Loading Ajouter aux Favoris

Léna Bergeron et Nadia Rousseau

De manière générale, soutenir le développement de l’autodétermination suppose d’amener les élèves à se connaître et à s’accorder de la valeur, à se sentir efficace et en contrôle, à promouvoir leurs droits et les défendre, à se fixer des buts et les poursuivre, à faire des choix, prendre des décisions et résoudre des problèmes, à avoir un regard sur eux et recourir à un langage interne (Wehmeyer & Agran, 2007, Wehmeyer, Agran & Hughes, 1998).

En soutenant ces habiletés et aptitudes chez les élèves ayant des difficultés ou des troubles d’apprentissage (TA), ils seront plus enclins à agir de manière proactive, à prendre du pouvoir dans leur vie scolaire, à persévérer malgré les obstacles et à apprendre de leurs erreurs. Cette option semble aussi prometteuse pour susciter un plus grand intérêt vis-à-vis de l’école et pour les amener à intégrer leur éduca­tion comme partie prenante de soi.

Or, trop souvent, les élèves ayant des besoins particuliers à l’école n’ont pas ipso facto développé ces habiletés et n’ont pas suffisamment d’occasions de s’autodéterminer dans leur cheminement scolaire. En effet, viser le développement de l’autodétermination des élèves ayant des TA implique une rupture avec cette tendance naturelle, quoique bien intentionnée, de prendre en charge les élèves que l’on considère avoir besoin d’un plus haut niveau de soutien.

Lorsque les décisions sont prises pour eux, il est peu probable qu’ils se considèrent les acteurs principaux de leur parcours scolaire, et par ricochet, qu’ils aient suffisamment confiance en leurs moyens pour prendre des risques et agir de manière proactive.

Par analogie, si un élève flotte toute sa vie à l’aide d’un gilet de sauvetage, il est peu probable qu’il se mette à nager si ce gilet lui est soudainement enlevé! (Wehmeyer, Agran & Hughes, 1998). Soutenir le développement de l’autodétermination ne peut se faire sans le passage de l’élève passif et dépendant vers l’élève actif et autonome.

Enfant avec un gilet de sauvetage

Dans ce contexte, comment des intervenants scolaires peuvent-ils soutenir le développement de l’autodétermination des élèves ayant des TA ?
Une étude de cas à visée compréhen­sive s’est donné le mandat de répondre à cette question (Bergeron, 2012). Les résultats révèlent des pistes d’actions prometteuses ainsi que quatre constats à garder en tête. La figure suivante permet d’illustrer ce qu’il convient d’en retenir.

Figure 1 : Le soutien au développement de l’autodétermination

Diagramme commence par : « En recherche de cohérence que facilite la collaboration » et puis des flèches pointe à trois bulles nommées : « Soutien », « Perceptions et croyances », « Occasions ». La bulle nommée « Perceptions et croyances » est reliée à une autre bulle nommé « Capacités ». Ensuite, il y a des flèches reliant les bulles « Soutien », « Capacités », et « Occasions » à un cercle divisé en quart avec section : « Autonomie », « Autorégulation », « Empowerment psychologique », et « Autoréalisation ». Il y a des flèches qui relient ce cercle à « l’autodétermination relative». Le tout est encadré démontrant que ceci est présenté dans un contexte reconnaissant l’interdépendance.Un sentiment de compétence et de sécurité

Il semble que de se sentir capable de réussir et se sentir en sécurité soient deux conditions essentielles aux comportements autodéterminés.

Ce constat est illustré dans la figure 1 par l’interaction entre la perception et les croyances que les jeunes ont de leurs capacités, ce qui favorisera ou non un agir autodéterminé. Les résultats révèlent que puisqu’ils sont plus régulièrement en situation de difficulté et de besoin, le sentiment de compétence et de sécurité affective peut être plus fréquemment ébranlé chez les élèves ayant des Ta. Lorsque ces derniers sont faces à des situations d’apprentissage qu’ils ne peuvent réussir, qui sont inaccessibles en fonction de leurs difficultés et qu’ils sentent ne plus avoir de pouvoir et de contrôle sur la tâche, il est peu probable qu’ils ressentent une quelconque emprise sur leurs apprentissages.

