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Par Annabel Sibalis, MA et Karen Milligan, Ph.D., C Psych

Introduction

Le quotidien apporte à chacun, dans une mesure variable, son lot de stress et de difficultés qui peuvent temporairement affecter l’humeur ou perturber le fonctionnement. L’occasionnelle maladresse en contexte social, l’erreur repérée dans un rapport important fignolé pendant des heures ou la promotion souhaitée qui est offerte à quelqu’un d’autre, autant de situations qui peuvent susciter de la détresse. Mais si vous viviez ce genre d’expériences plus souvent que toute autre personne de votre entourage, que penseriez-vous? Quelle forme cette détresse prendrait-elle? Quelle image vous feriez-vous de vous-même? Commenceriez-vous à envisager et à surmonter les difficultés différemment?

Cette expérience est une réalité que vivent nombre des enfants aux prises avec des troubles d’apprentissage (TA), qui comptent pour 10 % des enfants canadiens. Malgré leurs habiletés cognitives et nombreuses autres forces, les enfants ayant des TA ont souvent le sentiment de ne pas obtenir des résultats à la hauteur de leurs efforts, ce qui alimente leur sentiment d’être un « raté », « pas intelligent » ou « moins apprécié des pairs ». Par moment, ces croyances se trouvent renforcées par des résultats négatifs, comme ne pas être invité à jouer avec d’autres enfants, recevoir une mauvaise note ou se faire envoyer au bureau du directeur pour désobéissance. Les situations de ce genre peuvent exacerber la détresse de l’enfant, ses croyances négatives quant à sa capacité de réussir et son sentiment de pouvoir dans le monde.

En quoi consiste l’adaptation par l’évitement?

Les enfants vont souvent gérer la détresse en se retirant graduellement ou en évitant les situations, les pensées ou les sentiments en cause, et en adoptant différents types de comportements, comme procrastiner, refuser d’aller à l’école, mentir au sujet des travaux effectués ou ressentir de la fatigue ou des malaises (Bender et al., 1999; Feurer et Andrews, 2009). L’évitement peut être une façon simple et efficace de « baisser le volume » de la détresse.

Chez les enfants, l’adaptation par l’évitement peut ressembler à un retrait ou à une « fuite », par exemple l’enfant qui évite les échanges et les jeux avec ses camarades à la récréation, ou qui décroche souvent durant une interaction sociale. Certains, en revanche, auront tendance à « combattre » comme moyen d’éviter ou de surmonter la détresse. Un enfant peut refuser de faire ses travaux scolaires ou d’aller en classe, ou devenir turbulent pour détourner son attention de la difficulté et atténuer l’inconfort qui est associé.

L’adaptation par l’évitement peut également être moins visible et se manifester dans le monde intérieur de l’enfant. Certains enfants peuvent surestimer leurs capacités ou banaliser les difficultés, même en présence de signes de difficulté manifestes. Cette stratégie d’adaptation porte le nom de biais de supériorité illusoire. En voici quelques exemples :

 

Situation Explication probable Réponse de l’enfant En quoi s’agit-il d’un biais de supériorité illusoire?
Jacob obtient une mauvaise note à un examen. Jacob n’a pas compris la matière évaluée ou n’a pas obtenu une bonne note en raison d’un problème d’anxiété ou d’attention ou d’autres facteurs. « L’examen était injuste! »

ou

« L’enseignante m’a donné une mauvaise note parce qu’elle ne m’aime pas. »

Jacob sait qu’il a de la difficulté à l’école, ce qui lui cause de la détresse. Comme il a du mal à faire face à ces émotions difficiles, il insiste plutôt sur le fait qu’il connaît la matière et que sa mauvaise note n’est pas de sa faute.
Maria se fait rarement inviter à jouer ou à socialiser par ses camarades de classe. Maria a de faibles habiletés sociales et de la difficulté à  connecter avec ses pairs. « J’ai beaucoup d’amis! C’est juste que je n’ai envie de jouer avec personne aujourd’hui. » Maria souffre du rejet par ses pairs, mais elle évite de ressentir ces sentiments en projetant que c’est elle qui choisit de ne pas jouer avec eux.
Nadia est distraite et agitée lorsqu’on lui demande de garder le silence en classe. Nadia a du mal à rester attentive, à maîtriser ses impulsions et/ou à gérer son comportement. « Mais oui, j’étais attentive! » Nadia est consciente qu’elle a plus de difficulté que ses pairs à se concentrer, mais elle en est gênée et a de la difficulté à l’admettre. Au lieu de cela, elle insiste pour dire qu’elle était sage.

Adaptation par l’évitement : pourquoi vouloir modifier ce qui fonctionne?

Au début, l’adaptation par l’évitement est profitable. En évitant physiquement une difficulté ou en évitant cognitivement une vérité souffrante, l’enfant arrive à atténuer ou à différer des émotions négatives comme la tristesse, la honte, la colère ou l’anxiété.

