français Contemporain. CLO/OPL, 34, 25-34. Repéré à :  http://aix1.uottawa.ca/~clo/Desrochers.pdf

Lété, B., Sprenger-Charolles, L., et Colé, P. (2004). Manulex: A grade-level lexical database from French elementary-school readers [Une base de données lexicale des lecteurs des écoles élémentaires françaises]. Behavior Research Methods, Instruments, & Computers, 36, 156-166.

Manesse, D. et Cogis, D. (2007). Orthographe : À qui la faute? Issy-les-Moulineaux, FR : ESF.

POTVIN, M. (2020) Validation d’un outil diagnostique de la compétence en orthographe lexicale et grammaticale du français des élèves francophones du Québec de première secondaire. Sherbrooke, QC : Université de Sherbrooke.  Repéré à : http://hdl.handle.net/11143/16465

Stanké, B., Dumais, C., Moreau, A., Royle, P. et Rezzonico, S. (2018). ÉQOL Échelle québécoise de l’orthographe lexicale. L’outil est disponible à : https://id.appligogiques.ca

Formée en orthopédagogie à l'Université de Sherbrooke au Québec et orthopédagogue depuis près de 25 ans, j'ai axé ma pratique privée vers le dépistage des difficultés d'apprentissage en français et en mathématique. Forte d'une solide formation et avec des outils standardisés, j'ai évalué plus de 250 élèves pour le dépistage de la dyslexie-dysorthographie. Sans cesse à l'affut des avancées scientifiques, j'ai poursuivi ma quête de savoirs, pendant toutes ces années, avec des formations continues, des participations à des congrès professionnels et des lectures sur les difficultés d'apprentissage. Conférencière et formatrice, j'aime partager ce que j'ai eu la chance d'apprendre et de développer en termes de compétences. Créatrice dans l'âme, je conçois aussi mon matériel d'enseignement et d'évaluation.