par Nathalie S. Trépanier, Ph.D. Professeure titulaire, Dép. psychopédagogie et andragogie, Fac. sciences de l’éducation, Université de Montréal.
Introduction
[1] En réponse à une demande sociale croissante de tenir compte de la diversité de tous les membres de la société (UNESCO, 2005), le monde actuel de l’éducation place l’inclusion scolaire et sa mise en œuvre par une éducation inclusive comme étant la voie à privilégier dans notre système d’éducation (p.ex., CSE, 2017). L’organisation des services destinés aux élèves qui présentent des besoins particuliers s’inscrit dans cette voie, de même que les programmes d’intervention ou d’enseignement y incluant ceux qui se réclament de la réponse à l’intervention (RAI). Toutefois, au fil des ans, les approches ou modèles de RAI se sont retrouvés amalgamés avec l’offre de services multipaliers (SMP). De façon sans doute bien involontaire, se pose alors un ensemble de paradoxes dans la pratique éducationnelle, allant même jusqu’à pouvant porter préjudices aux élèves dont les caractéristiques les rendent à risque de se retrouver en échec scolaire (Kauffman et Hornby, 2020; Trépanier, 2019a). C’est le cas notamment des élèves qui présentent un trouble d’apprentissage. Notre texte propose une réflexion en ce sens.
L’offre de SMP et RAI : quand la pratique se confond avec l’offre de services
Depuis près de 20 ans, la RAI est mise sur pied en réponse aux exigences des lois et politiques éducatives nord-américaines. D’abord présentée pour éviter la stigmatisation des élèves ayant des besoins particuliers, dont ceux qui présentent un trouble d’apprentissage, la RAI est choisie comme outil privilégié pour évaluer et identifier les difficultés rencontrées par ces élèves en se basant sur leurs habiletés plutôt que sur leurs déficits (notamment Burns, Jimerson, VanDerHeyden et Deno, 2016, Erchul et Martens, 2010; Fuchs, Mock, Morgan et Young, 2003). La volonté de soutenir tous les élèves dès l’apparition d’une manifestation de difficulté à réaliser un apprentissage se trouve au cœur de cette démarche, en particulier en ce qui touche la langue d’enseignement.
En 2005, une association nationale américaine des directions de l’éducation spéciale (National Association of State Directors of Special Education [NASDSE]) a précisé les sept principes fondamentaux de la RAI :
- Intervenir tôt
- Privilégier une offre graduée de services et d’intervention
- Privilégier une approche par résolution de problèmes pour soutenir la prise de décisions
- Privilégier des interventions éducatives fondées sur la preuve, c’est-à-dire qui s’appuient sur la recherche
- Suivre les progrès des élèves
- Utiliser les données recueillies pour soutenir les décisions et l’intervention et
- Utiliser l’évaluation pour le dépistage, le diagnostic et le suivi de la progression (NASDSE, 2005 cité dans Marchand-Martella, Ruby et Martella, 2007).
De façon générale, la structure des programmes de RAI propose une gradation des interventions éducationnelles pouvant prendre la forme d’une pyramide, le plus souvent à 3 niveaux, où un enseignement universel qui prend appui sur la recherche se destine à tous les élèves dès le premier niveau. À ces programmes s’arrime un ensemble de propositions destinées à soutenir l’enseignement ou l’intervention complémentaire plus spécifique à un second, puis à un troisième niveau, en privilégiant d’abord la classe ordinaire pour tous les élèves. Les élèves seront alors référés à des services éducatifs particuliers dont la fréquence et l’intensité d’intervention s’intensifieront pour répondre à leurs besoins au 3e niveau ou à sa suite, selon les structures mises en place (Erchul et Martens, 2010). Parce que la RAI sert de processus pour déterminer l’admissibilité de certains élèves à recevoir des services de spécialistes (McIntosh et Goodman, 2016), l’organisation des services destinés aux élèves qui présentent un trouble d’apprentissage a donc désormais tendance à s’articuler autour des programmes de RAI (McIntosh et Goodman, 2016; Trépanier, 2019a, 2019b). Le problème avec ce chevauchement est de réduire la portée de l’offre de services aux élèves ayant des besoins particuliers à la simple application de programmes; nous reviendrons un peu plus loin sur cette prémisse.
