Par Pascal Lefebvre, PhD
La diversité des apprenants peut faire en sorte que l’enseignement de la littératie peut sembler un casse-tête. En effet, plusieurs caractéristiques des élèves, comme leurs contextes familiaux et socioéconomiques, leurs référents socioculturels, linguistiques et religieux, leur appartenance à une ou à des communautés autochtones, leur parcours migratoire ou celui de leur famille, leur connaissance de la langue française, la présence ou non de troubles développementaux ou de difficultés d’adaptation ou d’apprentissage ou la présence ou non d’une douance, font en sorte que les besoins des apprenants sont très variés.
Le présent article est destiné aux dirigeants et décideurs du système des conseils scolaires ainsi qu’aux directions d’école qui travaillent en collaboration avec les membres des équipes-écoles, qui désirent réfléchir sur les incontournables à planifier et à mettre en place afin de mieux répondre aux besoins d’apprentissage de tous les élèves en matière de littératie. Pour ce faire, une démarche en quatre recommandations est proposée puis synthétisée dans un arbre décisionnel. Les quatre recommandations de cette démarche sont ancrées dans les politiques et pratiques en éducation informées des données probantes. Elles s’inscrivent les modèles de soutiens à paliers multiples (palier 1 pour l’enseignement universel, palier 2 pour l’intensification en sous-groupes et le palier 3 pour les interventions individualisées), la pratique collaborative et la conception universelle de l’apprentissage. Ces recommandations s’appuient sur de nombreuses sources de données probantes issues de la pratique et de la recherche (Almeqdad et al., 2023 ; Burkins & Yates, 2021; Castles & Nation, 2022; Desrochers, 2022 ; Duke & Cartwright, 2021; Ehri, 2022 ; Katz, 2012; Kemp & Traiman, 2022; Moats, 2020; Pressley et al., 2023; Savage, 2022; Spear-Swerling, 2022; Wanzek et al. 2019). L’arbre décisionnel en quatre recommandations permet aux administrateurs et au personnel des écoles des conseils scolaires d’effectuer un suivi sur l’état de la mise en œuvre de programmes de littératie fondés sur des données probantes.
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Recommandation 1 : S’assurer de l’acquisition des fondements à l’apprentissage formel de la lecture et de l’écriture pendant le cycle préparatoire, avant l’entrée en 1re année du primaire
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Lorsque les élèves fréquentent la maternelle et le jardin, il est important de s’assurer que ces derniers acquièrent le bagage nécessaire pour commencer les apprentissages formels de la lecture et de l’écriture en 1re année du primaire. Les situations d’apprentissages en classe au cycle préparatoire devraient donc cibler les connaissances et habiletés des élèves dans deux sphères importantes du développement : la communication orale et l’éveil à la lecture et à l’écriture. Un bon point de départ pour mieux planifier l’enseignement de ces habiletés est de dresser un portrait de classe à partir d’un dépistage universel dans ces deux sphères de développement.
Communication orale
Les habiletés de communication orale à vérifier au début de la maternelle sont : l’intelligibilité de la parole, le vocabulaire et les concepts compris et exprimés, la capacité à produire et à comprendre des phrases, la capacité à raconter de façon claire et à comprendre ce qui est raconté, ainsi que la capacité d’ajuster son langage selon ses interlocuteurs et de façon à soutenir une conversation, et ce, dans la langue d’enseignement (ASHA, 2023). La façon la plus efficace pour dépister les élèves qui ont des besoins au niveau du langage oral consiste à les observer dans divers contextes de communication, ou encore, de faire appel aux parents et aux enseignantes pour remplir un questionnaire de dépistage (Jullien, 2021; Pua et al., 2017 ; Siu, 2015 ; Wallace. et al., 2015). Il existe divers outils validés par la recherche permettant d’effectuer de type de dépistage comme, par exemple, Ages and Stages Questionnaire (ASQ-3; Squires et al. 2009), Language Development Survey (LDS ; Rescorla, 1989), MacArthur-Bates ou Communicative Development Inventory (MB-CDI; Fenson et al., 2007). D’autres questionnaires ont aussi été développés en utilisant des critères de développement langagier qui ont fait l’objet de recherches scientifiques (Dias et al., 2020). Des adaptations françaises de ces outils sont parfois disponibles.
Les élèves déjà identifiés avec des troubles de la communication (p. ex. : trouble développemental du langage, trouble des sons de la parole, dyspraxie verbale, trouble du spectre de l’autisme, etc.) avant l’entrée à l’école n’ont pas besoin de participer à ce dépistage. Des suivis en orthophonie de palier 3 et les mesures de différenciation pédagogique nécessaires (voir la recommandation 4) devraient être planifiés et mis en place pour ces élèves dès leur entrée à l’école. Les élèves dont les besoins langagiers n’avaient pas été décelés avant leur entrée à l’école ainsi que ceux qui ont été peu exposés à la langue d’enseignement hors de l’école sont habituellement identifiés lors de ce dépistage. Il est alors important d’assurer la mise en place de sous-groupes d’intensification de palier 2 en communication orale en français pour tous ces élèves qui ont des besoins langagiers, et ce, dès le début de l’année, en plus d’un palier 1 qui intègre des contextes langagiers riches et authentiques (voir la recommandation 3). Cet enseignement pour tous, riche en interactions verbales positives et en contextes authentiques de lecture et d’écriture, ainsi que ces interventions de palier 2 en communication orale permettent aussi de soutenir le développement des élèves déjà identifiés avec des troubles de la communication. Il existe de nombreuses études démontrant l’efficacité des d’interventions de palier 2 en sous-groupes, pour accélérer le développement des sons de la parole, le vocabulaire, les habiletés narratives ou de compréhension langagière (p. ex. : Acosta et al., 2022 ; Bowyer-Crane et al., 2008 ; Dockrell et al., 2010 ; Fricke et al., 2013, 2017 ; Goldfeld et al. 2022; Kelley & Goldstein, 2014; Lee & Pring, 2016 ; Lonigan & Phillips, 2016 ; Marulis & Neuman, 2010; Petersen et al., 2022; Quigley et al., 2022; Sedgwick & Stothard, 2018; Shepley & Grisham-Brown, 2019; Spencer et al., 2015, 2020; Zucker et al., 2013). Ces études peuvent servir de guide pour déterminer les paramètres favorisant l’efficacité de ces interventions.