Ils sont certainement moins sujets à s’y investir, encore moins avec autodétermination. Ainsi, soutenir le développement de l’autodétermination suppose, entre autres choses, la mise en place de situations d’enseignement-apprentissage permettant aux élèves de vivre des réussites et des succès. Il est alors question de recourir à la diffé­renciation pédagogique et de s’assurer que les élèves terminent les tâches et les projets qu’ils entreprennent.

Cliquer ici afin d'accéder à l'article La diffé­renciation pédagogique.

De plus, les résultats de cette étude mettent en évidence que si les élèves ont peur de la réaction de leurs pairs lorsqu’ils demandent de l’aide et s’ils ont peur de faire des erreurs devant les adultes qui inter­viennent auprès d’eux, il est peu probable qu’ils s’exposent et prennent les risques et les initiatives nécessaires à un agir autodéterminé. Ainsi, pour contribuer à une perception de soi positive nécessaire à la prise de risque, les professionnels de l’enseignement peuvent apprendre aux élèves à poser un regard authentique sur eux en leur offrant une reconnaissance pour ce qu’ils sont et ce qu’ils font ainsi qu’en suscitant la confiance en leurs moyens.

La mise en place d’ateliers de connaissance de soi, tel que les  ateliers « pros des technos » permet aussi de soutenir les élèves en ce sens (cliquer ici afin d'accéder à des renseignements concernant ces ateliers). Finalement, la création d’un climat relationnel sécurisant et empreint de confiance en apprenant aux élèves à entrer en relation les uns avec les autres ainsi qu’en installant une confiance réciproque adulte-enfant, semble une pratique gagnante.

Un contexte propice et soutenant

Le fait d’offrir des situations d’enseignement-apprentissage qui procurent des occasions de développer l’autodétermination et soutenir les élèves dans cette même optique apparaît complémentaire dans le travail au développement de l’autodétermination.

C’est donc dans la recherche de cohérence entre ces deux aspects du travail enseignant que semblent se trouver les meilleures conditions pour viser le développement de l’autodétermination des élèves. Ce constat est illustré dans la figure 1 par l’interaction entre les occasions et le soutien. Ainsi, soutenir le développement de l’autodétermination suppose de créer des situations d’enseignement-apprentissage qui donnent une place active et centrale à l’élève.

À titre d’exemple, les professionnels de l’enseignement peuvent s’assurer que les élèves ont l’occasion de prendre des décisions, de faire des choix et qu’ils sont autonomes face aux ressources qu’ils peuvent mobiliser en cours d’apprentissage. Les professionnels de l’enseignement peuvent aussi provoquer des situations pédagogiques de travail entre pairs, où les élèves ont la possibilité d’analyser, de critiquer et de se prononcer sur les tâches et les stratégies des autres, tout comme ils ont l’occasion de demander aux autres de porter un regard sur leurs tâches et leurs stratégies afin de recueillir leurs suggestions. Dans ce contexte d’apprentissage, les professionnels de l’enseignement sont dans une posture de soutien et jouent un rôle de guide, ils questionnent pour faire verbaliser les élèves et lorsque nécessaire, ils modélisent et se montrent en exemple. Ils responsabilisent les élèves face à l’apprentissage et leur apprennent à demander de l’aide.

Les résultats de cette étude mettent aussi en lumière l’importance, pour soutenir le développement de l’autodétermination, de créer des situations d’enseignement-apprentissage qui engendrent le besoin et le désir d’apprendre. Ainsi, les professionnels de l’enseignement ont avantage à s’efforcer d’offrir aux élèves l’occasion de s’engager dans des situations ayant une intention réelle et signifiante, des situations qui présentent des défis aux élèves, et des situations ancrées dans les besoins exprimés par les élèves ou perçus par les intervenants. En résumé, les élèves doivent avoir l’occasion de s’engager activement dans leurs apprentissages avec intérêt et l’intervenant les accompagne dans l’appropriation et la responsabilisation qui s’y associent.