En langue française au Canada, on retrouve des programmes de RAI axés sur la langue écrite, plus précisément en lecture, ainsi que des programmes axés sur les comportements. Ces programmes, comme tous les programmes de RAI, sont caractérisés par six éléments :
- Les interventions y sont fondées sur la preuve
- La fréquence et l’intensité des interventions sont graduées de façon croissante et se situent sur un continuum
- L’évaluation et l’intervention des programmes s’appuient sur une démarche standardisée de résolution de problèmes
- Les décisions et les interventions s’appuient sur les données d’évaluation du progrès de l’élève
- Un accent doit être mis l’intégrité (fidélité) de l’application du programme et sur son évaluation
- Le dépistage systématique des élèves qui ne répondent pas à l’intervention (Sugai et Horner, 2009, également cité par Trépanier, 2019c).
Dans cet ordre d’idées, les réponses ou les non-réponses aux interventions émises par les élèves dans le cadre de l’enseignement prescrit par ces programmes sont utilisées pour déterminer et graduer l’offre de services aux élèves qui rencontrent des difficultés persistantes. C’est ce qui explique en partie l’appellation services gradués ou en paliers ou services multipaliers (SMP). L’offre de SMP correspond à un «cadre dans lequel sont élaborés des programmes d’intervention éducationnelle (…) qui portent [en particulier] sur la langue d’enseignement ou les comportements socioémotionnels ou d’adaptation» (Trépanier, 2019b, p.104).
L’organisation de SMP et l’application de programmes de RAI sont privilégiées pour soutenir l’éducation inclusive (Mitchiner, McCart, Kozleski, Sweeney et Sailor, 2014). Au regard des lois et politiques qui régissent l’éducation dans les provinces canadiennes tels le Québec et l’Ontario, l’inclusion scolaire des élèves qui présentent des troubles d’apprentissage peut prendre la forme d’un processus de scolarisation des élèves « indistinctement dans un environnement scolaire commun, en vue de favoriser l’actualisation de leur plein potentiel (…) [et de les] soutenir (…) dans leur réussite» (Trépanier, 2019a, p.287). L’environnement scolaire commun dont il est question ici peut varier selon la posture ou les idéaux des chercheurs ou des agents d’éducation impliqués de près ou de loin dans la scolarisation d’un jeune. Lorsque cet environnement commun réfère à l’école de quartier, il laisse place à que ce l’inclusion scolaire s’actualise via une classe ordinaire, mais cela signifie également qu’elle pourrait s’actualiser via une classe spéciale. C’est pourquoi nous parlons alors du contexte d’inclusion scolaire, car le lieu spécifique de scolarisation d’un élève pourrait varier, selon les milieux, de la classe ordinaire à diverses formes de classes spéciales (service individuel ou en sous-groupe à l’extérieur de la classe, classe-ressource ou classe spécialisée). Dans le cas où l’environnement commun renvoie spécifiquement à la classe ordinaire sans autres formes de services à l’extérieur de la classe, l’inclusion scolaire prend alors le sens d’une inclusion dite totale. Ces deux acceptions des environnements communs de l’inclusion scolaire vivent en concomitance depuis plusieurs décennies.
Le terme d’éducation inclusive quant à lui s’est développé au fil du temps pour prendre en compte la diversité comme un élément de richesse collective (UNESCO, 2005) pour éviter de faire porter le poids de sa différence ou de ses caractéristiques par l’élève. En d’autres mots, l’éducation inclusive permet d’actualiser le concept d’inclusion scolaire qui, lui, est susceptible de référer à un processus, un lieu ou une visée du système d’éducation, selon les auteurs consultés ou, comme nous l’avons dit, selon les croyances des agents d’éducation. La RAI et l’offre de SMP se sont donc définis et actualisés dans cette perspective de prise en compte la diversité pour éviter que les élèves ayant des besoins particuliers se retrouvent inutilement marginalisés ou stigmatisés en étant référés trop rapidement à des services spécialisés.
