Introduction
À partir de 9 ans, les élèves lisent pour acquérir de nouvelles connaissances (MELS, 2011). Les textes qu’ils abordent à cette fin traitent de sujets souvent loin de leur vie quotidienne faisant en sorte que la majorité des ressources cognitives soient attribuées à la compréhension et de moins en moins à l’identification des mots. Cette attribution se ferait sans difficulté si les mots qui composent ces textes soient les mêmes que ceux qu’ils ont déjà rencontrés dans les années précédentes. Or, ce n’est pas le cas pour la majorité des mots. Les textes de la fin de l’élémentaire abondent en mots nouveaux, plus longs et composés de plus d’un morphème (ex. é-vapor-(at)ion, soit préfixe+racine+suffixe). Si de bonnes connaissances sur les morphèmes aident les bons lecteurs à rapidement identifier les mots polymorphémiques, le faible niveau de ces connaissances empêchent 15 à 20 % des élèves de fin du primaire à en bénéficier (Desrosiers & Tétrault, 2012; ONL, 2000). Heureusement, les connaissances sur les morphèmes, les capacités à les manipuler, qu’on désigne par le terme de conscience morphologique (Carlisle, 1995) peuvent être développées chez les lecteurs en difficulté et leur identification des mots peut être améliorée. C’est pourquoi les activités qui favorisent le développement de la conscience morphologique sont fortement recommandées pour soutenir les lecteurs en difficulté (Gombert et al., 2000).
C’est dans cette optique que nous présentons dans cet écrit une activité morphologique favorisant l’identification des mots polymorphémiques chez les lecteurs ayant des troubles d’apprentissage. La description de la séquence d’enseignement sera suivie de quelques recommandations quant aux modalités didactiques de l’enseignement de la conscience morphologique.
Séquence d’une activité morphologique
Intention didactique : transférer les connaissances morphologiques sur les racines vers l’identification des mots.
La séquence d’enseignement est conçue selon les trois phases de l’enseignement stratégique (Tardif, 1992).
Mise en situation
Comme la mise en situation sert à activer les connaissances antérieures et à motiver et orienter les élèves vers l’acquisition de nouvelles connaissances, l’enseignant(e) commence par demander aux élèves de trouver les mots de la famille de certains mots (ex. courage : courageux, encourager, courageusement, décourager, encouragement, découragement, etc.). Il(elle) écrit leurs réponses au tableau en divisant bien les familles de mots. Idéalement, cette séquence doit être précédée - pas forcément le même jour - d’une activité où les élèves ont eu l’occasion de travailler sur les familles de mots et ont compris le concept famille de mots. Les exercices proposés par les cahiers d’activités peuvent être exploités à cet égard. Afin de préparer les élèves à la deuxième phase de la séquence, l’enseignant(e) demande aux élèves comment la connaissance des familles de mots pourrait les aider lors de la lecture. Il (elle) se sert de leurs réponses pour entamer la phase de réalisation en précisant qu’effectivement la connaissance qu’un bon nombre de mots sont formés de la même racine aide à les lire plus rapidement et avec plus de précision ou justesse.
Réalisation
Ensuite, l’enseignant(e) propose une première activité de lecture qui se réalise bien à l’aide d’un tableau blanc interactif (TBI). Deux élèves volontaires sont invités à taper avec des tape-mouches le plus vite qu’ils peuvent tous les mots d’une famille (ex. formée de la racine courage) dispersés parmi une dizaine d’autres mots tels que cage, carrelage, enragé, etc. Cette activité peut être répétée avec d’autres familles de mots autant de fois que l’enseignant(e) le juge pertinent pour son groupe d’élèves. Une deuxième activité dans cette séquence serait de préparer une dizaine de diaporamas (avec le logiciel PowerPoint ou tout autre logiciel similaire sur TBI). Dans chaque diaporama, l’enseignant(e) présente la racine de la famille (ex. respect) et après chaque clic, en mode apparition-disparition, les mots de la famille (ex. respectueux, respectueusement, irrespect, irrespectueux, etc.). Comme le temps d’identification des mots pour les lecteurs experts est de 150-250 millisecondes, il est réaliste, nous l’avons essayé avec les élèves de 4e année, de prévoir 500 millisecondes pour la durée d’apparition de chaque mot (voir Figure 1). Faute de TBI, l’enseignant(e) pourrait monter de grandes affiches (80x60cm) à la manière des diaporamas. Pour vivre cette activité, soit les élèves se proposent volontairement, soit une compétition entre les équipes peut être suggérée. Pendant que l’enseignant fait dérouler les mots sur le TBI ou les affiches cartonnées, l’élève doit identifier le plus de mots possible avant qu’ils disparaissent. Une troisième activité serait de proposer des listes de familles de mots à chaque dyade d’élèves et de leur demander de mesurer le temps de lecture. Le but est de les amener à améliorer leur fluidité en lisant plusieurs fois les listes de mots. La comparaison du temps de lecture personnel du premier et du dernier essai leur permettra de se rendre compte de leur amélioration en lecture de mots.