Face à un problème, l’adaptation par l’évitement peut aussi sembler être l’avenue la plus efficace : au lieu de gérer des émotions intenses en maîtrisant ses impulsions, en détournant son attention, en fractionnant l’expérience globale, en planifiant, en initiant et en s’auto-surveillant– toutes des habiletés qui peuvent donner du fil à retordre aux élèves qui ont des TA (Bryan et al., 2004) – on peut simplement éviter. La tendance à s’adapter par l’évitement peut également devenir plus présente à force de ne pas se sentir à la hauteur ou de recevoir une rétroaction négative de la part des parents, des enseignants, de la fratrie ou des pairs lorsqu’on n’arrive pas à gérer ses émotions.

Si l’adaptation par l’évitement est gratifiante à court terme, le potentiel de conséquences à long terme augmente chaque fois qu’on y recourt. Voici quelles peuvent être ces conséquences :

1. Le comportement évitant limite inévitablement les types d’activités et d’expériences que vivent les enfants.

En évitant une expérience nouvelle ou difficile, l’enfant a moins souvent l’occasion de développer ses habiletés (sociales, scolaires, physiques et de régulation émotionnelle) et de voir qu’il peut réussir et s’améliorer (ce que Smiley et Dweck appellent une « mentalité de croissance », 1994). De plus, le recours à la stratégie d’évitement crée une « accoutumance » qui fait en sorte qu’il devient toujours plus difficile d’affronter les difficultés futures (Kasha et al., 2006; Linnea et al., 2013).

2. L’utilisation chronique de l’adaptation par l’évitement peut augmenter indirectement la fréquence et la gravité des émotions négatives qui surviendront ultérieurement, en plus de diminuer la confiance en soi à long terme

(Kasha et al., 2006). Cela s’explique par le fait que l’enfant ne gère pas le problème qui se présente, préférant le repousser à plus tard. Malheureusement, cela augmente la probabilité que, lorsque l’enfant abordera le problème ultérieurement, il aura à s’occuper d’un problème plus sérieux tout en faisant face à des demandes plus grandes. L’adaptation par l’évitement accentue le doute de soi, en plus de miner la confiance en soi et la conviction de l’enfant qu’il peut réussir. Et cela contribue à ancrer davantage l’enfant dans son attitude d’évitement.

3. L’adaptation par l’évitement augmente le risque de problèmes de santé mentale à long terme.

Les enfants qui développent une habitude d’évitement persistante connaissent de plus hauts niveaux de symptômes dépressifs (Noble et al., 2011), d’agression (Stephens et al., 2016) et de comportements délinquants et dangereux (Edens et al., 1999; Hoza et al., 2014). Par ailleurs, l’évitement peut limiter l’engagement dans les interventions qui visent l’acquisition d’habiletés et favorisent le bien-être, comme le rattrapage scolaire, l’entraînement aux habiletés sociales ou la thérapie individuelle ou familiale (Mikami et al., 2010).

Transition de l’adaptation par l’évitement à l’adaptation par l’approche

L’antidote à l’adaptation par l’évitement consiste à encourager l’approche. Il importe de comprendre que, tout comme le traitement de l’information et l’expérience influencent le développement et le maintien d’un comportement d’évitement, ils peuvent aussi avoir une influence favorable en aidant l’enfant à orienter leurs stratégies d’adaptation vers l’approche. D’autres études appliquées sont nécessaires pour comprendre les notions d’approche et d’évitement en relation avec des forces et des besoins d’apprentissage différents (Owens et al., 2007). Voici néanmoins quelques conseils généraux à l’intention des fournisseurs de soins et des enseignants pour amorcer un virage vers l’adaptation par l’approche :

1. Créer des environnements d’apprentissage positifs

Augmentez les chances que les enfants vivent des réussites en adaptant les exigences ou le contexte, puis récompensez leurs efforts. Une bonne approche consiste à morceler les difficultés en tenant compte du contexte, des personnes et de la tâche, puis à travailler graduellement vers l’objectif souhaité en modifiant un seul élément à la fois (McHolm, 2005). Par exemple, un enfant peut se sentir capable de participer à une activité sociale de faible stress avec un pair qui est accueillant et acceptant, et se sentir intimidé d’assister à une fête d’anniversaire où il y a beaucoup d’invités. De même, un enfant peut être disposé à travailler ses habiletés en lecture de façon individuelle avec un enseignant encourageant en qui il a confiance, mais ne pas se sentir capable de lire devant toute la classe. Commencez là où l’enfant peut vivre un succès et ne craignez pas qu’il ou elle reste à ce niveau pour toujours – chaque succès renforcera sa capacité d’approche et l’encouragera à faire de plus grands pas vers l’objectif.