Quatre paradoxes entre l’offre de SMP liée à la RAI en contexte d’inclusion scolaire
En reprenant les arguments présentés dans une de nos publications (c.-à-d. Trépanier, 2019a), la section qui suit présentera comment la RAI destinée au départ à soutenir l’éducation inclusive se retrouve, dans son application, à encourager plutôt l’exclusion éventuelle des élèves ayant un trouble d’apprentissage de la classe ordinaire, voire d’un parcours scolaire régulier. Nous expliquerons d’abord comment une offre de SMP directement rattachée à l’application des programmes de RAI compromet l’éligibilité des élèves à recevoir des services professionnels, en omettant de prendre en compte les besoins particuliers de certains élèves, avant même la mise en place des interventions en classe tout en continuant de les stigmatiser par surcroit. Nous expliquerons ensuite comment cette situation nuit à la compréhension de l’utilité de l’orthopédagogie ou de l’éducation spéciale en contexte d’inclusion scolaire. Enfin, nous allons démontrer comment cet amalgame entre l’offre de SMP et programmes de RAI limite l’approche par résolution de problèmes (APRP) dans l’offre de services aux élèves qui vivent des situations de handicap pédagogiques.
1. La RAI et l’éligibilité de recevoir des services professionnels
Dans cette section, nous démontrerons comment le fait de privilégier la RAI comme source de décisions pour préciser les aménagements pédagogiques nécessaires pour soutenir les apprentissages d’un élève est aussi inéquitable que de se fier au seul diagnostic d’un élève pour envisager les adaptations nécessaires et ses besoins en termes de services.
Dans nos systèmes d’éducation occidentaux, l’élève qui reçoit un diagnostic médical correspondant à un trouble d’apprentissage peut se voir octroyer une série de mesures d’adaptation pour soutenir la réalisation de ses activités d’apprentissage y incluant lors des évaluations (p. ex. au Québec, MEESR, 2015, MEES, 2021). Les services éducatifs professionnels (p.ex. orthopédagogie ou enseignement-ressource) qui peuvent alors être offerts en réponse aux besoins des élèves ayant reçu un diagnostic varieront en fonction des politiques d’organisation des services mises en place dans le conseil scolaire ou le centre de services scolaire. De façon persistante encore aujourd’hui, la réalité du diagnostic comme porte d’entrée pour recevoir des services éducatifs et des adaptations pédagogiques - pouvant prendre la forme d’accommodements au sens juridique du terme - reste la norme dans l’éducation de base, mais également au postsecondaire. Cette vision mainstreaming de l’intégration scolaire fait en sorte que l’offre de service dépend du diagnostic de l’élève, voire de son degré de sévérité, fermant ainsi la porte au soutien pour les élèves en attente d’évaluation. Du même coup, il est permis de s’interroger sur la manière dont on pourra considérer et répondre aux besoins la diversité si le critère premier pour octroyer des adaptations pédagogiques ou des services aux élèves ne relève que d’un diagnostic. En effet, les individus ne se définissent pas en fonction d’un seul critère; par conséquent, les différences individuelles entre des élèves qui présentent un même diagnostic sont nécessairement à prendre en compte dans l’intervention éducationnelle.
Conscients que la réponse aux besoins des élèves qui rencontrent des situations de handicap pédagogiques ne devrait relever d’un seul diagnostic médical, les milieux scolaires s’ouvrent graduellement à mettre en place des mesures d’adaptation lorsqu’elles semblent nécessaires pour soutenir la réussite scolaire de ses élèves. Pourtant, la RAI suit ce même raisonnement (axé sur les déficits de l’élève) lorsque les besoins de soutien se résument à l’incapacité de l’élève à rencontrer les exigences des programmes de RAI en répondant aux interventions (Ferri, 2012), sans que soit remise en question la manière dont sont mis en œuvre ces programmes (Reynolds et Shaywitz, 2009). Comme on l’a vu précédemment, l’introduction de la RAI dans les milieux d’éducation avait pour but de remplacer les méthodes d’évaluation et d’identification des difficultés qui étaient jugées discriminatoires. On souhaitait par exemple proscrire l’utilisation des tests de QI (quotient intellectuel), parce qu’ils sont centrés sur les déficits des élèves, pour les remplacer par des évaluations systématiques basées sur la RAI centrées sur la performance des élèves (notamment Fuchs et al., 2003; VanDerHeyden, Witt et Barnett, 2005).
