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Par Marie-Eve Landry, psychothérapeute autorisée, Ps.Éd., Consortium pour les élèves du nord de l’Ontario

On entend beaucoup parler d’autorégulation dans les milieux éducatifs, mais qu’en est-il vraiment ? