Par Julie Myre-Bisaillon, Annick Tremblay-Bouchard, Véronique Parent, Carole Boudreau et Anne Rodrigue
Pour que l’enfant puisse apprendre à lire, il doit être en mesure de reconnaître efficacement les mots écrits, il doit expliciter les structures syntaxiques et développer des compétences liées à la compréhension (Observatoire national de la lecture, 2000). Dans le cas d’enfants ayant des troubles d’apprentissage en lecture l’identification de mots écrits, bien que cruciale dans l’apprentissage de la lecture, s’avère être une tâche très ardue. Pour parvenir à reconnaître les mots écrits, deux procédures peuvent être utilisées, l’une phonologique et l’autre orthographique (Myre-Bisaillon, 2009).
Contexte de la recherche
L’approche présentée dans cet article fait appel à la procédure de traitement orthographique dans le but d’améliorer les procédures d’identification des mots écrits par l’enseignement explicite de 3 ou 4 stratégies. Elle est tirée de deux études, l’une étant le Word Identification Strategies Training, plus connu sous l’acronyme WIST, dans la langue anglaise et l’autre étant une adaptation francophone de ce même programme.
Lovett, Steinbach et Frijters (2000) ont étudié les effets du programme anglophone WIST auprès de 53 sujets âgés entre 7 et 13 ans provenant de Toronto. Parmi ceux-ci, 32 sujets étaient identifiés comme ayant un double déficit, 8 sujets ayant un déficit phonologique et 13 sujets ayant un déficit orthographique. À l’intérieur de 4 séances d’une heure par semaine pour un total de 35 heures, les élèves ont travaillé, en groupe de deux ou trois, 4 stratégies visant à améliorer l’identification des mots écrits et les connaissances des correspondances graphèmes-phonèmes.
Description de l’approche
Au début de chaque séance, les connaissances prérequises et les habiletés nécessaires pour apprendre les stratégies du programme sont enseignées à partir d’un corpus de 120 mots utilisés fréquemment en anglais qui sont introduits progressivement, à raison d’environ cinq mots par séance. Ils sont appelés mot-clés et serviront de références pour l’identification des mots nouveaux. Ceux-ci sont disposés sur le mur de manière organisée selon le son des voyelles et les patterns de rimes lorsqu’ils sont enseignés. Ces leçons peuvent, par exemple, porter sur l’apprentissage de la prononciation de voyelles, sur la combinaison de voyelles (ea-oo-ow-ie) et sur les affixes (pre-re-un-ing-ly-ment). La plus grande partie de la séance est consacrée à l’enseignement explicite de l’une des 4 stratégies du programme et à l’application de celles-ci au moyen d’activités d’identification de mots isolés et d’identification de mots dans des phrases. L’enseignant modèle tout d’abord la stratégie, explique pourquoi elle est utilisée selon le mot à identifier, comment elle est appliquée et comment vérifier son efficacité. Les stratégies seront introduites les unes à la suite des autres et additionnées aux précédentes nécessitant donc une réflexion métacognitive dans le choix par l’élève de la stratégie à utiliser.
Première stratégie
La première stratégie introduite dans le programme est l’identification du mot par l’analogie qui est basée sur le programme d’entrainement de Gasking et al. (1986). Au cours des leçons liées à cette stratégie, l’analogie est travaillée à partir de la rime des mots. Les enfants apprennent à comparer un mot non familier à un mot qu’ils connaissent déjà. L’enseignant doit expliciter son raisonnement quant au décodage du mot. En anglais, les mots clés kick et her vont être utilisé pour décoder le mot bicker. En français, les mots clés enseignés, mon, ton ou son, servent à identifier le mot menton.
Seconde stratégie
La seconde stratégie enseignée consiste en l’essai de différentes prononciations en ce qui a trait aux voyelles. L’accent est mis ici sur l’importance de la flexibilité dans l’identification du mot. Pour enseigner cette stratégie, l’enseignant montre aux enfants que les voyelles peuvent avoir différentes prononciations et que celles-ci sont déterminées par les lettres qui entourent les voyelles. Les élèves apprennent donc à expérimenter différentes prononciations pour un mot nouveau et doivent décider quelle est la bonne prononciation. Par exemple, en anglais, la prononciation des lettres ea va être différente dans les mots break, bread et great. En français, cette stratégie ne s’applique pas.