La collaboration entre les enseignantes titulaires, les éducatrices de la petite enfance, les enseignantes ALF et PANA, les conseillères pédagogiques et les services d’orthophonie est recommandée pour la conception et la mise en place du dépistage en communication orale et des sous-groupes d’intensification de palier 2.
Éveil à la lecture et à l’écriture
Les habiletés d’éveil à la lecture et à l’écriture les plus importantes à enseigner pendant le cycle préparatoire sont la conscience de l’écrit incluant la connaissance du nom et de la graphomotricité des lettres, la conscience phonologique incluant la conscience phonémique ainsi que le principe alphabétique incluant le son des lettres.
La façon la plus efficace pour dépister les élèves qui ont des besoins en matière d’éveil à l’écrit est de tester directement les élèves en utilisant des épreuves de dépistage. Des dépistages sur ces habiletés sont habituellement effectués pendant le cycle préparatoire pour vérifier l’état des apprentissages dans ces domaines, mais un dépistage en début de 1re année est aussi conseillé, afin de mettre à jour les données d’apprentissage des élèves à la suite de la période des vacances d’été. À la fin du cycle préparatoire et au début de la première année, en conscience phonémique, il faut s’assurer que les élèves puissent segmenter des syllabes simples (CV, VC, CVC) en sons et fusionner des sons pour former des syllabes simples (Rice et al., 2022, 2023; Schuele & Boudreau, 2008). Les élèves devraient aussi être capables de nommer le nom d’au moins 18 lettres majuscules et de 15 lettres minuscules (Piasta et al., 2012). Ils devraient aussi pouvoir écrire leur prénom de façon lisible et automatique (Puranik et Lonigan, 2012). Pour le principe alphabétique, l’élève devrait comprendre la relation entre l’oral et l’écrit et connaitre le son d’au moins 3 lettres (Desrochers et al., 2011 ; Biot-Chevrier et al., 2009) en étant capable de répondre à des questions du genre: si je dois commencer à écrire un mot qui commence par le son “ssss”, je vais écrire quelle lettre en premier? Ou encore: si je lis un mot qui commence par la lettre r, je dois prononcer quel son au début de ce mot?
Si au moins 80% des enfants réussissent toutes ces épreuves de dépistage à la fin du cycle préparatoire, cette donnée nous indique que les élèves de la classe sont prêts à amorcer leur apprentissage formel de l’identification de mots en lecture et de l’orthographe en l’écriture. Cependant, le 20% des enfants qui n’ont pas réussi les épreuves de dépistage devraient accès à des sous-groupes d’intensification au cycle préparatoire et dès le début de l’année scolaire en 1re année pour leur permettre de suivre en classe. Cette intensification devrait tenir compte des paramètres suivants (Fuch et at., 2017) : (1) une bonne force de l’intervention selon les données de la recherche ; (2) un dosage d’environ 20 à 30 minutes, trois fois par semaine, pendant au moins 10 semaines dans un sous-groupe d’environ 3 à 5 élèves permettant de la rétroaction ; (3) un bon alignement avec les déficits de l’élève et les attentes du programme de formation ; (4) une attention particulière au transfert des acquis dans d'autres formats et contextes ; (5) un respect des principes d'enseignement explicite (modelage, étayage, pratique autonome) ; (6) un soutien comportemental qui incorpore l’autorégulation ; et (7) un suivi des progrès individualisé permettant l’ajustement des interventions. Pendant cette intensification, les mesures de suivi de progrès devraient permettre d’identifier les élèves qui ont de plus grands besoins et qui requièrent des interventions individualisées de palier 3. La proportion des élèves ayant besoin du palier 3 ne devrait pas dépasser environ 5% des élèves de la classe ; si la grande majorité des élèves qui ont bénéficié du palier 2 n’ont pas effectué les progrès escomptés, il est plutôt recommandé de réviser les paramètres du palier 2. La collaboration avec les enseignantes-ressource et les orthophonistes est recommandée pour la mise en place de tels sous-groupes d’intensification de palier 2 et interventions individualisées de palier 3.
Si moins de 80% des enfants réussissent certaines épreuves de dépistage, il serait important de reprendre les habiletés déficitaires dans l’enseignement pour tous du palier 1 avant de mettre en œuvre la recommandation 2, quitte à repasser ensuite un dépistage pour s’assurer d’une maîtrise des habiletés par la très grande majorité des élèves. La collaboration avec les conseillères pédagogiques, les enseignantes-ressource et les orthophonistes est recommandée pour mettre en place les dépistages et rehausser l’enseignement universel de palier 1 en matière d’éveil à la lecture et à l’écriture au cycle préparatoire.
