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Par Dre Amal Boultif

Mise en contexte

La compréhension en lecture est une compétence disciplinaire et transversale qui est en lien direct avec la réussite scolaire des élèves. En effet, le long de leur scolarité, les élèves doivent d’abord lire pour comprendre, puis rapidement lire pour apprendre dans d’autres disciplines (Greenleaf et al., 2023 ; Cartier, 2006).

Des données issues des tests provinciaux de l’Office de la Qualité et de la Responsabilité en Éducation, OQRE (2022) indiquent que le rendement de 81 % des élèves de la 3e année se situe entre le niveau 3 et 4 des attentes du curriculum. Ceci signifie qu’environ 19 % restants démontrent un rendement insuffisant, en lecture par rapport aux attentes du curriculum (OQRE, 2022)[1]. Ces résultats sont un peu plus inquiétants en 9e année, car même si 54 % des élèves atteignent un seuil acceptable de rendement en lecture (entre les niveaux 3 et 4, selon les attentes du curriculum), il n’en demeure pas moins que les 40 % restants se classent en dessous des attentes, entre les niveaux 2 et -1 de rendement, en lecture, selon les attentes du curriculum (OQRE, 2022)[2]. Rappelons que les élèves qui éprouvent des difficultés en lecture sont considérés comme étant à risque d’échec et de décrochage scolaire, selon de nombreuses recherches (Biancarosa et Snow, 2006). Voilà pourquoi, il est crucial de s’intéresser à la lecture et à son enseignement du point de vue des pratiques gagnantes et probantes.

Dans ce texte nous proposons des pistes de réflexion sur le sujet et nous tentons de répondre à la question suivante : comment aider les élèves à mieux lire et à mieux comprendre des textes en français et dans d’autres disciplines ? Nous vous présentons aussi des stratégies incontournables, validées par la recherche et qui ont fait leurs preuves dans les classes, pour soutenir et développer des compétences en compréhension de la lecture.

Tout d’abord, nul ne peut nier que la lecture est une compétence clé qui joue un rôle essentiel dans la vie quotidienne des individus et dans la réussite scolaire (Biancarosa et Snow, 2006). La recherche a établi que l’apprentissage de la lecture est un processus complexe qui implique la compréhension de la phonétique, de la syntaxe et de la sémantique, entre autres compétences (Sprenger-Charolles et Ziegler 2019 ; Bianco et al., 2004). De plus, dès le primaire, les élèves doivent adapter leurs modes et leurs objectifs de lecture aux contextes, aux tâches, aux textes et aux documents à l’étude. Ces mêmes élèves sont rapidement mis au défi de résoudre des problèmes de compréhension qui vont aller en s’intensifiant (Giasson, 1990). Au fil des années, il est attendu que leur compétence en compréhension de la lecture s’améliore pour mieux s’adapter à des textes dont la difficulté va augmenter (Ouellet et al., 2015). Malheureusement, les élèves qui rencontrent des difficultés en lecture accusent du retard par rapport à leurs camarades et cela se répercute sur leur scolarité et peut mener à une scolarité difficile ou à un décrochage précoce (Stanké et al., 2009).

La lecture stratégique

La lecture stratégique est une approche de la lecture qui encourage les élèves à utiliser des stratégies spécifiques pour améliorer leur compréhension des textes (Almasi, 2003 ; Giasson, 1992). Ces stratégies peuvent inclure la prédiction, la clarification, la visualisation et la synthèse, entre autres stratégies. En utilisant ces dernières, les élèves peuvent mieux identifier les idées principales d’un texte, comprendre les relations entre les idées et les détails importants, se faire une idée complète de ce dont traite le texte et de l’intention de son auteur et en discuter (Taylor et al., 2002). La lecture stratégique vise à améliorer les processus de compréhension chez les élèves en les mettant dans une posture active, où ils peuvent réfléchir et négocier le sens du texte (Tauveron, 2002). Cette approche dépend fortement de la capacité des élèves à s’appuyer sur les indices textuels, sur la structure du texte et sur leurs propres connaissances sur les thèmes ou sujets abordés, pour comprendre un texte. Elle nécessite l’enseignement explicite de stratégies de lecture telles que le questionnement ou la clarification avant, pendant et après la lecture (Giassson, 1990). La lecture stratégique devrait commencer dès le plus jeune âge, dans les classes, par un modelage régulier des enseignants, qui sont des modèles de lecteurs. En partant du modelage des enseignants, les élèves peuvent commencer par pratiquer des stratégies simples, comme prédire ce qui va se passer dans un récit, en fonction des images ou du titre. Par la suite, ils peuvent progresser vers des stratégies plus avancées, comme identifier les idées principales et les distinguer des idées secondaires (Greenleaf et al., 2023). La lecture stratégique n’est pas une méthode, c’est plutôt une approche qui intègre un ensemble de stratégies d’enseignement comme le modelage, la conversation métacognitive et la réflexion à voix haute, qui ont été validées et testées par la recherche et dans les classes (Greenleaf et al., 2023 ; Bereiter et al., 1985).