Troisième stratégie
La troisième stratégie travaillée est la recherche des parties connues dans le mot plus communément appelée l’espion. Au cours des leçons liées à cette stratégie, on enseigne aux enfants à rechercher un mot ou une partie de mots à l’intérieur d’un grand mot à identifier. En anglais, l’enfant sera en mesure de distinguer bun et dan (mots clés enseignés) lorsqu’il voudra décoder le mot abundance. En français, l’élève pourra identifier les parties mon et ta qui correspondent à des mots clés enseignés pour décoder le mot montagne.
Quatrième stratégie
La quatrième stratégie est l’identification par pelage de mot. Elle consiste en la suppression des affixes dans les mots multisyllabiques. Les préfixes et les suffixes les plus fréquents sont enseignés comme des mots clés au début du programme. Puis, l’enseignant montre aux enfants à identifier les préfixes en début de mot et les suffixes à la fin des mots, réduisant ainsi un mot non familier à un mot plus court et plus facile à identifier. En anglais, on enlève un et ing du mot unpacking pour ne conserver que pack, ce qui simplifie l’identification du mot. En français, on élimine le re et le ment au mot recommencement pour ne laisser que la racine commence.
Un aspect très important dans ce programme d’intervention est la grande place réservée au questionnement métacognitif. En effet, lors des séances d’intervention, l’enseignant modélise la stratégie en expliquant pourquoi la stratégie est utilisée sur un mot donné, comment elle est appliquée et comment vérifier qu’elle fonctionne. Par exemple, l’enseignant pourrait dire « Dans le mot recommencement, je reconnais le re au début du mot et le ment à la fin du mot. Puisque ces deux parties de mot sont au début et à la fin du mot et que ce sont des affixes, j’utilise la stratégie d’identification par pelage de mot. Alors, j’encadre ces deux parties du mot et j’essaie ensuite d’identifier la partie inconnue qui est la racine du mot ». Suite à cette modélisation, les enfants sont en mesure de choisir eux-mêmes les stratégies les plus efficaces à adopter selon le terme à décoder.
Adaptation de l’approche en français
Pour ce qui est de l’adaptation francophone du programme WIST, développée par Myre-Bisaillon (2004), elle a été mise en place au Québec, auprès de 14 sujets âgés de 9 et 10 ans ayant des troubles d’apprentissage en lecture. L’intervention, d’une durée de 15 heures était répartie sur 5 semaines à raison de trois rencontres par semaine. Le déroulement des séances était similaire à la version anglophone mis à part la suppression d’une des quatre stratégies d’identification de mots qui ne s’applique pas en français. Les trois stratégies enseignées étaient introduites dans cet ordre : l’identification par analogie, l’identification par repérage d’une partie connue et l’identification par pelage de mot. L’enseignement de ces stratégies dépendait d’un corpus de 60 mots clés fréquents en français. Cliquez ici pour ouvrir cette liste de mots.
Appuis relatifs à l’efficacité de l’approche
Approche originale
Les résultats des programmes WIST démontrent de nombreuses améliorations significatives entre les prétests et les posttests auprès des sujets ayant des troubles d’apprentissage en lecture. Dans le cas du programme anglophone, les résultats démontrent une amélioration significative au niveau de l’association graphème-phonème, de l’identification des mots et des performances de lecture en particulier par rapport aux mots réels comprenant les mots clés enseignés et les mots multi syllabiques. Les améliorations aux plans de la lecture à voix haute et de la compréhension de textes sont également significatives.
Une série de tests de transfert visant à voir si les participants étaient en mesure de mettre en pratique leurs nouvelles connaissances et habiletés acquises lors du programme d’intervention dans des situations où ils se retrouvent devant des mots inconnus de diverses complexités a été effectuée. Tous les sujets, peu importe leur type de trouble d’apprentissage en lecture, ont connu des améliorations significatives quant à leur capacité de transfert lors de l’identification des mots clés entrainés, des mots multi syllabiques et des mots irréguliers auquel ils n’avaient pas été exposés lors de l’entrainement.