Recommandation 2 : Planifier l’enseignement explicite et systématique de l’identification des mots et de leur orthographe à partir de la 1re année du primaire
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L’enseignement de l’identification des mots et de leur orthographe consiste à mettre en application le principe alphabétique en enseignant les correspondances graphèmes-phonèmes (CGP) et phonèmes-graphèmes (CPG), les stratégies de décodage et d’encodage, les régularités orthographiques et morphologiques, sans oublier le vocabulaire. Le but est d’automatiser l’identification des mots et de leur orthographe. Une révision rapide des fondements en matière de conscience phonémique, de connaissance du nom des lettres, de graphomotricité des lettres et du principe alphabétique est recommandée en début de 1re année pour toute la classe. À noter que l’enseignement de la graphomotricité, du nom et du son des lettres ainsi que de la conscience phonémique dans des structures syllabiques plus complexes doit de poursuivre en 1re année du primaire et, pour la graphomotricité et le son des lettres, aussi en 2e année du primaire.
Séquence d’apprentissage des CPG/CPG
La planification de cet enseignement passe tout d’abord par l’adoption d’une séquence d’apprentissage des CGP/CPG permettant à un plus grand nombre d’élèves possible d’entrer de façon efficace dans le décodage des mots. Il est recommandé de combiner l’enseignement des CGP et des CPG afin de bien solidifier les relations entre les graphèmes et les phonèmes, tant en identification de mot en lecture qu’en orthographe en écriture (Graham, 2020; Graham et al., 2018). Cette séquence doit tenir en compte de facteurs tels que la fréquence des CGP/CPG, la consistance des CGP/CPG, la complexité du graphème, la facilité à segmenter ou à fusionner le phonème, et l’implication de règles contextuelles (Larsen et al., 2020). La fréquence des CGP/CPG représente la probabilité de rencontrer un graphème qui correspond à un phonème précis ou de devoir écrire un phonème qui correspond à un graphème donné dans les textes. Ceci est différent de la fréquence d’un graphème ou d’un phonème dans les textes. La consistance des CGP/CPG, aussi appelée entropie ou stabilité, réfère à la proportion d’un graphème qui correspond à un phonème donné ( p. ex. : le graphème c associé au son /s/ par rapport à toutes les occurrences de ce graphème (p. ex. : le graphème c associé aux sons /s/, /k/ ou encore muet) ou la proportion d’un phonème associé à un graphème donné (p.ex. : le son /o/ qui s’écrit avec le graphème o) par rapport à toutes les occurrences de ce phonème (p. ex. : le son /o/ qui s’écrit avec les graphèmes o, ô, au et eau). La complexité du graphème au nombre de lettres dans le graphème ; un graphème simple est composé d’une seule lettre, tandis qu’un graphème complexe contient plus d’une lettre. La facilité à segmenter ou à fusionner un phonème réfère à la nature du son : les sons continus (les voyelles ainsi que les consonnes fricatives, nasales ou liquides) sont plus faciles à manipuler dans les tâches de segmentation et fusion phonémiques que les phonèmes non continus (les consonnes occlusives). Les règles contextuelles renvoient aux conventions de l’orthographe qui dictent le phonème associé à un graphème selon les lettres avoisinantes (p.ex. : le graphème s entre deux voyelles se prononce avec le phonème /z/). En gros, les CGP/CPG plus fréquentes, plus consistantes, dont le graphème est simple et acontextuel et dont le phonème est continu sont plus faciles et utiles à acquérir en début d’apprentissage que les CGP/CPG plus rares, moins consistantes, dont le graphème est complexe ou contextuel et dont le phonème est non continu. Une séquence respectant ces principes a été proposée par Sprenger-Charolles (2017), puis reprise par des ressources didactiques telles que Graphone (CSS des Chênes, 2020). Cette séquence devrait prévoir l’enseignement d’au moins 2 à 3 CGP/CPG par semaine, afin de couvrir l’ensemble des correspondances à enseigner et d’assurer la réutilisation constante des correspondances déjà enseignées. Il est recommandé de voir la majorité des CGP/CPG en 1re année, puis de revoir les plus difficiles à maitriser en 2e année et au-delà (surtout pour les CGP/CPG contextuelles, par exemple).
Approches analytique et synthétique
Ensuite, l’enseignement des CGP/CPG devrait combiner les approches analytique et synthétique afin de rejoindre une plus grande proportion des apprenants. Il est recommandé de commencer chaque enseignement par l’approche analytique qui permet aux élèves de découvrir de façon active, sous la guidance de l’enseignante, les CGP/CPG, tout en stimulant le principe alphabétique et la conscience phonémique. Par exemple, en partant de quelques pages d’un album jeunesse déjà lu en classe, l’enseignante enseigne une CGP en invitant les enfants à trouver toutes les lettres o/O minuscules et majuscules, par exemple, dans le texte. Lorsqu’un o/O est identifié, l’enseignante prononce le mot pour retrouver le son associé à ce graphème. De cette façon, les élèves découvrent que la lettre o/O peut être toute seule pour nous indiquer de prononcer les sons /o/ ou /o ouvert/ dans les mots qu’on lit, même lorsqu’elle apparait avec un accent circonflexe, mais que cette lettre travaille en équipe avec d’autres lettres pour nous indiquer de prononcer d’autres sons dans les mots comme dans le cas de on, ou, oi, oin et om, par exemple. Ensuite, l’enseignement de la CPG peut s’enchainer à partir du même texte en invitant les élèves à lever la main lorsqu’ils entendent le son /o/ dans un mot pendant que l’enseignante lit le texte pour vérifier avec quelle(s) lettre(s) l’auteur a écrit ce son dans les mots. Lorsqu’un élève identifie un mot qui contient le son /o/, on peut localiser le son dans le mot (début, milieu ou fin) et aller repérer dans le mot comment est écrit ce son. Les élèves vont alors apprendre que le son /o/ dans les mots peut s’écrire de différentes façons: o, ô, au ou eau. Les élèves pourront même apprendre que le son /o/ s’écrit plus souvent avec les lettres au au début et au milieu des mots et eau à la fin de mots. L’approche analytique permet donc de rendre compte de la réalité des CGP/CPG dans les textes, donc de mettre en place une certaine flexibilité cognitive dès le début de l’apprentissage et d’exposer les élèves aux régularités orthographiques et statistiques impliquées dans l’utilisation des CGP/CPG. Il est nécessaire ensuite de mettre l’accent sur les aspects qui feront l’objet d’un apprentissage par l’approche synthétique en expliquant aux élèves, par exemple, que pendant la semaine, ils auront à apprendre à lire et à écrire des mots qui contiennent la lettre o/O, mais que dans ces mots, le son associé à cette lettre sera toujours /o/, et vice-versa, que le son /o/ s’écrira toujours avec la lettre o/O. Ainsi, les autres sons à prononcer lorsqu’on lit la lettre o/O dans les mots et les autres façons d’écrire le son /o/ dans les mots seront enseignés puis pratiqués plus tard dans l’année.