Dans ce qui suit, nous présentons quelques éléments à prendre en considération pour optimiser l’enseignement de la compréhension.

La fluidité avant tout

Atteindre un seuil acceptable de fluidité en lecture est nécessaire pour atteindre une bonne compréhension (Sprenger-Charolles et Ziegler, 2019). Un élève avec des problèmes de fluidité est souvent démotivé à poursuivre sa lecture. Il rencontre des difficultés quand il s’agit d’effectuer des tâches plus complexes, dans les cours de langue. Par exemple, retenir de l’information à partir de sa lecture et l’utiliser pour paraphraser un passage ou un paragraphe, identifier les idées principales et les distinguer des idées secondaires, répondre à des questions, interpréter ou faire le résumé d’un passage ou d’un texte (Landerl, 2008). Il est donc impératif de s’attaquer à cette difficulté, dès le départ. Des pratiques de lecture de textes quotidienne et intensive (lecture individuelle, lecture enregistrée, lecture partagée, lecture appuyée par des supports audio) peuvent aider à améliorer la vitesse et la fluidité (Bessette, 2012).

Stratégies d’enseignement de la lecture stratégique

Pour soutenir leurs élèves en lecture et les autonomiser, les enseignantes et les enseignants peuvent :

  • Utiliser des questions de compréhension pour guider la lecture. Par exemple, poser des questions aux élèves pour les aider à comprendre le sens d’un texte. Par exemple, un enseignant peut demander aux élèves de décrire ce qui se passe dans une scène donnée, de déterminer comment un personnage se sent ou de déterminer ce qui est important dans le texte.
  • Enseigner la prédiction en posant des questions aux élèves sur ce qu’ils pensent qu’il va se passer ensuite dans le texte. Par exemple, un enseignant peut demander aux élèves de prédire ce qui va se passer à la fin d’un chapitre ou d’une histoire.
  • Encourager les élèves à faire des connexions en les aidant à relier les idées du texte entre elles, et à faire des liens avec leurs propres connaissances (sur les thèmes, les genres, les notions, etc.)
  • Encourager les élèves à utiliser des stratégies de lecture selon les contextes, sur les textes, mais aussi sur les questionnaires des examens de lecture, par exemple, de manière régulière et leur donner de la rétroaction sur leur utilisation de ces stratégies. Ils et elles peuvent également utiliser des évaluations formelles et informelles pour mesurer la compréhension des élèves, mais aussi leurs usages des stratégies pour résoudre des bris de compréhension, par exemple.

Il est aussi recommandé d’utiliser des livres de lecture qui sont adaptés au niveau de lecture de chaque élève pour assurer leur succès. Les livres trop difficiles peuvent frustrer et décourager les élèves, tandis que les livres trop faciles ne les défient pas suffisamment pour améliorer leurs compétences. L’utilisation de textes authentiques qui intéressent les élèves est aussi conseillée. Ces textes peuvent être des articles de journaux, des histoires courtes, des extraits de romans, des poèmes ou même des chansons. Les élèves seront plus motivés à lire et à utiliser des stratégies de lecture stratégique s’ils sont intéressés par le sujet.

Ce point est d’autant plus important que les résultats des tests de l’OQRE (2022) montrent que 71 % des élèves de 3e année aiment et s’intéressent à la lecture et que cela baisse en 6e et 10e année où les élèves qui ont de l’intérêt pour la lecture sont respectivement 59 % et 40 % (OQRE, 2022). Ceci pourrait expliquer, en partie, le manque d’intérêt de certains élèves, pour les lectures proposées en classe. Les élèves seront plus motivés à lire et à discuter de leurs lectures, s’ils sont intéressés par ces dernières (Boultif, 2015 ; Hébert, 2004).

De plus, les discussions autour des lectures par exemple, vous pouvez leur donner un but ou une intention de lecture en posant des questions, pour orienter leur lecture et aussi pour susciter leur intérêt (Afflerbach, 2002 ; Tauveron, 2002).