2. Encourager la connaissance de soi

Sachez que la connaissance de soi (y compris la conscience et la compréhension de ce qui rend les choses difficiles ou faciles) est une habileté qui se développe avec l’âge. Les troubles cognitifs peuvent altérer cette connaissance de soi, et vu la complexité des profils de cognition et d’apprentissage de certains enfants aux prises avec des TA, un TDAH et des troubles connexes, il peut être nécessaire d’enseigner explicitement ces notions et d’accorder plus de temps pour acquérir cette habileté (Bourchtein et al., 2017; Volz-Sidiropoulou et al., 2013). Les adultes peuvent aider les enfants à développer leur connaissance de soi en les encourageant à faire une réflexion sur ce qui a bien fonctionné dans une situation et ce qui a été plus difficile, ce qu’ils ont plus et moins aimé, et quels sentiments et pensées les habitent. Il importe aussi de choisir un bon moment – au lieu d’engager ces discussions lorsque l’enfant est en mode « fuite ou combat », prenez un moment de recul pour gérer la détresse. Assurez-vous de planifier un moment pour revenir sur la difficulté lorsque la détresse sera apaisée. Prenez le temps d’écouter, soyez présent à l’enfant et validez son point de vue. Aidez l’enfant à voir que la détresse peut être présente et qu’on peut quant même faire une approche et vivre une réussite (en s’assurant de choisir un objectif où les chances de réussite sont élevées et les soutiens nécessaires sont présents). Réfléchissez à vos propres difficultés et à la façon dont vous les avez approchées dans un contexte où vous viviez de la détresse, pour aider les enfants à développer cette habileté (Perez, 2011).

3. Soutenir au moyen d’une rétroaction positive fréquente

Tout comme la détresse ou une rétroaction négative peut encourager l’évitement, une rétroaction positive peut favoriser l’approche, contribuer au développement de la confiance en soi et soutenir la santé mentale. Certains enfants ayant des TA ont moins souvent accès à une rétroaction positive, autant à l’école qu’au sein de leur système familial (malgré de bonnes intentions). De plus, la plupart des enfants ayant des TA connaissent les stéréotypes négatifs associés à leur trouble et mentionnent souvent des sentiments de honte ou d’humiliation, ou une faible image de soi, ce qui perpétue les stratégies d’auto-protection telles que l’adaptation par l’évitement (Daley et Rappolt-Schlichtmann, 2018; Wiener et al., 2012). Il est important de combattre ces messages négatifs répétés pour renforcer l’estime de soi et soutenir la santé mentale des enfants, notamment en parlant ouvertement des difficultés vécues et surmontées, et en validant les efforts investis. Offrez des mots positifs ou des récompenses pour les petites victoires, et normalisez en disant que nous avons tous des forces et des difficultés en apprentissage. Vous aiderez ainsi les enfants ayant des TA à identifier leurs propres forces, lesquelles ne font pas toujours partie des matières scolaires traditionnelles (Baglieri et Knopf, 2004).

Conclusion

Faire face à des difficultés de vie dans les sphères scolaire, sociale et autres fait partie du cours normal du développement de l’enfant. Ces difficultés se manifestent plus souvent chez certains enfants, en particulier ceux qui ont des TA. Ils peuvent donc avoir besoin d’un soutien supplémentaire pour arriver à y faire face et à en tirer des leçons positives. Pour éviter que les enfants s’en remettent à des stratégies d’adaptation par l’évitement, lesquelles sont utiles à court terme mais ne concourent pas, à long terme, au bien-être scolaire, social ou affectif, les parents et le personnel enseignant peuvent aider à développer leur capacité d’adopter plutôt une stratégie d’adaptation par l’approche. Le fait de cultiver cette mentalité favorise la réussite et le mieux-être mental en plus de prédisposer les enfants ayant des TA à vivre des réussites, maintenant et dans les années à venir.

Références

Baglieri, S. et Knopf, J. H. « Normalizing difference in inclusive teaching », Journal of Learning Disabilities, 2004, vol. 37, no 6, p. 525-529.

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Bryan, T., Burstein, K. et Ergul, C. « The social-emotional side of learning disabilities: A science-based presentation of the state of the art », Learning Disability Quarterly, 2004, vol. 27, no 1, p. 45-51.

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Karen Milligan, Ph. D., psychologue, est professeure agrégée et directrice de la formation clinique au département de psychologie de l’Université Ryerson. Elle est responsable d’un vaste programme de recherche communautaire axée sur la promotion de l’autorégulation chez les enfants et les adolescents. Elle s’intéresse à l’évaluation de programmes communautaires novateurs de traitement et de prévention, en particulier ceux qui misent sur la prestation intégrée de services offerts traditionnellement par des secteurs distincts (p. ex., école, santé mentale, services pour enfants et adolescents, toxicomanie).

Annabel Sibalis, M.A., est candidate au doctorat en Sciences psychologiques à l’Université Ryerson. Ses principaux champs d’intérêt en recherche incluent la santé mentale chez les enfants et les jeunes ayant des besoins particuliers en apprentissage et sur le plan de du fonctionnement exécutif. Elle s’intéresse particulièrement à l’emploi de méthodes neurophysiologiques pour examiner l’attention en lien avec les symptômes de la santé mentale, les habiletés sociales et la cognition. Elle fait également de la recherche et de la représentation pour le mieux-être des étudiants dans le milieu universitaire.