L’approche synthétique permet ensuite d’investir l’apprentissage d’une nouvelle CGP/CPG dans une séquence d’exercices de lecture/écriture de syllabes, de mots, de phrases et de courts textes. Ainsi, l’élève est en mesure d’utiliser des habiletés de décodage et d’encodage sur la grande majorité des mots auxquels il est confronté et peut ainsi enclencher le mécanisme d’autoapprentissage qui consiste à s’enseigner à lire et à écrire les mots de façon automatique, tout en apprenant les régularités de l’orthographe par apprentissage statistique. Quelques éléments importants sont alors à considérer. Tout d’abord, les syllabes, mots, phrases et textes devraient être décodables et encodables par les CGP/CPG, la complexité des structures syllabiques devrait être contrôlée et les régularités orthographiques et morphologiques devraient déjà avoir été enseignées. Il est donc important de poursuivre en parallèle l’enseignement de la segmentation et de la fusion phonologiques dans des structures plus complexes (CCV, CCVC, CVCC, CCVCC) et des mots à plus d’une syllabe. Plusieurs ressources didactiques endossent cette approche. Par exemple, dans ces ressources, l’enseignante explique que lorsqu’on voit la lettre o (montrer tous les o/O : minuscule, majuscule, scripte, cursive) toute seule, on dit son nom : o/O. Mais lorsqu’elle est dans des mots qu’on lit, on prononce le son /o/ et parfois d’autres sons qui seront vus plus tard dans l’année. Souvent, des mots clés dans lesquels la lettre o/O indique de prononcer le son /o/ sont utilisés (p. ex.: auto, vélo, etc.). Pour se rappeler du son /o/ associé à la lettre o/O, des supports visuels peuvent être proposés ou même créés collectivement avec les enfants. Ensuite, l’enseignante modélise la lecture de quelques syllabes (exercices de fusion phonémique en décodage de syllabe CV, VC, par exemple, avec des consonnes continues, puis avec des consonnes non continues. Lorsque c’est pertinent, des régularités orthographiques peuvent être enseignées et mises en application. Par exemple, les règles contextuelles font partie des régularités orthographiques qui devraient faire l’objet d’un enseignement explicite, car elles permettent de rendre plus consistantes les CGP/CPG. Les règles contextuelles les plus fréquentes sont :
- c et g devant i, e ou y
- s entre 2 voyelles
- voyelle+m devant p ou b
- e muet en position finale qui sert souvent à faire prononcer la consonne qui précède
- o et eu suivis d’une consonne dans une syllabe fermée
- t suivi du i + voyelle
Malheureusement, la majorité des ressources didactiques adoptant une approche synthétique des CGP néglige d’inclure des activités permettant l’enseignement des CPG. L’enseignante doit alors y ajouter des activités de ce type. Par exemple, elle peut expliquer aux élèves que lorsqu’on écrit des mots dans lesquels on prononce le son /o/, on doit écrire la lettre o/O (montrer toutes les formes du o/O : minuscule, majuscule, scripte, cursive) toute seule, mais que plus tard, d’autres façons d’écrire ce son dans d’autres mots seront enseignées. Ensuite, l’écriture des syllabes par des exercices de segmentation phonémique pour l’encodage de syllabes CV et VC par exemple, est enseignée avec des consonnes continues, puis avec des consonnes non continues.
Mots à apprendre à lire et à écrire
Toujours dans l’approche synthétique, les mots à apprendre à lire et à écrire chaque semaine devraient être sélectionnés à partir de listes orthographiques de mots usuels et utiles (incluant les mots courts les plus fréquents de la langue qui constituent plus de 50% de tous les textes) en tenant compte du taux de succès des élèves du niveau visé (p. ex. : base de données ÉQOL). Une fois sélectionnés, ces mots doivent être présentés aux élèves en contextes de phrases ou de courts textes. Ceci contribue à faciliter l’enseignement du sens de ces mots afin de s’assurer qu’ils font partie du vocabulaire des élèves, avant qu’ils n’apprennent à les lire et à les écrire: ceci est une condition incontournable, surtout pour les apprenants de la langue d’instruction, si l’on veut que le processus d’autoapprentissage s’enclenche. À noter que l’apprentissage du vocabulaire peut être facilité par l’utilisation d’un enseignement explicite et pluridimensionnel (Beck et al., 2002 ; Blachowicz & Fisher, 2010 ; Kame’enui & Baumann, 2012). Ainsi, lors d’une première phase de modélisation, l’enseignante n’explique pas seulement le sens des mots (par exemple, en donnant la définition, des synonymes et des antonymes), mais aussi leur forme (prononciation, orthographe, racines et les affixes) et leur utilisation (leur fonction grammaticale dans les phrases, leur fréquence et leur contexte d’utilisation). Ensuite, pendant la phase d’étayage de l’enseignement explicite, l’enseignante encourage les élèves à utiliser le mot avec son aide. Finalement, lors de la phase de pratique autonome, l’enseignante met en place des contextes qui amènent l’élève à utiliser souvent le mot pour consolider ses apprentissages.
