Par Marie-Pier Forest, doctorante en didactique des mathématiques à l’Université du Québec à Rimouski, campus de Lévis, et Dominic Voyer, professeur en didactique des mathématiques à l’Université du Québec à Rimouski, campus de Lévis
Il est désormais bien connu que les habiletés des élèves en lecture détiennent un rôle important en mathématiques, notamment en résolution de problèmes écrits. De nombreuses études ont été menées sur le sujet, dont certaines indiquent que les élèves ayant des difficultés combinées en mathématiques et en lecture réussissent significativement moins bien que leurs pairs en résolution de problèmes écrits (Jordan et al., 2003). D’autres recherches ont tenté de préciser les habiletés spécifiques en lecture qui interviennent dans la compréhension des problèmes écrits. L’habileté à émettre des inférences semble être l’une d’entre elles : elle serait reliée au rendement en résolution de problèmes écrits mathématiques (Goulet et Voyer, 2014; Luquette, 2018; Voyer et al., 2012). L’habileté à générer des inférences se définit comme la capacité du lecteur à faire des liens entre les informations explicites d’un texte et ses propres connaissances pour déduire des informations implicites (Giasson, 2011; Kispal, 2008).
Mais comment peut-on exploiter cette connaissance issue de la recherche en salle de classe? Autrement dit, comment tirer profit des apprentissages réalisés par les élèves sur les inférences, tant en lecture qu’en résolution de problèmes écrits? Il semble que l’enseignement de stratégies reliées aux inférences pourrait avoir des effets bénéfiques chez les élèves lorsque l’on fait un pont entre les disciplines du français et des mathématiques (Voyer et Forest, 2021). Nous faisons l’hypothèse que ce rapprochement entre la production d’inférences en contexte de compréhension de texte et en contexte de résolution de problèmes écrits pourrait être particulièrement profitable aux élèves en difficulté. Alors que nous savons que ces élèves tendent à générer moins d’inférences que leurs pairs pendant la lecture (Barth et al., 2015), il est possible de croire que de faire les liens entre les deux disciplines afin d’exploiter des connaissances construites en français pour les mettre à profit en mathématiques est un défi supplémentaire pour eux. Par ailleurs, selon le Ministère de l’Éducation de l’Ontario (2006b), la lecture est un « processus interactif de résolution de problèmes [qui] vise à construire le sens d’un texte. » (p. 8) De façon similaire, la lecture permet aussi de construire le sens d’un problème écrit afin de parvenir à sa résolution.
Considérons maintenant quelques exemples permettant de faire des liens entre la production d’inférences en français et en mathématiques. Dans un contexte de lecture, les enseignants amènent fréquemment leurs élèves à se poser des questions sur les textes lus, que ce soit avant ou après la lecture. Giasson (2011) nous rappelle que l’enseignant doit inciter les élèves à se représenter les personnages, à visualiser l’enchainement des actions et à expliciter ce que le texte ne dit pas, ce qu’on peut traduire par la production d’inférences. Ainsi, les élèves sont amenés à inférer à partir des titres, des sous-titres, des images, etc. Alors que de telles actions sont courantes en classe de français, elles semblent beaucoup moins fréquentes en mathématiques. Prenons le problème écrit suivant :
« Danielle va nourrir les poules et les vaches sur sa ferme. Elle compte 20 pattes. Combien de poules et combien de vaches Danielle doit-elle nourrir? Explique comment tu as trouvé la réponse. » (Ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2006a, p. 62)
À la lecture de ce problème, l’enseignant devrait amener les élèves à se représenter le contexte et à expliciter les données implicites, à l’instar de ce qui est fait en classe de français. Effectivement, pour résoudre ce problème, les élèves doivent nécessairement générer une inférence à partir de leurs connaissances antérieures, soit le nombre de pattes des poules et des vaches.
Soulignons que le Ministère de l’Éducation de l’Ontario (2006a) encourage un tel transfert des stratégies enseignées dans le cours de français au cours de mathématiques. Un second exemple concerne la formulation de questions par les élèves eux-mêmes à propos de leurs lectures. Certains chercheurs proposent en effet de faire rédiger aux élèves des questions par rapport aux textes qu’ils lisent, ce qui les aiderait à générer des inférences (Giasson, 2011). Cette avenue est également intéressante en mathématiques : à partir d’un problème écrit sans question, les élèves peuvent rédiger leurs propres questions qu’ils proposeront à leurs pairs. Considérons le problème écrit suivant :
« Aujourd’hui, c’est une journée parfaite pour faire des activités de plein air! Mahika et sa mère en profitent pour se rendre au centre de ski, qui est à 30 km de route. Rendues là-bas, elles attendent 20 minutes dans la file pour la location d’équipements. Heureusement, elles ont leur passe annuelle. Enfin prêtes à skier, elles font 6 descentes sur la piste « Familiale », 2 descentes sur la piste « Rigolo », puis 4 descentes sur la piste « L’Optimiste ». Elles s’arrêtent 50 minutes pour diner. En après-midi, elles font 3 descentes de plus qu’en avant-midi. À la fin de la journée, Mahika et sa mère retournent à la maison. »
À partir de cet énoncé, l’enseignant peut amener les élèves à formuler des questions menant à différents types de problèmes : des problèmes exigeant une recherche d’information, des problèmes contenant des données superflues ou implicites, des problèmes à plusieurs solutions, etc. On peut amener les élèves à rédiger des questions nécessitant une inférence, par exemple « quelle distance Mahika et sa mère ont-elles parcourue en voiture pour réaliser leur journée au centre de ski? » La réponse à cette question requiert la production d’une inférence, soit l’aller et le retour pour se rendre au centre de ski, étant donné que cette information ne se retrouve pas directement dans l’énoncé.
