Par Nathalie Chapleau
Les compétences en littératie sont étroitement associées à la réussite dans l’ensemble des matières scolaires. Un des défis que rencontre le scripteur débutant est l’apprentissage du code orthographique. Selon de Weck et Marro (2010), la maitrise de l’orthographe lexicale suppose l’acquisition d’un lexique orthographique constitué de représentations mentales associées aux connaissances phonologiques, orthographiques et sémantiques. À ce propos, certains auteurs (Appel et coll., 2006; Berninger et coll., 2009) indiquent que, plus les connaissances du scripteur sont stables, plus il peut mobiliser ses ressources pour effectuer des tâches complexes comme le choix de l’information ou l’organisation de son discours lors de la rédaction d’un texte. Selon Fayol (2013), un enseignement explicite précoce favorise l’apprentissage de l’orthographe lexicale. Par conséquent, ce projet de recherche a pour finalité : le développement des représentations orthographiques par l’apprentissage de stratégies de mémorisation auprès de scripteurs débutants ayant des troubles d’apprentissages (TA) ou présentant des difficultés d’apprentissage.
Contexte de recherche
Ce projet de recherche s’est déroulé au Centre de services orthopédagogiques de la Faculté des sciences de l’Éducation de l’Université du Québec à Montréal. Des étudiantes, provenant du baccalauréat en enseignement en adaptation scolaire de niveau primaire et de la maitrise en orthopédagogie, ont effectué les évaluations et les interventions développées dans le cadre de cette étude.
D’une durée de dix semaines, le projet est subdivisé en deux phases. La première d’une durée de quatre semaines se nomme : niveau de base. L’objectif de cette phase est d’établir le portrait de l’élève avant l’intervention. La seconde correspond à la phase d’intervention. Elle est d’une durée de six semaines. L’objectif de cette phase est de développer des connaissances et des stratégies favorisant la mémorisation de l’orthographe des mots correspondant au niveau scolaire de l’élève.
La première phase débute par une séance préparatoire qui permet à l’élève de se familiariser avec les composantes du programme d’intervention orthopédagogique. De façon plus précise, l’élève découvre les objectifs de l’intervention ainsi que le matériel qui sera utilisé lors de la phase d’intervention. Puis, cette phase se poursuit par l’établissement du niveau de base. Les apprentissages des élèves au regard de la production de mots de niveau 1re année (MELS, 2014) sont identifiés par la prise de mesures continues. Ainsi, chaque semaine de cette phase, l’élève effectue une dictée comprenant 50 mots (voir tableau 1). Ces mots sont extraits de la liste orthographique du MELS (2014) et sont classés en 3 catégories : 1) les mots de haute fréquence et de la classe fermée (ex. : maman, chat, le); 2) les mots de basse fréquence ayant majoritairement des graphèmes acontextuels (ex. : arbre, cheval, petit) 3) les mots de basse fréquence ayant majoritairement des graphèmes contextuels ou dérivables par la morphologie ou comportant des graphèmes associés à des règles ou des régularités orthographiques (ex. : nuit, oiseau, grand). Les mots dictés sont les mêmes durant les deux phases d’intervention et aucune rétroaction n’est effectuée après la passation des dictées. Cette phase ainsi que la procédure utilisée est déterminante pour le chercheur afin de vérifier l’effet de l’intervention. Pour le praticien, cette phase permet d’observer les connaissances et les représentations orthographiques de l’élève, particulièrement par l’analyse de ses erreurs.
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La phase d’intervention succède au niveau de base. D’une durée de six semaines, elle comporte 12 séances rééducatives (deux rencontres de 60 minutes/semaine). Les six premières séances rééducatives mettent l’accent sur le développement des mots de la catégorie 2 alors que les mots de la catégorie 3 sont travaillés pendant les six séances rééducatives suivantes. Durant les six semaines d’intervention, les mots de la catégorie 1 sont présentés lors de la réalisation des activités, mais ils ne font pas l’objet d’un enseignement spécifique. Après deux séances rééducatives, la dictée est effectuée par l’élève, soit chaque semaine. Cette prise de mesures continues permet d’observer l’évolution des apprentissages du participant, au cours des 10 semaines du projet.
Description des interventions de la phase 2
Les interventions orthopédagogiques privilégient un enseignement explicite ainsi qu’une intervention directe pour l’enseignement de stratégies. Ces choix s’appuient sur des travaux de recherche ayant démontré un effet significatif de ce type d’intervention auprès des élèves présentant des difficultés d’apprentissage (Chard et coll., 2002; Swanson et coll., 1999 et 2000; Wanzek et coll., 2006). Dans le cadre de cette recherche réalisée en contexte orthopédagogique, la modalité d’intervention est individuelle. Toutefois, l’intervention peut s’effectuer auprès d’un sous-groupe d’élèves ayant des besoins similaires par le titulaire de la classe ou par un enseignant spécialisé dans l’intervention auprès des élèves ayant des troubles d’apprentissage.