Ensuite, l’enseignement explicite de l’orthographe et du décodage de chacun des mots pendant la semaine devraient aussi respecter les étapes de l’enseignement explicite. Pendant la phase de modelage de l’orthographe, l’enseignante explique verbalement comment elle doit segmenter le mot en syllabes, puis chaque syllabe en sons pour ensuite retrouver les graphèmes pour écrire chacun des sons du mot. S’il y a une régularité orthographique ou morphologique en jeu dans le mot, elle en profite pour l’expliquer. Lors de cette modélisation, des boites Elkonin servant à écrire chaque graphème dans une case qui correspond à un phonème, permettent de mieux expliciter la CPG. L’enseignante peut ensuite modeler le décodage du mot qu’elle vient d’écrire en explicitant quel son est associé au graphème qu’elle voit, puis en fusionnant chacun des sons de chaque syllabe pour retrouver la prononciation du mot, et puis son sens. Ici encore, elle peut expliquer à voix haute certaines régularités orthographiques et morphologiques concernant des graphèmes contextuels ou des lettres muettes, par exemple. À noter que l’enseignement du décodage et de l’orthographe des mots fréquents ou des mots irréguliers de la langue doit s’effectuer de la même façon que les mots réguliers : il faut seulement préciser aux élèves que certaines CGP/CPG sont plus rares dans ces mots lorsque c’est le cas (Ehri, 2020). Cette phase de modelage alors effectuée, des activités régulières de lecture et d’écriture de ces mots doivent être prévues en classe afin de permettre aux élèves de se pratiquer avec tout d’abord de l’aide (phase d’étayage), puis sans aide (phase de pratique autonome). La lecture et l’écriture de ces mots doivent être réinvesties dans plusieurs contextes authentiques pendant la semaine dédiée à l’apprentissage de ces mots, et même après, afin de les réutiliser souvent et en automatiser l’identification et l’orthographe.
Phrases et textes décodables/encodables
L’approche synthétique passe finalement par le réinvestissement des apprentissages au niveau des phrases et des textes; la lecture de livres décodables selon les enseignements reçus offre des occasions de pratique autonome engageantes pour les élèves. Pour ce faire, il existe plusieurs collections (p. ex.: Décode des Éditions Passe-Temps, Une syllabe à la fois des Éditions MD ou encore Facile à lire des éditions du même nom). L’équipe éducative peut aussi utiliser la plateforme Anagraph pour vérifier la part décodable des textes qu’on propose aux élèves, en entrant les informations concernant les enseignements donnés concernant les CGP, les lettres muettes et des mots étudiés. Pour ce qui est des activités d’écriture, comme les dictées de phrases ou de courts textes, les mêmes principes s’appliquent: il faut s’assurer que les élèves aient effectué les apprentissages requis afin que les mots soient encodables par CPG, que la complexité des structures syllabiques soit ajustée et que les régularités orthographiques et morphologiques aient été vues en classe. Comme il sera précisé à la recommandation 3, la lecture et l’écriture de textes décodables ne sont pas suffisantes pour assurer l’enseignement efficace de la littératie. Les élèves doivent aussi avoir accès à d’autres types de textes afin de développer d’autres compétences et de maintenir leur motivation à lire et à écrire.
Dispositifs de lecture et d’écriture
La planification de l’enseignement de l’identification des mots et de leur orthographe peut être facilitée en prévoyant la mise en place des différents dispositifs de lecture et d’écriture en classe (Giasson, 2011). Des activités exploitant les dispositifs de lecture à voix haute aux élèves (lecture d’album jeunesse, de comptines, de chansons, d’affiches, d’un message du jour, d’un courriel ou d’instructions, par exemple) ou d’écriture effectuée par l’enseignante, mais dictée par les élèves (écriture d’un nouvel évènement dans un album jeunesse connu, d’une comptine, d’une chanson connue ou d’un message à envoyer par courriel, par exemple) permettent de facilement intégrer la phase de modelage de l’enseignement explicite. Ces mêmes activités peuvent devenir plus partagées en offrant un rôle aux élèves (lire ou écrire quelques mots dans l’activité de groupe avec du soutien de la part de l’enseignante), ce qui permet d’entrer progressivement dans la phase d’étayage. Cette phase peut se poursuivre dans des activités de lecture ou d’écriture guidées en sélectionnant les mots selon les enseignements reçus en matière de CGP/CPG, de structures syllabiques et de régularités orthographiques et morphologiques. Enfin, des activités de lecture personnelle (avec des textes décodables, par exemple) et d’écriture personnelle (lors d’ateliers d’écriture, par exemple) permettent la phase de pratique autonome de l’enseignement explicite nécessaire à la consolidation et l’automatisation des apprentissages. Ces différents dispositifs permettent aussi d’assurer un dosage suffisant pour assurer les apprentissages pour la grande majorité des élèves de la classe. En effet, la recherche suggère d’intégrer au moins 90 minutes d’activités de littératie chaque jour et de prévoir 30 minutes additionnelles pour offrir des interventions d’intensification en sous-groupe pour les élèves pour qui les enseignements en grand groupe en classe sont insuffisants pour répondre à leurs besoins d’apprentissage. La collaboration avec les conseillères pédagogiques, les enseignantes ALF et PANA et les orthophonistes s’avère efficace pour planifier l’enseignement de l’identification des mots et de leur orthographe.