Malgré cette intention de départ, la logique d’application du programme de RAI et d’une offre de SMP s’y rattachant, fait en sorte que l’élève dont le diagnostic précède l’application d’un programme de RAI se verra suivre ce programme au même titre que les autres élèves. L’ignorance de la reconnaissance des spécificités son diagnostic est susceptible de le désavantager d’entrée de jeu, avant que des adaptations pédagogiques ou des services spécifiques lui soient proposés. Bien que les interventions à visées universelles puissent être mises en place en classe ordinaire, la non-prise en compte de caractéristiques distinctives et connues de certains élèves équivaut à les priver de leur droit d’être soutenus effectivement dans leurs apprentissages.
2. Exclusion de l’élève sur la base d’une seule caractéristique
Dans les classes où un programme de RAI est appliqué, le diagnostic de trouble d’apprentissage d’un élève n’est considéré que si l’élève se retrouve en échec par sa non-réponse aux interventions prescrites et fondées sur la recherche. En ciblant ainsi les incapacités manifestées par l’élève pour déterminer ses besoins de soutien, on en revient aux approches d’évaluation axées sur les déficits des élèves. En d’autres mots, la démonstration que l’élève n’arrive pas à rencontrer les exigences d’un programme, fondé sur la recherche par surcroit, devient un élément de justification à l’incapacité de cet élève (Ferri, 2012) de pouvoir suivre ses pairs dans un parcours scolaire régulier. Comme le souligne Hornby (2014), le déni ou le refus de reconnaitre les besoins particuliers d’un élève, d’autant plus en sachant qu’il présente un diagnostic connu tel un trouble d’apprentissage, pourrait l’empêcher de recevoir rapidement une éducation adaptée et de qualité au même titre que les autres élèves.
En plus de porter atteinte aux droits de cet élève, cette situation risque également de mener à son exclusion (Kearney, 2011; Ravet, 2011). En effet, lorsqu’une offre de services s’arrime à l’application d’un programme de RAI, l’élève qui ne répond pas aux interventions reçoit un service complémentaire ou spécialisé à l’extérieur de la classe ordinaire par les interventions prévues aux paliers 2 ou 3 du programme. Dans tous les cas, les interventions spécifiques de paliers supérieurs du programme de RAI ont lieu à l’extérieur de la classe ordinaire, ce qui correspond à représenter la classe ordinaire comme milieu sans difficulté (disability-free) (Fuchs et Fuchs, 2006, cité dans Ferri, 2012). Cette situation implique également que l’intervention d’un spécialiste ne peut être effectuée ni directement ni indirectement en prévention dans la classe ordinaire, dans la mesure où l’on souhaite que celle-ci reste le lieu privilégié de scolarisation pour tous les élèves. L’éducation spéciale ne peut ainsi avoir lieu qu’en milieu ségrégué, en marge et incompatible avec la réponse aux besoins de la diversité annoncée par l’éducation inclusive. Au surplus, lorsque l’offre de SMP est directement rattachée aux programmes de RAI, le rôle de prévention ne peut plus être assumé par l’ensemble des professionnels d’un milieu scolaire et repose alors uniquement sur les épaules de l’enseignant de la classe ordinaire.
3. Données probantes et rôles des enseignants
L’offre de SMP arrimée aux programmes de RAI décourage la scolarisation des élèves ayant des besoins particuliers en classe ordinaire, car la gradation des services suit celles des interventions prescrites par les programmes. Selon la posture adoptée, l’inclusion scolaire peut certes être vécue en classe spéciale dans une école de quartier, à l’extérieur de la classe ordinaire. Toutefois, la réalité de la vie hors de l’école des élèves conjuguée à la place que chacun peut occuper dans la société, en tout respect de la diversité et sans discrimination, fait de la classe ordinaire le premier lieu de scolarisation à privilégier.