Les enseignants doivent enseigner des stratégies de compréhension telles que la clarification, la prédiction, l’inférence, la visualisation, le résumé, l’inférence, entre autres, pour aider les élèves à les maitriser. En utilisant ces stratégies, les élèves peuvent mieux comprendre les idées principales d’un texte, les relations entre les idées et les hiérarchiser (de la plus importante à la moins importante) et en faire un résumé (Biancarosa et Snow 2006). Pour ce faire, les enseignantes et les enseignants doivent devenir des modèles de lecteurs pour leurs élèves et doivent pratiquer le modelage de leur lecture, le plus souvent possible (Greenleaf et al., 2023). Le modelage est une stratégie d’enseignement qui vise à montrer aux élèves comment utiliser des stratégies de lecture concrètement, en lisant à voix haute un texte et en expliquant les stratégies utilisées. On a recours au modelage pour montrer comment on clarifie un mot, une phrase ou un passage. En somme, il s’agit de montrer comment fait un lecteur expert (l’enseignante ou l’enseignant) pour résoudre un bris de compréhension. Cette pratique s’appuie sur des stratégies de lecture comme : relire, faire des liens, identifier l’origine étymologique d’un mot, rechercher des mots clés, un champ lexical, identifier une idée principale, un argument, un exemple, etc. (Greenleaf et al., 2023). Les élèves peuvent ensuite pratiquer l’utilisation de ces stratégies, seuls, avec l’enseignante ou l’enseignant ou en équipes. Grâce au modelage les élèves comprennent mieux certaines stratégies qui permettent par exemple de lire par groupe de mots et de sélectionner des passages pertinents. L’enseignement explicite de stratégies de lecture régulièrement, permet aux élèves de progresser vers l’autonomie.

Les élèves doivent aussi être encouragés à lire à la maison pour améliorer leur compétence en lecture. Les enseignants peuvent fournir des listes de lecture, organiser des concours de lecture ou encourager les parents à lire avec leurs enfants (Biancarosa et Snow, 2006).

Enfin, il est recommandé d’associer la lecture et l’écriture dans des dispositifs de lecture-écriture qui ont fait leurs preuves. Par exemple, les cercles de lecture, les ateliers de lecture et autres dispositifs similaires, qui permettent de motiver les élèves à parler et à écrire sur et à propos de leurs lectures. Ces dispositifs qui favorisent le lire-écrire, selon les recherches, développent des compétences critiques et analytiques chez les élèves et les engagent activement dans des activités autour de leurs lectures (Boultif, 2012 ; Greenleaf et al., 2023 ;  Hébert, 2004 ; Tauveron, 2002).

Les stratégies d’enseignement de la lecture stratégique

Voici une liste non exhaustive de stratégies incontournables et validées par la recherche (Biancarosa et Snow, 2006), à enseigner explicitement et qui peuvent contribuer grandement au développement de lectrices et de lecteurs experts et autonomes.

  1. Se donner une intention de lecture est une stratégie qui permet de se concentrer sur un but spécifique tout en lisant. Cette stratégie implique de se poser des questions sur le but de la lecture avant de commencer et de se concentrer sur les informations qui répondent à ces questions. Se donner une intention de lecture peut aider à garder les lecteurs engagés dans le texte et à mieux comprendre les informations pertinentes. Utiliser des questions de compréhension pour guider la lecture : les questions de compréhension sont une stratégie importante pour aider les élèves à comprendre le sens d’un texte. Les enseignants peuvent utiliser des questions de compréhension pour guider la lecture des élèves et leur permettre de réfléchir de manière critique sur ce qu’ils lisent.
  2. Enseigner la prédiction : la prédiction est une compétence clé de la lecture stratégique. Les enseignants peuvent enseigner la prédiction en posant des questions aux élèves sur ce qu’ils pensent qu’il va se passer ensuite dans le texte. Formuler des hypothèses est une stratégie qui permet de prédire ce qui va se passer dans le texte. Cette stratégie implique de se poser des questions sur le texte avant de le lire et de formuler des hypothèses sur les réponses à ces questions. Formuler des hypothèses peut aider à garder les lecteurs engagés dans le texte et à mieux comprendre les événements qui se déroulent.
  3. Se questionner et questionner : les élèves doivent être capables de poser des questions pour clarifier leur compréhension du texte. Le questionnement actif en grand groupe et guidé par l’enseignant permet, à la fois d’enseigner cette stratégie, mais aussi de partager les stratégies, de questionnement et de clarification, au sein du groupe.
  4. Faire des liens est une stratégie qui permet de relier les différentes parties d’un texte entre elles. Cette stratégie implique de trouver des similitudes, des différences ou des connexions entre les idées présentées dans le texte. Faire des liens peut aider à mieux comprendre le texte dans son ensemble et à retenir les informations plus facilement. Les enseignants doivent encourager les élèves à relier le texte à leurs propres expériences et connaissances.
  5. Enseigner l’inférence : l’inférence est une compétence importante en lecture. Les élèves doivent être capables d’inférer des informations à partir des indices textuels et métatextuels. Faire des inférences est une stratégie qui consiste à tirer des conclusions sur les informations implicites d’un texte. Cette stratégie implique de comprendre le sens caché des mots ou des phrases dans un texte et de faire des hypothèses sur ce qui n’est pas explicitement écrit. Faire des inférences peut aider les lecteurs à comprendre les nuances du texte et à mieux saisir les intentions de l’auteur.
  6. Déterminer l’importance de l’information : les élèves doivent être capables de déterminer ce qui est important dans le texte pour comprendre le message de l’auteur.
  7. Le résumé est une stratégie importante qui permet de comprendre l’essentiel du texte en un minimum de temps. Cette stratégie consiste à extraire les informations essentielles d’un texte et à les résumer de manière concise. Le résumé est particulièrement utile pour les textes longs et complexes, tels que les manuels scolaires ou les articles académiques.
  8. Évaluer : les élèves doivent être capables d’évaluer le texte pour déterminer s’il est crédible et si les informations présentées sont fiables.
  9. Annoter les textes est une stratégie qui permet de prendre des notes pendant la lecture. Cette stratégie implique de souligner, de surligner ou d’écrire des notes dans les marges du texte pour aider à identifier les informations importantes. Annoter les textes permet une meilleure rétention des informations clés du texte.