Évaluer pour guider l’enseignement et l’apprentissage, puis intensifier au besoin
Après une période de quelques semaines d’enseignement, il devient important de vérifier si au moins 80% des élèves ont effectué les apprentissages attendus. Il est donc primordial que les habiletés et connaissances testées lors des dépistages aient fait l’objet d’enseignement au préalable. Pour ce faire, des dépistages sur les habiletés enseignées peuvent être administrés à tous les élèves à deux occasions dans l’année, habituellement en décembre puis en avril. En 1re année du primaire, ces dépistages portent habituellement sur les habiletés de segmentation et de fusion phonémiques dans des syllabes plus complexes, la graphomotricité des lettres, les maitrises des CGP/CPG, les habiletés de décodage et d’encodage, la précision de la reconnaissance automatique et l’orthographe de mots qui ont fait l’objet d’enseignements en classe, ainsi que la compréhension et la production de phrases à l’écrit. En 2e année du primaire, les dépistages portent sur la graphomotricité, les CGP/CPG plus rares, moins consistantes et dont le graphème est complexe ou contextuel, sur la précision et la vitesse de l’identification de mots et de l’orthographe, sur les régularités orthographiques et morphologiques enseignées et sur la compréhension et la production de courts textes. À partir de la 3e année, les dépistages portent essentiellement sur les régularités orthographiques et morphologiques, la précision, la vitesse et l’expression en lecture ainsi que sur la compréhension et la production de textes plus longs et plus littéraires, incluant l’utilisation des stratégies de lecture et d’écriture.
Si au moins 80% des enfants réussissent dans toutes les épreuves de dépistage, le 20% des élèves qui n’ont pas réussi devraient bénéficier de sous-groupe d’intensification pour leur permettre d’accélérer leurs apprentissages selon les paramètres cités précédemment dans la recommandation 1, sous Éveil à la lecture et à l’écriture. Par contre, si moins de 80% des élèves réussissent certaines épreuves de dépistage, il serait important de reprendre les connaissances et habiletés visées par ces épreuves dans l’enseignement pour tous de palier 1 avant de se lancer dans la prochaine étape d’enseignement. La collaboration avec les conseillères pédagogiques, les enseignantes ALF et PANA, les enseignantes-ressource et les orthophonistes est recommandée pour mettre en place ces dépistages, pour rehausser au besoin l’enseignement universel de palier 1 ou pour mener les sous-groupes d’intensification du palier 2.
Pendant l’intensification du palier 2, les mesures de suivi des progrès permettent ici encore d’identifier les élèves qui ont de plus grands besoins et qui requièrent des interventions individualisées de palier 3 et mesurent l’efficacité des interventions du palier 2. La collaboration avec les enseignantes-ressource, les orthophonistes et les psychologues scolaires est recommandée pour la mise en place des interventions individualisées de palier 3.
Recommandation 3 : Intégrer l’enseignement dans des contextes langagiers riches et authentiques afin de développer la compréhension et la production de textes, et ce, dès le cycle préparatoire
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L’enseignement explicite et systématique de l’identification des mots et de leur orthographe devient plus efficace s’il est intégré dans des contextes langagiers riches et authentiques afin de contribuer parallèlement au développement de la compréhension et de la production de textes (Stuebing et al., 2008). Ceci permet d’intégrer les enseignements explicites dans des activités pertinentes et engageantes pour les élèves et d’adopter une approche explicite intégrée (Justice et Kaderavek, 2004).
Contextes authentiques de lecture et d’écriture
Le premier levier permettant d’actualiser cette étape consiste à exploiter les activités centrées autour de la littérature jeunesse, des comptines et des chansons, des écrits de l’environnement (affiches, panneaux, etc.), des technologies de l’information (courriels, textos, réseaux sociaux, etc.), des jeux (instructions, cartes à lire, etc.) et de tous les contextes authentiques qui demandent de lire et d’écrire. Ces activités sont signifiantes pour les élèves et les amènent à s’engager pleinement dans les apprentissages proposés. Ces contextes facilitent l’apprentissage des habiletés d’identification et d’orthographe des mots et permettent l’exploitation des différents dispositifs de lecture et d’écriture décrits dans la recommandation 3 ainsi que des habiletés d’éveil à l’écrit listés dans la recommandation 2.
Ces contextes authentiques reliés à l’écrit sont aussi très riches d’un point de vue langagier, car ils exploitent un registre plus littéraire que celui qui est nécessaire à une communication orale efficace. Ce registre utilise du vocabulaire, des expressions, ainsi que des structures de phrases et de discours plus sophistiqués que ceux de la communication orale; leur compréhension et leur utilisation sont un gage important de succès dans l’apprentissage de la compréhension et la production de textes en littératie. Ainsi, ces contextes permettent l’enseignement explicite et pluridimensionnel du vocabulaire, des expressions figurées et des structures de phrases plus complexes. Ces enseignements sont d’autant plus efficaces s’ils sont répétés (répétition d’un même enseignement dans une même lecture ou bien relecture d’un même album jeunesse incluant ces enseignements, par exemple). Ces contextes authentiques ont aussi l’avantage de permettre l’enseignement explicite, surtout les phases de modelage et de pratique guidée, pour d’autres sphères importantes contribuant à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture qui font partie intégrante des programmes de formation: les connaissances antérieures et culturelles, la compréhension des inférences et des métaphores, les structures de texte et les éléments littéraires des récits, les étapes du processus de lecture ou d’écriture, les concepts de l’écrit, les composantes de la phrase, les types de phrases, fonctions des mots, les règles de grammaire, les stratégies de lecture et d’écriture, la flexibilité cognitive, ainsi que la fluidité en lecture. Ces enseignements ne devraient pas être mis de côté au profit de l’enseignement explicite et systématique de l’identification des mots et de leur orthographe, surtout dans les écoles dont la langue d’enseignement est en situation minoritaire, comme c’est le cas pour les écoles de langue française de l’Ontario. La collaboration de l’enseignante avec les conseillères pédagogiques et les enseignantes ALF et PANA est recommandée pour planifier l’intégration des contextes langagiers riches et authentiques dans l’enseignement de la littératie.