Le programme d’intervention orthopédagogique est constitué de 14 activités dont certaines s’effectuent à chacune des séances rééducatives alors que d’autres sont proposées lors de séances distinctes (voir tableaux 2 et 3). Cette alternance des activités favorise le développement des apprentissages puisqu’elle permet de mobiliser différentes capacités liées à la mémorisation de l’orthographe lexicale.
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Chacune des séances rééducatives se compose de trois phases. La phase de préparation comporte des activités permettant à l’élève d’activer ses connaissances, de faire des liens avec les séances précédentes et les activités réalisées en classe. De plus, la révision cumulative des mots permet l’imprégnation à long terme des représentations orthographiques. Lors de la phase de réalisation, plusieurs activités permettent à l’élève de manipuler les mots enseignés. Afin de développer les représentations orthographiques, l’élève identifie et produit les mots en situation isolée et contextualisée. Ces activités s’effectuent en modalité orale et écrite à l’aide d’un matériel varié comme des lettres aimantées, des crayons effaçables à sec ou à l’ordinateur. Par exemple, une des activités consiste à se fabriquer un porte-mot qui sera utilisé pour mémoriser l’orthographe ainsi que pour réviser les mots appris (voir tableau 4, activité 1). Une autre activité, vise à mettre l’accent sur les particularités du mot en invitant l’élève à faire un dessin ou à mettre de la couleur sur la lettre ou les lettres qu’il ne parvient à mémoriser (voir tableau 4, activité 5). De plus, dans une autre activité, l’élève est incité à découvrir le sens du mot en l’insérant dans une phrase (voir tableau 4, activité 7). La dernière phase de chaque séance permet à l’élève d’intégrer ses connaissances et de démontrer son habileté à produire les mots écrits dans un texte lacunaire. Ainsi, dans ce programme d’interventions orthopédagogiques, chacune des activités proposées à l’élève permet de développer les codes phonologique, orthographique et sémantique associés aux mots à apprendre.
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Résultats : le portrait d’un élève
Puisque dans un protocole individuel chaque élève constitue son propre contrôle, l’analyse des données s’effectue selon une perspective idiographique (Neuman, 2011). Dans le cadre de cette publication, afin de démontrer les changements observés sur la capacité à orthographier les mots écrits, un élève, fréquentant un groupe de la 1re année du 1er cycle du primaire provenant de la région montréalaise, a été retenu. Lors de sa participation à l’étude, cet élève, âgé de 7 ans et 7 mois, fréquentait le Centre de services orthopédagogiques depuis 5 mois. En effet, au début de l’année scolaire, le psychologue a identifié un déficit de l’attention avec hyperactivité et il a suggéré une intervention orthopédagogique afin d’éviter une augmentation des retards scolaires. Ce programme d’intervention a été proposé, car malgré les progrès observés en lecture, l’élève ne parvenait pas à apprendre le lexique orthographique enseigné en classe.
Les résultats aux mesures continues, prises par l’intermédiaire de la dictée de mots, permettent d’observer l’évolution des représentations orthographiques des mots travaillés dans le cadre de ce programme d’interventions (voir figure 1). Le niveau de base du devis de recherche se compose de quatre dictées de mots. Les résultats de l’élève débutent à un niveau assez élevé (29/50). Il produit adéquatement : 15/20 mots de catégorie 1, 8/15 mots de catégorie 2 et 6/15 mots de catégorie 3. Au terme de l’intervention, l’élève obtient un résultat global de 44/50. Ainsi, après six semaines d’interventions orthopédagogiques, le pourcentage d’amélioration est de 30%. Les mots de niveau 3 présentent une progression importante puisque l’élève orthographie adéquatement 14 mots sur 15. Pour les mots de catégorie 1, il obtient un résultat de 18/20 et pour les mots de catégorie 2, un résultat de 12/15 est noté. Selon la carte de contrôle, les résultats obtenus à la neuvième et à la dixième semaine d’intervention démontrent l’effet significatif de cette intervention.
Résultats : le portrait d’un élève
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L’analyse qualitative des erreurs de l’élève révèle ses progrès en ce qui concerne l’ensemble des catégories de mots. Par exemple, le mot « cheval » (mot de catégorie 2) est orthographié ainsi lors de la première prise de mesure « chevalle ». Au terme de l’intervention, l’élève produit le mot avec précision. Quant aux mots de catégorie 3, des changements sont également constatés (oisau ® oiseau, doud ® doux). En somme, les activités ont permis à l’élève de produire adéquatement la majorité des mots travaillés lors des séances rééducatives en l’amenant à centrer ses ressources attentionnelles et mnésiques sur l’objet d’apprentissage.