En plus de réduire le rôle de l’enseignant à celui de technicien capable d’appliquer un programme fondé sur la preuve (Fuchs et al., 2010), l’arrimage systématique de l’offre de SMP à celle des programmes de RAI a également pour effet de laisser l’enseignant seul avec la responsabilité éducative d’agir en prévention, sous prétexte d’offrir un enseignement universel et différencié s’appuyant sur un programme fondé sur la preuve. Or, pour relever les défis de la réponse aux besoins de la diversité en classe, l’enseignant peut également avoir besoin de soutien, car leur seule expertise et leurs savoirs peuvent parfois s’avérer insuffisants pour éviter que certains élèves ne se retrouvent en situation de handicap pédagogique (Trépanier, 2019a).
En limitant du même coup le rôle des enseignants-ressources ou des orthopédagogues à l’évaluation (diagnostique) ou à la rééducation, le milieu scolaire «se prive également de la richesse de l’expertise de ses professionnels pour agir à en prévention» (Trépanier, 2019a, p.298). Dans cette optique, les interventions professionnelles destinées à prévenir l’apparition ou l’amplification des difficultés chez les élèves prennent toutes leur importance.
Par ailleurs, les programmes de RAI mettent l’accent sur le fait que seules les interventions pédagogiques susceptibles de favoriser la réussite des apprentissages sont celles qui font l’objet d’études scientifiques. À ce sujet, Hornby (2014) invite à la prudence, en soulevant l’exemple d’études ou de programmes qui auraient pu être développés à partir de théories boiteuses ou incomplètes. Pour notre part, nous soulignons également la possibilité de l’absence d’études qui pourrait aisément s’expliquer par un manque de financement pour obtenir ce statut probant, malgré des fondements théoriques solides.
En forçant de fonder ses interventions sur des données probantes, les programmes de RAI mettent alors l’accent sur les effets mesurables (quantitatifs) des actions d’enseignement en faisant complètement fi du processus d’intervention ou même du processus d’offre de service en lui-même (aspects qualitatifs) (Trépanier, 2019a). Cette situation fait également en sorte d’évacuer complètement les difficultés inhérentes à la généralisation des résultats des études par les enseignants qui se retrouvent à appliquer ces programmes autant qu’ils sachent. Par conséquent, on laisse l’enseignant seul à envisager les interventions pédagogiques universelles, en espérant qu’il sache y intégrer des adaptations pour les élèves qui pourraient avoir des besoins particuliers.
Si certains auteurs vont jusqu’à penser à l’abolition de l’éducation spéciale, nous croyons bien au contraire qu’elle est plus que jamais d’une importance cruciale pour soutenir les élèves qui rencontrent des situations de handicap pédagogiques de façon persistante pour la réussite de leur scolarité. En d’autres mots, en contexte d’inclusion scolaire, l’orthopédagogue ou l’enseignant-ressource est le spécialiste des adaptations pédagogiques pouvant être mises en place pour soutenir l’apprentissage et la réussite des élèves ayant des besoins particuliers, dont les élèves qui présentent un trouble d’apprentissage. Ces professionnels peuvent certes intervenir directement auprès des élèves, mais ils peuvent également agir en soutien auprès des enseignants titulaires de classes ordinaires.
4. Approche par résolution de problèmes
L’approche par résolution de problèmes (APRP) est présentée dès les débuts de la RAI pour soutenir les prises de décisions. Toutefois, un certain glissement s’entre s’être opéré au fil du temps de manière à privilégier les évaluations standardisées tant pour les programmes de RAI que pour l’offre de SMP. Certains auteurs (p. ex. Burns et al., 2016) vont même jusqu’à indiquer que l’APRP ne devrait jamais être utilisée en prévention ou dès les premiers niveaux d’intervention. Cette proposition ne fait aucun sens quand on conçoit l’offre de SMP comme un cadre d’organisation de services. En effet, une démarche claire et reproductible d’APRP peut être utilisée justement dès la rencontre de situations problèmes persistantes par un élève. Ce type de modèles de service existe d’ailleurs depuis les années 1980 et même avant. La démonstration a donc été réalisée depuis longtemps que l’APRP permet d’agir en prévention et en soutien auprès de l’enseignant de l’élève qui rencontre des obstacles à son apprentissage, en évitant d’attendre la fin de mise en application d’un programme d’intervention. La nécessité de distinguer l’offre de SMP des programmes de RAI devient alors d’autant plus grande.