En conclusion, nous croyons qu’un lien plus étroit devrait exister entre l’enseignement et l’apprentissage de stratégies d’inférences en contexte de compréhension de texte et en contexte de résolution de problèmes écrits. Nous avons donné quelques exemples dans cet article, mais il y en a évidemment de nombreux autres, par exemple amener les élèves à discuter à propos des textes et des problèmes écrits, reconnaitre les inférences les plus importantes dans un contexte donné, procéder par déduction, etc. Alors que l’habileté à inférer est surtout travaillée en français, nous croyons qu’elle devrait être travaillée en mathématiques de façon parallèle. En exploitant davantage ce lien en salle de classe, tous les élèves pourraient en bénéficier, notamment les élèves en difficulté.
Références
Barth, A. E., Barnes, M., Francis, D., Vaughn, S. et York, M. (2015). Inferential processing among adequate and struggling adolescent comprehenders and relations to reading comprehension. Reading and Writing, 28(5), 587-609. https://doi.org/10.1007/s11145-014-9540-1
Giasson, J. (2011). La lecture : apprentissage et difficultés. Gaëtan Morin Éditeur.
Goulet, M.-P. et Voyer, D. (2014). La résolution de problèmes écrits d’arithmétique : le rôle déterminant des inférences. Éducation et francophonie, 42(2), 100-119. https://doi.org/10.7202/1027908ar
Jordan, N. C., Hanich, L. B. et Kaplan, D. (2003). A longitudinal study of mathematical competencies in children with specific mathematics difficulties versus children with comorbid mathematics and reading difficulties. Child Development, 74(3), 834-850. https://doi.org/10.1111/1467-8624.00571
Kispal, A. (2008). Effective teaching of inference skills for reading. Literature review (Research Report DCSF-RR031). National Foundation for Educational Research, Department of Education (Division of Children, School and Families).
Luquette, M. (2018). Nature et rôle des inférences impliquées dans la résolution de problèmes mathématiques [thèse de doctorat, Université de Montréal]. Papyrus. https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/20053/Luquette_Marie_2017_these.pdf?sequence=2
Ministère de l’Éducation de l’Ontario. (2006a). Guide d’enseignement efficace des mathématiques de la maternelle à la 6e année. Fascicule 2. Gouvernement de l’Ontario. http://atelier.on.ca/edu/resources/guides/GEE_math_M_6_fasc2.pdf
Ministère de l’Éducation de l’Ontario. (2006b). Le curriculum de l’Ontario de la 1re à la 8e année - Français. Gouvernement de l’Ontario. http://www.edu.gov.on.ca/fre/curriculum/elementary/language18currb.pdf
Voyer, D., Beaudoin, I. et Goulet, M.-P. (2012). De la lecture à la résolution de problèmes : des habiletés spécifiques à développer. Revue canadienne de l'éducation, 35(2), 401-421. https://www.jstor.org/stable/canajeducrevucan.35.2.401
Voyer, D. et Forest, M.-P. (2021). Apprendre à faire des inférences en classe : une façon de développer ses habiletés en lecture et en mathématiques [communication orale]. 8e colloque international en éducation du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE).
Marie-Pier Forest poursuit des études de troisième cycle en éducation à l’Université du Québec à Rimouski, campus de Lévis. Elle est étudiante chercheuse du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE) et assistante de recherche au Réseau de recherche et de valorisation de la recherche sur le bien-être et la réussite (RÉVERBÈRE). Ses intérêts de recherche portent sur l’enseignement des mathématiques par la résolution de problèmes et sur le développement d’une compréhension conceptuelle chez les élèves du primaire.
Dominic Voyer est professeur en didactique des mathématiques à l’Université du Québec à Rimouski, campus de Lévis. Il est chercheur régulier du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE). Il est codirecteur du Réseau de recherche et de valorisation de la recherche sur le bien-être et la réussite (RÉVERBÈRE) et chercheur au Laboratoire sur la recherche-développement au service de la diversité (Lab-RD2). Ses recherches actuelles portent sur l’enseignement des mathématiques au primaire. Il s’intéresse notamment aux liens entre les habiletés en lecture et la résolution de problèmes écrits de mathématiques, au développement des compétences en numératie chez les jeunes élèves et à la démarche de recherche-développement en milieu scolaire.
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