Loading Ajouter aux Favoris

par Elisa Blasi, ambassadrice pour l’Association des troubles d’apprentissage de la région de York

Tu n’es pas différente des autres

Connaissez-vous l’expression anglaise « the elephant in the room », qui signifie littéralement « l’éléphant dans la pièce »? Elle renvoie habituellement à un sujet ou à un problème évident dont tout le monde est conscient mais que personne ne veut évoquer pour ne pas créer une situation inconfortable. Pendant la majeure partie de ma vie, je me suis sentie comme l’éléphant dans la classe.

À l’école, j’étais cette enfant qui quittait la classe après l’hymne national et ne voyait les autres élèves qu’au repas du midi, aux pauses et aux périodes d’arts et d’éducation physique. Dans mes classes ordinaires, on parlait rarement des raisons pour lesquelles je devais me rendre dans une « pièce spéciale ».

Essentiellement, il y avait un vide entre l’exécution de mon plan d’enseignement individualisé (PEI) et un effort de m’expliquer pourquoi je faisais les choses différemment de l’élève moyen. Ce vide était propice à ce que j’invente ma propre « théorie » pour expliquer mes sorties fréquentes de la classe.

Aujourd’hui adulte, je repense à cette période et il me semble alarmant que, comme enfant, je croyais réellement ne pas être aussi intelligente que mes amis. Confrontés eux aussi au manque d’information, mes camarades de classe ont fait leur propre réflexion sur mes absences. Comme vous pouvez l’imaginer, je me suis rapidement retrouvée affublée du titre d’idiote.

Pourtant, la plupart des adultes dans ma vie me répétaient continuellement la même phrase lorsqu’ils me voyaient vivre de la frustration face à mon milieu scolaire :

« Tu n’es pas différente des autres. »

J’étais là, assise dans une classe, essayant de toutes mes forces de croire que je n’étais pas différente des autres, faisant de mon mieux pour m’intégrer et éprouvant néanmoins une intense frustration parce que je n’arrivais pas à lire et à écrire de la même façon que mes camarades. Mon trouble d’apprentissage est devenu l’éléphant dans la pièce.

Il était évident pour les autres élèves que j’éprouvais des difficultés en lecture, en écriture et en mathématiques. Le trouble d’apprentissage n’était pourtant jamais mentionné, on le camouflait, même, en me disant que je n’étais pas différente de mes camarades. Cette période de ma vie était pour le moins déroutante. Beaucoup de gens remarquaient mon trouble d’apprentissage, mais très peu savaient comment aborder la chose.

Les explications hésitantes et passives me laissaient perplexe : devais-je avoir honte de ne pas pouvoir apprendre comme les autres? Rendue en 9e année, j’avais acquis deux certitudes au sujet de mes difficultés à l’école :

  1. Mon trouble d’apprentissage est une chose dont je dois avoir honte.
  2. Mon trouble d’apprentissage est une chose que je dois cacher.

Ma montagne russe

Avant de poursuivre, permettez-moi de me présenter. Je m’appelle Elisa Blasi et je fréquente actuellement l’Université York où je fais une majeure en psychologie. Le chemin que j’ai parcouru pour en arriver à comprendre mon trouble d’apprentissage a tout d’une montagne russe. Mais ce que je voyais auparavant comme un obstacle et une excuse s’est lentement transformé en quelque chose qui fait de moi la personne que je suis aujourd’hui.

Mon trouble d’apprentissage est ce qui me pousse à travailler inlassablement, en dépit des revers. En fait, mon trouble d’apprentissage m’apprend à regarder les échecs sous un angle complètement différent. Il me permet d’acquérir une vision unique des obstacles qui se dressent devant moi. C’est-à-dire que je m’efforce de voir chaque difficulté comme une expérience d’apprentissage au lieu de réagir en victime. Chemin faisant, j’apprends que je peux être fière de moi, ce que je n’aurais jamais cru possible en 9e année.

Je suis aujourd’hui ambassadrice pour l’Association des troubles d’apprentissage de la région de York. Notre objectif est de renforcer l’autonomie des élèves et de dissiper les préjugés associés au diagnostic. Ayant eu personnellement à supporter le poids que le cadre scolaire place sur les épaules d’un élève ayant un trouble d’apprentissage, il me paraît important de raconter mon expérience afin d’aider à créer un milieu apte à répondre aux besoins des prochaines générations d’élèves.

Je crois que la source du problème réside dans la phrase « tu n’es pas différente des autres ». Pour la personne qui a un trouble d’apprentissage, cette phrase produit un effet des plus néfaste sur l’image de soi en contexte scolaire autant que social. Ce qu’on lui dit, c’est que son style et son rythme d’apprentissage sont pareils à ceux d’un élève moyen. Beaucoup d’élèves, moi y compris, achètent d’emblée cette idée parce qu’elle vient d’un adulte. Mais il ne faut pas longtemps pour qu’un élève aux prises avec un TA, même d’un jeune âge, constate qu’il n’a pas les mêmes besoins que ses camarades en matière d’apprentissage.

Apprendre d’une façon différente

L’éléphant dans la pièce naît de cette dichotomie entre l’idée imposée que vous êtes comme vos camarades et votre perception personnelle que ce n’est pas le cas. Pire, l’élève finit par comprendre que l’homogénéité des modes d’apprentissage est l’objectif à atteindre. Et pourtant, les élèves ayant un trouble d’apprentissage qui tentent d’apprendre de la même façon que les autres vont souvent vivre un échec. Ce genre de revers confirme aux élèves que notre système d’éducation n’a pas été conçu pour une catégorie différente d’apprenants. Je crois que ce cycle cessera le jour où nous commencerons à parler ouvertement des TA dans les classes ordinaires.