Conclusion

Si ces stratégies d’enseignement de la lecture sont adoptées et mises en œuvre régulièrement, elles peuvent améliorer les compétences des élèves et diminuer graduellement la charge de l’enseignant, tout en donnant plus de liberté et d’agentivité aux élèves (Hagaman et al., 2010). L’enseignant n’a plus à répondre à toutes les questions, les élèves, individuellement ou en groupe, apprennent à développer des stratégies et ils puisent dans leurs répertoires de savoirs et de savoir-faire, pour résoudre des bris de compréhension. L’enseignant reste l’ultime recours, en cas de difficulté, et non pas celui vers qui les élèves vont se tourner, systématiquement, pour la moindre difficulté face aux textes. Ainsi, ils s’autonomisent, graduellement, et prennent confiance en eux, tout en développant des stratégies qui vont les suivre tout au long de leur scolarité (Reid et Lienemann, 2006).

Pour faire de vos élèves de véritables « maitres-jedis » qui maitrisent la force de la lecture[3], l’enseignement de la lecture stratégique devrait être un processus continu, qu’il faut mettre en œuvre graduellement et fréquemment, durant l’année scolaire. L’adoption de l’approche stratégique pour enseigner la compréhension de la lecture vise à soutenir nos jeunes « apprentis -padawans », et à les aider à développer leur propre expertise en lecture, afin qu’ils prennent confiance en eux et qu’ils s’autonomisent.

[1] Les niveaux 3 et 4 indiquent que l’élève répond aux attentes du curriculum ou les dépasse, en termes de connaissances et d’habiletés en lecture. Les niveaux 2, 1 et -1 indiquent un rendement et une maitrise partiels à  limités ou insuffisants, par rapport aux attentes du curriculum.
[2] On peut retrouver ces résultats détaillés sur le site de l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation https://www.eqao.com/results/provincial-results/?lang=fr
[3] Vous y trouverez sur le site du TA@l’école des liens vers des ressources pour mettre en œuvre les principes et stratégies décrites ici, et présentées lors de l’atelier de mars 2023.

Références

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Professeure adjointe en didactique du français, à la faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, Amal Boultif se spécialise en orthodidactique du français et en formation initiale des maîtres. Elle été enseignante de français, au secondaire, durant plus de 20 ans, avant d’enseigner en tant que chargée de cours à l’UQAM pendant 9 ans, en didactique du français et en adaptation scolaire (lecture et écriture) qui sont ses deux champs d’expertise. Elle a aussi donné de nombreuse formations et conférences, un peu partout au Québec, au Canada, en Haïti et dans le monde. Elle se spécialise en lecture et en écriture. Ses recherches portent sur les approches innovantes en éducation qui intègrent la multimodalité, le jeu, le numérique et les cultures populaires dans divers contextes d’enseignement-apprentissage francophones. Ses recherches portent sur les ateliers d’écriture créative slam et sur la motivation à écrire, au primaire et au secondaire, en Algérie, à Haïti et au Canada. Elle s’intéresse aussi à la création de ressources éducatives libres (REL) pour enseigner le français langue maternelle.