À retenir
Lors de la production de mots écrits, le scripteur sollicite différentes connaissances et utilise des stratégies variées. En effet, puisqu’en français le langage écrit comporte des particularités, afin de respecter l’orthographe lexicale, le scripteur doit développer d’une part, des connaissances reliées aux règles permettant de traduire la phonologie (son de la langue) en orthographe (lettres ou graphèmes; Mousty et Alegria, 1999) et d’autre part, des connaissances reliées au lexique orthographique, aux règles orthographiques, aux graphèmes particuliers des mots ainsi qu’aux informations morphologiques (Pacton et coll., 2005). Ce programme d’interventions orthopédagogiques, par sa fréquence, sa structure et l’approche privilégiée, a permis à l’élève participant à cette étude de développer ses représentations orthographiques. En effet, malgré certains TA ou difficultés d’apprentissage, la réalisation d’activités sollicitant les codes phonologique, orthographique et sémantique est efficace pour le développement de la capacité à orthographier les mots avec précision. Ainsi, pour le scripteur débutant, particulièrement celui ayant des TA ou qui présente des difficultés d’apprentissage, un enseignement spécifique portant sur l’orthographe des mots est nécessaire afin d’en faciliter leur mémorisation. De plus, cet enseignement peut amener l’élève à développer des stratégies d’apprentissages lui permettant de mémoriser l’orthographe des mots de façon autonome.
Questions de réflexion :
- Qu’est-ce qui différencie l’orthographe lexicale de l’orthographe grammaticale?
- Trouvez un exemple qui illustre chacun des types de connaissances préalables à la maîtrise de l’orthographe lexicale : phonologiques, orthographique et sémantiques.
- Quelles sont les difficultés liées à l’orthographe lexicale que vous observez chez vos élèves?
- Nommez deux moyens qui facilitent l’apprentissage de l’orthographe lexicale?
- Quelles pistes d’intervention avez-vous retirées suite à la lecture de cet article?
Ressources
Chapleau, N. (2015). Programme d’interventions orthopédagogiques en orthographe lexicale. http://www.archipel.uqam.ca/id/eprint/6994
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2014). Liste orthographique, français langue d’enseignement, enseignement primaire. Québec : auteur. Récupéré le 7 mai 2015 de http://www.mels.gouv.qc.ca/references/publications/resultats-de-la-recherche/detail/article/liste-orthographique-a-lusage-des-enseignantes-et-des-enseignants/
Ressources pertinentes sur le site TA@l’école
Références bibliographiques
Apel, K., Masterson, J.J. et Niessen, N.L. (2006). Spelling Assesment Framewoks. Dans Stone C.A., Silliman E.R., Ehren, B.J. et Apel, K. (Éds.), Handbook of Language and Literacy (pp.644-659). New York : The Guilford Press.
Berninger, V.W., Garcia, N.P. et Abbott, R.D. (2009). Multiple Processus That Matter in Writing: Instruction and Assessment. Dans Troia, G. A. (éd), Instruction and Assessment for Struggling Writers: Evidence Based Practices (pp.15-50). New York: The Guilford Press.
Chard, D. J., Vaughn, S. et Tyler, B.-J. (2002). A synthesis of research on effective interventions for building reading fluency with elementary students with learning disabilities. Journal of learning disabilities, 35(5), 386-406.
de Weck, G., et Marro, P. (2010). Les troubles du langage chez l'enfant: Description et évaluation. Paris : Masson.
Fayol, M. (2013). L'acquisition de l'écrit. Paris : Presses universitaires de France.
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Mousty, P. et Alegria, J. (1999). L'acquisition de l'orthographe. Données comparatives entre enfants normo-lecteurs et dyslexiques. Revue française de pédagogie, 126, 7-22.
Neuman, S. B. (2011). Single-subject experimental design. In N. K. Duke & M. H. Mallette (Eds.). Literacy research methodologies (p. 383-403). New York : The Guilford Press.
Pacton, S., Foulin, J. N. et Fayol, M. (2005). L’apprentissage de l’orthographe lexicale. Rééducation orthophonique, 222, 47-68.
Swanson, L. H., Hoskyn, M. et Lee, C. (1999). Interventions for students with learning disabilities. New York : Guilford Press.
Swanson, L. H. et Sachse-Lee, C. (2000). A meta-analysis of single-subject-design intervention research for students with LD. Journal of learning disabilities, 33(2), 114-136.
Wanzek, J., Vaughn, S., Wexler, J., Swanson, E. A., Edmonds, M. et Ae-Hwa K. (2006). A synthesis of spelling and reading interventions and their effects on the spelling outcomes of students with LD. Journal of learning disabilities, 39(6), 528-543.
Nathalie Chapleau, Ph. D en éducation, est professeure au Département d’éducation et de formation spécialisées de l’Université du Québec à Montréal. Elle est également la fondatrice et la responsable du Centre de services orthopédagogiques de la Faculté d’Éducation de l’UQAM. Ses travaux de recherche portent sur les premiers apprentissages et l’intervention auprès de l’élève dyslexique-dysorthographique. Plus précisément, sa recherche doctorale a permis de valider un programme d’intervention orthopédagogique misant sur la morphologie dérivationnelle pour compenser les difficultés alphabétiques et orthographiques de lecteurs-scripteurs en difficulté. Récemment, elle a développé et validé un test de conscience morphologique auprès des normoscripteurs et des scripteurs en difficulté. Elle est titulaire d’une maîtrise en enseignement au primaire portant sur l’enseignement explicite des stratégies de lecture. Pendant plusieurs années, elle a œuvré en milieu scolaire et en pratique privée. Elle a également été orthopédagogue professionnelle au sein d’une équipe-conseil élaborant des services pour l’élève présentant une dyslexie-dysorthographie.
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