Une perspective citoyenne et collective

Il ressort que l’autodétermination gagne à être considérée dans une perspective collective et citoyenne plutôt que dans une perspective individualiste. Ce constat est présenté dans la figure 1 par l’encadré illustrant ce contexte reconnaissant l’interdépendance.
Effectivement, l’autonomie et la liberté qu’elle confère doivent nécessairement s’accompagner de responsabilités; tout comme les droits et libertés devraient se doubler de devoirs et d’obligations.
De plus, une erreur d’interprétation commune amène parfois à penser qu’être autodé­terminé, c’est faire par soi-même, seul et sans aide. Ce n’est pas dégagé de toute aide, influence ou interférence qu’un individu agit de manière autodéterminée.
Toutefois, cette influence ne prendra pas la forme d’un contrôle excessif d’une personne externe, mais prendra plutôt la forme, par exemple, de consi­dérations aux pairs et de responsabilisation collective. Les résultats de cette recherche mettent en lumière que c’est notamment en responsabilisant les élèves par rapport au groupe, en procurant des moments de collaboration et en leur apprenant à entrer en relation avec les autres qu’il est possible de viser cette responsabilité collective favorable au développement de l’autodétermination.

Une cohésion d’action

La cohérence des actions posées par les intervenants scolaires semble pouvoir amplifier la force des interventions soutenant le développement de l’autodétermination.

Effectivement, les élèves risquent moins de se permettre de prendre des initiatives et d’être autonomes si les environnements où il est possible de le faire sont incertains. Ce constat est illustré dans la figure 1 par la collaboration qui permet de faciliter la recherche de cohérence entre les occasions que les élèves ont de s’autodéterminer et le soutien offert dans cette logique.

Cette étude a permis de faire ressortir la force d’avoir une visée pédagogique nommée et commune en lien avec l’autodétermination. Cette mobili­sation peut se concrétiser dans le quotidien par une recherche de continuité dans l’intervention auprès des élèves ayant des TA, qu’ils travaillent en salle de classe ou en sous-groupe en orthopédagogie, par la création de moments d’échanges et de partage pédagogique, par la présence active et impli­quée de l’orthopédagogue en salle de classe. Les intervenants soucieux du développement de l’autodétermination ont donc avantage à s’arrimer avec les adultes intervenants auprès des élèves, ou encore à encourager les intervenants à agir dans l’idée de développer l’autodétermination des élèves ayant des TA, soit en les sensibilisant à cette visée, soit en les aidant à découvrir comment il est possible d’intervenir en ce sens.

Pour conclure, soutenir le développement de l’autodétermination commence par être attentif à chaque geste posé de manière à y reconnaître des interventions susceptibles d’y contribuer. En éveillant d’abord notre conscience à ce que nous réalisons déjà en ce sens, nous pourrons potentialiser sur nos forces comme enseignant et intervenant, et bonifier tranquillement notre répertoire d’interventions.

L’autodétermination des jeunes ayant des TA est une cible à long terme qui gagne à devenir le moteur de nos choix pédagogiques et orthopédagogiques. C’est en ce sens que nous arriverons à offrir une éducation permettant aux jeunes d’apprendre à agir de manière proactive, à prendre du pouvoir dans leur vie, à persévérer malgré les obstacles et à apprendre de leurs erreurs : en un mot, à se préparer à la vie adulte. N’est-ce pas là un des rôles fondamentaux de l’École?