Approche adaptée en français
Pour ce qui est du programme WIST francophone, les résultats sur les mots étudiés et les mots fréquents ont été concluants. Dans l’analyse des mots qui ont été travaillés au cours du programme d’intervention, le taux de réponse et le temps de réponse se sont améliorés de manière significative. En ce qui concerne les mots non entrainés, seulement le temps de réponse s’est vu amélioré de manière significative. Ces résultats laissent croire que le programme a permis le renforcement de la procédure orthographique et le transfert des apprentissages quant à l’identification de mots ayant une structure semblable aux mots étudiés. Dans le cas des mots fréquents, suite à l’intervention, ils sont mieux identifiés, mais le temps de réponse ne comporte pas d’amélioration significative. Il est possible de penser que les sujets ont suivi la même démarche d’identification des mots enseignée lors du programme ce qui a pu influencer les temps de réponse.
Pour accéder un PDF avec plus de renseignements de comment effectuer ce programme, cliquez ici.
Ouvrage de référence
Lovett, M. W., Steinbach, K. A., & Frijters, J. C. (2000). Remediating the core deficits of developmental reading disability: A double-deficit perspective. Journal of Learning Disabilities, 33(4), 334-358.
Myre-Bisaillon, J. (2009). Identification des mots écrits chez les dyslexiques phonologiques: Mise à l’essai d’un programme d’intervention compensatoire. Revue des sciences de l'éducation, 35(3), 65-84.
Myre-Bisaillon, J. (2006). Mise à l’essai d’un programme d’intervention auprès d’élèves dyslexiques. Parole, numéro thématique 34/35/36.
Myre-Bisaillon, J. (2004). Dyslexie phonologique : intervention corrective ou compensatoire? Éduquer (Cahiers Simon-Binet), numéro 8, p.153-169.
Myre-Bisaillon, J. (2004). L’identification des mots écrits chez des enfants dyslexiques de deuxième et troisième cycles du primaire : évaluation des effets d’un programme d’intervention en fonction des différents profils de dyslexie. Thèse inédite. Université de Sherbrooke.
Observatoire national de la lecture (2000). Maîtriser la lecture. Poursuivre l’apprentissage de la lecture de 8 à 11 ans. Paris, France : Éditions Odile Jacob.
Julie Myre-Bisaillon est professeure Titulaire au Département des études sur l’adaptation scolaire et sociale à la Faculté d’Éducation de l’Université de Sherbrooke. Elle est responsable du Collectif de recherche sur la continuité des apprentissages en lecture et en écriture (CLÉ), équipe de recherche qui regroupe une vingtaine de chercheurs. Ses intérêts de recherche portent sur l’adaptation de l’enseignement pour les élèves en difficulté, dans des approches par projet à partir de la littérature jeunesse et dans une perspective de multidisciplinarité de même que sur l’éveil à la lecture et à l’écriture dans les milieux défavorisés. Elle a enseigné au secondaire et a fait de l’intervention orthopédagogique.
Carole Boudreau est professeure au Département d’études sur l’adaptation scolaire et sociale de l’université de Sherbrooke. Avant d’occuper ce poste, elle a été orthopédagogue en milieu scolaire, conseillère pédagogique en déficience auditive et agente de projets à la Direction de l’adaptation scolaire au ministère de l’éducation du Québec. Ses intérêts de recherche portent sur les difficultés en lecture et en écriture, ainsi que sur les pratiques orthopédagogiques. Elle est membre du Collectif de recherche sur la continuité des apprentissages en lecture et en écriture (CLÉ).
Véronique Parent est psychologue et professeure au Département de psychologie de l’Université de Sherbrooke. Ses intérêts de recherche portent sur les troubles cognitifs liés aux troubles d'apprentissage et d'adaptation. Elle s’intéresse également à l’utilisation d’interventions novatrices dans le milieu scolaire afin de favoriser le développement du potentiel d’apprentissage des élèves en difficulté, dont l’utilisation de programmes d’entrainement cognitif. Elle est membre du Collectif de recherche sur la continuité des apprentissages en lecture et en écriture (CLÉ).
Anne Rodrigue est étudiante au doctorat au Département des études sur l’adaptation scolaire et sociale de l’Université de Sherbrooke. Orthopédagogue de formation, elle partage son temps entre la recherche à l’université et la pratique en milieu scolaire depuis plus de 10 ans.
Annick Tremblay-Bouchard est étudiante à la maîtrise en sciences de l’éducation axée dans le domaine de l’adaptation scolaire à l’Université de Sherbrooke. Enseignante au primaire de formation, elle se spécialise auprès des élèves ayant un handicap auditif.
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