Richesse des interactions verbales
Le deuxième levier consiste à s’assurer d’interactions verbales riches pendant toutes les activités d’enseignement, et plus particulièrement dans les activités en littératie visant l’apprentissage en identification et en orthographe de mots et des habiletés langagières nécessaires à la compréhension et à la production de textes. Ce type d’interactions est reconnu pour favoriser le développement du langage et des habiletés de communication orale, une importante base pour l’apprentissage dans toutes les matières (Piasta et al., 2012; MacDonald et al., 2015 ; Justice et al., 2018). Concrètement, en plus des activités d’enseignement magistral pendant lesquelles les interactions se résument souvent à des questions posées par l’enseignante, suivies de réponses de quelques élèves (souvent les mêmes) pour lesquelles l’enseignante fournit une rétroaction, d’autres types d’interactions, créant un climat plus inclusif, sont mises de l’avant. Par exemple, les enseignements peuvent inclure des démonstrations soutenues par des explicitations verbales, après lesquelles les élèves sont invités à discuter en petites équipes des choses importantes qu’ils ont observées et comprises. Lorsque des questions sont posées, on peut s’assurer que les réponses attendues ont fait tout d’abord l’objet d’un enseignement préalable et attendre que plusieurs mains se lèvent avant de donner la parole à un élève. On peut aussi faire des commentaires et même utiliser l’humour ou l’absurde pour ensuite attendre la réaction des élèves. L’adoption d’un débit de parole et d’un rythme plus lent et adapté permet à plus d’élèves de participer aux échanges verbaux. Suivre les initiatives des élèves afin de démarrer une discussion à ce sujet, ajouter de l’information à la suite d’un commentaire ou encore poser des questions plus ouvertes et sincères (des questions dont on ne connait pas la réponse) facilite le développement de la communication orale. Pour acquérir cette souplesse dans les types d’interactions verbales pendant les enseignements en classe, la collaboration est recommandée avec la conseillère pédagogique, les enseignantes ALF et PANA et l’orthophoniste. Cette souplesse est aussi un premier pas vers une conception plus universelle de l’apprentissage de la littératie.
Recommandation 4 : Faire preuve de différenciation pédagogique pour implanter une conception universelle de l’apprentissage dès le cycle préparatoire
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La différenciation pédagogique contribue activement à la réussite académique et au bien-être de tous les élèves. Elle s’applique à la fois aux situations d’apprentissage et d’évaluation. Elle permet un ajustement de ces situations aux capacités, aux besoins et aux champs d’intérêt divers des élèves.
Flexibilité pour tous
Une étape primordiale à l’efficacité de tout enseignement, incluant celui de la littératie, consiste donc à adopter des mesures universelles de différenciation pédagogique. Cette flexibilité pédagogique permet de planifier des activités d’apprentissage et d’évaluation dans lesquelles une diversité d’options est proposée aux élèves. Quatre axes principaux peuvent faire l’objet de différenciation. Tout d’abord, les contenus et sujets d’apprentissage peuvent varier d’un élève à l’autre dans la même classe. Ensuite, les processus, c’est-à-dire les activités proposées et les stratégies pédagogiques privilégiées, doivent s’ajuster à la variété des besoins des élèves. La différenciation des structures renvoie quant à elle à l’environnement d’apprentissage, donc à l’organisation, aux aménagements physiques et aux regroupements d’élèves en classe. Enfin, la différenciation des productions permet aux élèves de démontrer leurs apprentissages de plusieurs façons.
Ainsi, pendant une même activité d’enseignement, des regroupements d’élèves en ateliers (différenciation de la structure) peuvent travailler sur des contenus d’apprentissages différents: compréhension du vocabulaire, décodage de mots, orthographe de mots, conscience phonologique, graphomotricité, par exemple (flexibilité des contenus). Ou encore, lors d’une activité d’écriture personnelle ou en dyade (différenciation de la structure), les élèves peuvent choisir un thème parmi un choix (différenciation du contenu) et décider du médium d’écriture: sur le iPad, à la main, sur un portable (différenciation du processus et des productions). Aussi, pendant la lecture d’une histoire, l’enseignante modélise ou amène des élèves à utiliser (différenciation des processus) plusieurs stratégies de compréhension en lecture (différenciation des contenus). À la fin de l’histoire, les élèves peuvent choisir comment témoigner de leur compréhension de l’histoire: répondre oralement ou par écrit, individuellement ou en dyade à des questions posées par l’enseignante (différenciation des productions).
Ces mesures de différenciation rejoignent les principes de la conception universelle de l’apprentissage (CUA) qui consiste entre autres à fournir plusieurs moyens à l’élève pour accéder aux apprentissages souhaités. Selon le modèle de CAST (2018), la CUA peut s’actualiser en offrant aux élèves diverses façons de se motiver, de se représenter mentalement les nouveaux apprentissages, d’agir et de s’exprimer pendant les situations d’apprentissage et d’évaluation. Lors de la planification des activités d’enseignement, une banque de stratégies peut être employée dans chacune de ces dimensions. Par exemple, on peut laisser les élèves choisir individuellement le contexte ou le contenu pour pratiquer et évaluer une nouvelle habileté en lecture (motivation), démontrer comment des mots de vocabulaire ou des expressions complexes sont composés de concepts plus simples (représentation), ou encore, en permettant aux élèves de choisir une plateforme (p. ex.: forum de discussion, clavardage, présentation d’animations) pour réaliser une activité d’écriture (action et expression).