Une offre de SMP peut donc trouver sa voie dans divers modèles de soutien aux enseignants titulaires de classe et permettre des interventions professionnelles auprès de l’élève qui rencontre des difficultés persistantes dès les premiers niveaux d’application des programmes de RAI, et ce, indépendamment des prescriptions émises dans lesdits programmes. La complémentarité de l’APRP mise en œuvre dans un modèle de service axé sur le soutien ou la consultation par un professionnel ou par une équipe de professionnels est donc une clé pour une expérience scolaire réussie pour les élèves de scolarisation en contexte d’inclusion scolaire.
Conclusion
Ce texte propose une réflexion critique dans laquelle la confusion entre l’offre de SMP et les programmes de RAI sont susceptibles de nuire à la réussite scolaire des jeunes qui vivent des situations de handicap pédagogiques en contexte d’inclusion scolaire. Les élèves ayant un trouble d’apprentissage, compte tenu de leurs caractéristiques spécifiques, sont susceptibles de bénéficier d’un soutien professionnel dès les premiers niveaux de la pyramide RAI pour éviter de se retrouver en échec à plus long terme et ne plus avoir accès au programme général de formation. Le soutien professionnel qui peut être apporté à leur enseignant par le biais des modèles de service privilégiant l’APRP pourrait permettre d’aider l’enseignent à adapter ses interventions pédagogiques, lorsque les aménagements pédagogiques universels ne suffisent pas. À l’instar des Finlandais, nous croyons que l’offre de SMP gagnerait à être envisagée distinctement des programmes de RAI mis en place dans les milieux éducatifs (Bjorn et al., 2015, Trépanier, 2019). Cette application de l’APRP dès les premiers niveaux de mises en œuvre de programmes de RAI ou de quel qu’autres programmes que ce soit, permettrait de soutenir directement ou indirectement effectivement les élèves qui rencontrent des obstacles dans la réalisation de leurs activités d’apprentissage sans attendre qu’ils se retrouvent en échec ou largement décalés par rapport aux autres élèves du même groupe d’âge. En d’autres mots, aucune approche universelle ne peut servir à remplacer les interventions et l’organisation de services en réponses aux besoins individuels des élèves qui rencontrent des troubles d’apprentissage.
[1] Cet article reprend les grandes lignes d’une réflexion critique basée sur un recensement général des écrits sur le sujet publiée au printemps 2019 dans la Revue des Sciences de l’Éducation de McGill ainsi que des parties d’un ouvrage publié en 2019 portant sur la présentation des modèles de service d’orthopédagogie paru aux éditions JFD. Ces publications se trouvent dans la liste des références bibliographiques.
Références
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Nathalie S. Trépanier détient un doctorat en sciences de l’éducation. Elle est également professeure titulaire au département de psychopédagogie et andragogie de la faculté des sciences de l’éducation à l’Université de Montréal. Son enseignement et ses intérêts de recherche portent principalement sur les modèles de service d’orthopédagogie et la prise en compte des adaptations en lien avec la réussite et l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap pédagogique pour répondre à leurs besoins. Les modèles de services d’orthopédagogie touchent le soutien direct à l’intérieur de la classe ordinaire (p.ex., coenseignement), le soutien indirect à l’élève en privilégiant des modèles axés sur la consultation individuelle ou par une équipe de soutien à l’enseignant et les modèles de service où l’intervention orthopédagogique s’effectue à l’extérieur de la classe ordinaire (p.ex., classe-ressource ou classe spéciale). Elle est chercheure au Réseau de recherche et valorisation de la recherche sur le bienêtre et la réussite en contexte de diversité (RÉVERBÈRE), chercheures associée au Laboratoire international sur l’inclusion scolaire (LISIS) et au Centre de transfert sur la réussite éducative du Québec (CTREQ).
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