Chaque élève, aux prises ou non avec un trouble d’apprentissage, doit comprendre qu’un TA ne signifie pas qu’un élève est incapable d’apprendre, simplement qu’il apprend d’une façon différente. Autrement dit, la classe doit être un environnement qui non seulement accueille différentes catégories d’apprenants, mais renforce aussi le style d’apprentissage de chacun.

On peut créer un milieu d’apprentissage de ce genre en apportant les changements suivants :

  1. La classe destinée à l’éducation de l’enfance en difficulté ne doit plus être vue comme une salle mystique où des élèves disparaissent. Les enseignantes et enseignants doivent plutôt expliquer en quoi consiste la classe d’éducation spécialisée et son importance pour les élèves qui ont des besoins différents en apprentissage.
  2. Il est important que chaque élève, qu’il ait ou non un trouble d’apprentissage, comprenne bien ce qu’est un TA.
  3. Les élèves qui ont un trouble d’apprentissage ont besoin de comprendre leur diagnostic et il faut les faire participer à l’établissement de leur PEI ou à toute autre rencontre entre leurs parents et le personnel du conseil scolaire. De plus, les élèves ayant un TA et leurs enseignants éventuels doivent collaborer à l’étude et à la recherche d’outils qui aident à assimiler et à traiter la matière.
  4. La classe ordinaire doit être aménagée de façon à ce que les élèves ayant un TA aient facilement accès à leurs adaptations, tout comme les autres élèves ont accès à un crayon et à du papier; on créerait ainsi un milieu scolaire accueillant pour les élèves ayant des besoins d’apprentissage particuliers.

Une classe de ce genre dissipe les idées fausses sur les troubles d’apprentissage pour le bénéfice des élèves ordinaires, des élèves ayant un TA et des enseignantes et enseignants qui n’ont pas une bonne compréhension des troubles d’apprentissage. Le modèle de classe proposé plus haut communique aux élèves qu’il est correct d’apprendre d’une autre façon. Ce type de climat aidera chaque élève à affiner sa compréhension des troubles d’apprentissage. Ainsi, lorsqu’un élève se trouvera dans une situation où son mode d’apprentissage particulier n’est pas accepté, il aura l’assurance nécessaire pour défendre ses intérêts, parce qu’il aura grandi dans un environnement scolaire positif.

Message aux professionnels de l'enseignement

Si vous, qui lisez cet article, êtes enseignante ou enseignant à l’élémentaire, je vous encourage à commencer à parler ouvertement des troubles d’apprentissage dans votre classe. Ces « discussions » doivent être informatives et permettre aux élèves de poser des questions dans le but de défaire tous les stéréotypes. Je ne crois pas qu’il y ait un âge trop jeune pour comprendre les troubles d’apprentissage, pour autant que l’enseignante ou l’enseignant sache créer une leçon adaptée au groupe d’âge.

Si vous, qui lisez cet article, êtes enseignante ou enseignant au secondaire, un défi de taille vous attend. En effet, quand ces élèves arrivent enfin dans votre classe, ils portent leur stigmate depuis beaucoup trop longtemps. Bon nombre seront récalcitrants et la plupart ne comprendront même pas ce qu’est un trouble d’apprentissage. J’invite les enseignantes et enseignants du secondaire à collaborer avec leurs élèves ayant un TA afin de créer un plan qui les aidera à défendre leurs intérêts et à comprendre la nature de leur difficulté. Certains mettront plus de temps à accepter l’idée, mais ce qui compte surtout, c’est que l’enseignante ou l’enseignant se rende disponible le jour où ils changeront d’avis.

On peut influencer favorablement les chances d’avenir des élèves ayant des TA en les aidant dès maintenant à développer leur autonomie. En fait, sensibiliser tous les élèves aux TA finira par avoir des retombées sur la société en général. Il faut se rappeler que les élèves d’aujourd’hui seront un jour des participants actifs de la société et possiblement des parents.

Si nous commençons à sensibiliser nos enfants à l’idée qu’il existe différents types d’apprenants et de penseurs en ce monde et que nous développons aussi l’autonomie des élèves de tous les styles d’apprentissage, l’avenir n’en sera que meilleur pour tous ceux qui vivent avec des différences.horizontal line tealPhoto d'Elisa BlasiJe m’appelle Elisa Blasi et j’ai un trouble d’apprentissage. Étant le genre d’élève qui est consciente de ses difficultés, je m’efforce toujours d’être aux commandes de mon environnement d’apprentissage. J’en suis à ma troisième année d’études à l’Université York où je fais une majeure en psychologie. Pour réussir à faire face aux exigences de mon programme et au changement perpétuel tout autour de moi, je m’adapte continuellement aux situations qui sont exigeantes. Par mon travail auprès de l’Association des troubles d’apprentissage de la région de York (LDAYR) et l’Association des troubles d’apprentissage de l’Ontario (LDAO), j’espère renforcer l’autonomie des élèves qui ont un trouble d’apprentissage en les aidant à se libérer des préjugés et en les encourageant à défendre leurs intérêts.