Figure 1 Capture d’écran du montage de la diaporama pour l’identification des mots avec le logiciel Powerpoint.
Intégration
L’enseignant(e) demande aux élèves de dire dans leurs mots ce que ces activités leur ont fait comprendre et comment ils se serviront de la famille des mots dans leurs prochaines lectures. Des traces de leurs réponses peuvent être gardées dans le coin morphologique qui peut être aménagé dans la classe ou dans un dossier numérique sur TBI.
Dans les conditions où les programmes favorisant le développement de la conscience morphologique se font rares (Chapleau, 2017; Fejzo, 2016), les enseignants qui souhaitent intégrer des activités morphologiques dans l’enseignement du français, peuvent se servir de cette séquence-type pour réaliser des activités morphologiques après l’explication des préfixes les plus productifs (ex. dé-, in-, re-, en-) ou des suffixes les plus productifs (-ment, -ion, -age, -eux, -ain). Les listes de mots seront bâties en fonction des affixes préalablement enseignés (ex. pour le préfixe in- écrire inchangé, indéterminé, intransitif, imbuvable, imperméable, etc., mais aussi inacceptable, inoubliable, inatteignable, etc.). De plus, quelques modalités didactiques méritent d’être soulignées pour observer les effets escomptés. Ainsi, partir de ce que les élèves ont implicitement acquis pour les amener vers des connaissances explicites plus complexes, les inviter à observer, réfléchir et découvrir les régularités de la formation des mots en français (Brissaud & Cogis, 2011), les inciter à prévoir le transfert des connaissances morphologiques dans des situations de lecture et d’écriture et répondre à leurs besoins spécifiques en offrant, en petit groupe, un soutien supplémentaire aux lecteurs ayant des troubles d’apprentissage.
Force est de reconnaître que la conception des activités morphologiques demande beaucoup d’efforts et du temps pour les professionnels de l’enseignement, mais leur potentiel instructif sur plusieurs aspects de la littératie telle que l’identification des mots, l’orthographe lexicale, le vocabulaire, la compréhension en lecture et l’écriture de textes en vaut la peine. De plus, basé sur des résultats de recherche encourageants, du matériel pédagogique commence à être produit à cet égard. Notamment la trousse pédagogique Histoire de famille (Fejzo, 2016) et L’arbre des mots (Chapleau, 2017) sont disponibles pour les professionnels de l’enseignement.
Ressources pertinentes sur le site Web de TA@l’école :
Bibliographie
Brissaud, C., & Cogis, D. (2011). Comment enseigner l'orthographe aujourd'hui. Paris: Hatier.
Carlisle, J. F. (1995). Morphological awareness and early reading achievement. In L. B. Feldman (Ed.), Morphological aspects of language processing (pp. 189-209). Hillsdale: Erlbaum.
Chapleau, N. (2017). L'arbre des mots. Bromont, Québec.
Desrosiers, H., & Tétrault, K. (2012). Les facteurs liés à la réussite aux épreuves obligatoires de français en sixième année du primaire: un tour d'horizon. Retrieved from http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs2243012
Fejzo, A. (2016). Histoire de famille. Bromont, Québec: Fino Éducation.
Gombert, J.-É., Colé, P., Valdois, S., Goigoux, R., Mousty, P., & Fayol, M. (Eds.). (2000). Enseigner la lecture au cycle 2. Paris: Nathan.
MELS. (2011). Référentiel d'intervention en lecture pour les enfants de 10 à 15 ans. Québec Retrieved from http://edu1014.teluq.ca/teluqDownload.php?file=2013/01/EDU1014_ReferentielInterventionLecture.pdf.
ONL (Ed.) (2000). Maîtriser la lecture poursuivre l'apprentissage de la lecture de 8 à 11 ans Paris: O. Jacob; Centre national de documentation pédagogique.
Tardif, J. (1992). Pour un enseignement stratégique. Montréal: Gaetan Morin.Anila Fejzo, PhD, est professeure au département de la didactique des langues de l’Université du Québec à Montréal. Elle s’intéresse, dans une perspective didactique, aux processus cognitifs mis en œuvre lors de la lecture et de l’écriture. Notamment, elle tente de comprendre comment les connaissances sur les morphèmes sont mises à profit par les élèves lorsqu’ils lisent ou écrivent des textes. De plus, encouragée par les résultats de ses recherches et de recherches similaires dans le domaine, elle a conçu des interventions didactiques afin d’outiller les enseignant.e.s à mieux soutenir les lecteurs et scripteurs intermédiaires.
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