Un exemple d’activité visant le développement de l’autodétermination :

Rousseau, N. (2012). Les ateliers pros des technos. À toi de devenir un pro! [Vidéo réalisée par L. Bergeron et J. Anka-Thibaudeau]. Trois-Rivières, Québec : Université du Québec à Trois-Rivières. Récupéré du site de la Chaire de recherche Normand-Maurice, section Publications - Productions multimédias :


Les pros des technos by Chaire_Normand-Maurice

Cliquer ici afin d'accéder à la vidéo.

Ressources pertinentes sur le site Web de TA@l'école

Cliquer ici afin d'accéder à l'article La diffé­renciation pédagogique.

Cliquer ici afin d'accéder à la vidéo L’autodétermination : des outils pour la réussite tout au long de leur vie.

Cliquer ici afin d'accéder au balado Soutenir l’autodétermination des élèves ayant des TA à l’école.

Cliquer ici afin d'accéder à l'article L’enseignement explicite de l’habileté à défendre ses intérêts.

Ressources intéressantes[1] :

Bergeron, L. (2013). L’autodétermination : un tremplin pour soutenir le goût de l’école. Dans S. Ouellet (dir.), Une histoire de passion – Soutenir le goût de l’école. Québec : Presses de l'Université du Québec, Collection Éducation/Intervention.

Bergeron, L., Bergeron, G. et Rousseau, N. (2011). Favoriser le bien-être des élèves ayant des troubles ou des difficultés d’apprentissage par le développement de l’autodétermination : élément central de la pédagogie de la sollicitude. Dans D. Curchod, L. Lafortune, P.-A. Doudin et N. Lafranchise (dir.), La santé psychosociale des élèves (p. 265-288). Québec : Presses de l'Univer­sité du Québec, Collection Éducation/Recherche.

Wehmeyer, M.L., Agran, M., & Hughes, C. (1998). Teaching self-determination to students with disabilities. Basic skills for successful transition. Baltimore: Paul H. Brookes.

Wehmeyer, M.L. (2003). Theory in self-determination: foundations for educational practice. Springfield, IL: C.C. Thomas.

Wehmeyer, M.L. (2005). Self-determination and individuals with severe disabilities: Reexamining meanings and misinterpretations. Research and Practice for Persons with Severe Disabilities, 30, 113-120.

Wehmeyer, M.L. et Field, S.L. (2007). Self-determination : instructional and assessment strategies. Thousand Oaks, CA: Corwin Press.

horizontal line teal

[1]La transposition du concept d’autodétermination aux élèves ayant des troubles d’apprentissage est relativement récente comparativement aux élèves ayant une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme. C’est pourquoi plusieurs textes concernent les interventions permettant de soutenir le développement de l’autodétermination chez ces jeunes. Un constat est toutefois que ces dernières ressemblent considérablement à celles décrites dans cette étude et en ce sens, peuvent très bien servir à orienter l’action pour les élèves ayant un trouble d’apprentissage.

horizontal line teal

Nadia Rousseau détient un doctorat en psychopédagogie et une maîtrise en éducation spécialisée  de l’Université de l’Alberta.  Professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières, elle est titulaire de la Chaire de recherche Normand-Maurice, responsable du QISAQ (Qualification et insertion socioprofessionnelle des jeunes adultes québécois) et chercheure régulière au LISIS (Laboratoire international sur l’inclusion scolaire). Détentrice d’un prix d’excellence en recherche (2009), ses travaux portent sur l’expérience scolaire et la connaissance de soi des jeunes ayant des troubles d’apprentissage, la pédagogie inclusive, et  les facteurs clés favorisant l’obtention d’un premier diplôme d’un plus grand nombre de jeunes ayant des difficultés scolaires.

Léna Bergeron détient une maîtrise en sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Elle réalise actuellement son doctorat en éducation à cette même université. Elle est assistante de recherche à la Chaire de recherche Normand-Maurice et elle est membre étudiante au LISIS (Laboratoire international sur l’inclusion scolaire).Ses travaux portent sur le soutien au développement de l’autodétermination des élèves ayant des besoins particuliers et sur la planification de l’enseignement pour une diversité d’élèves.