Il est important de souligner que ces pratiques d’enseignement inclusives reposent sur le bien-être et l’apprentissage socio-émotionnel des élèves et visent, par le fait même, le développement de classes bienveillantes (Katz, 2012). Développer un sens d’appartenance, favoriser l’autorégulation et la résilience, valoriser la diversité dans toutes ses facettes, gérer les classes de façon démocratique et intégrer les perspectives autochtones sont tous des moyens pour développer des communautés bienveillantes.
Ces mesures universelles peuvent néanmoins s’avérer insuffisantes pour permettre aux élèves qui éprouvent plus de difficultés dans leurs apprentissages de continuer à progresser, surtout quand les écarts commencent à se creuser entre eux et les autres élèves de la classe. Ces élèves ont généralement besoin d’un niveau de différenciation plus élevé et plus personnalisé. Ces mesures prennent alors la forme d’adaptation ou de modifications et sont généralement décidées dans le cadre d’un plan d’enseignement individualisé (PEI) lors des consultations avec les professionnels des services aux élèves ayant des besoins particuliers.
Accommodements pour les élèves qui ont de plus grands besoins
Par souci d’équité, lors de la planification des situations d’apprentissage et d’évaluation en littératie, les mesures d’adaptation ou de modifications établies lors des PEI de certains élèves doivent être prises en compte. Avant la mise en place de ces mesures, il faut s’assurer d’avoir essayé des stratégies plus universelles (voir la flexibilité pédagogique traitée dans la section précédente) pour faciliter l’apprentissage afin de ne pas se retrouver avec une trop grande variété de mesures individualisées d’adaptation ou de modification qui peuvent devenir difficiles à gérer à la pièce. Les mesures d’adaptation permettent un ajustement essentiel pour les élèves qui présentent des besoins plus grands, et ce, sans modifier les attentes du programme de formation. En Ontario, les adaptations peuvent être de nature pédagogique (changements apportés aux stratégies d’enseignement), environnementale (changements apportés à la salle de classe ou au milieu scolaire) ou en matière d’évaluation (changements apportés aux activités et méthodes d’évaluation). En littératie, les adaptations prennent souvent la forme d’outils d’aide technologiques en lecture et en écriture (p. ex.: prédicteurs de mots, des réviseurs orthographiques ou des logiciels de synthèse vocale) ou encore de moyens de suppléance à la communication (p. ex.: tablette numérique sous forme d’un tableau de pictogrammes permettant d’activer une synthèse vocale). Ces mesures exigent un entraînement de la part de l’élève et de son enseignante afin d’optimiser l’autonomie dans l’apprentissage. Pour assurer le succès de la mise en place de ces mesures, la collaboration avec les conseillères pédagogiques, les enseignantes-ressource et les orthophonistes est essentielle. Finalement, lorsque les mesures d’adaptation s’avèrent inefficaces pour assurer le progrès d’un élève, on peut modifier des attentes du programme de formation ou même mettre en place des attentes différentes.
Conclusion
L’enseignement inclusif de la littératie demande à de nombreux intervenants des écoles de coordonner leurs efforts afin de favoriser un enseignement universel de qualité au palier 1 couplé à des interventions d’intensification en sous-groupe de palier 2, et ce, de façon coordonnée pendant l’année scolaire. Les élèves présentant de très grands besoins qui ne pourront pas être répondus par ces deux paliers de soutien devront avoir accès à des services d’évaluation, de consultation et d’intervention individualisés fournis par les professionnels des services d’aide à l’enfance en difficulté. En collaboration avec l’équipe d’enseignement, ces professionnels peuvent contribuer à trouver des solutions sous forme d’adaptations ou, en cas de preuves d’inefficacité de ces adaptations, des modifications des attentes afin de s’assurer que ces élèves puissent développer leurs compétences en littératie au meilleur de leur potentiel.
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L’arbre décisionnel suivant résume les grandes recommandations assurant un continuum de situations d’apprentissage et d’évaluation inclusives en littératie.
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Pascal Lefebvre est un formateur et consultant qui allie l’expérience sur le terrain à la connaissance scientifique actuelle dans les domaines de l’éducation, des systèmes de soutiens à paliers multiples et de la prévention en littératie chez les enfants. Il est orthophoniste de formation et a d’abord pratiqué dans les milieux de la santé et de l’éducation du Québec. Il a ensuite fait ses études doctorales à l’Université de Montréal dans le domaine de la prévention des difficultés de lecture et d’écriture en créant une approche d’enseignement par la Lecture interactive enrichie d’albums jeunesse auprès des enfants de maternelle. Il a œuvré pendant plus de 15 ans comme professeur-chercheur dans les programmes d’orthophonie de l’Université d’Ottawa et de l’Université Laurentienne en Ontario. Il a alors dirigé des travaux de recherche sur le développement du langage et de l’éveil à l’écrit chez les jeunes enfants ainsi que sur la prévention des difficultés de lecture et d’écriture et la mise en œuvre du modèle de réponse à l’intervention dans les écoles. Auteur de nombreux ouvrages scientifiques et de vulgarisation scientifique, Pascal Lefebvre a été impliqué dans la mise en œuvre de pratiques préventives et inclusives dans les milieux éducatifs en petite enfance et dans de nombreuses écoles primaires francophones du Canada.
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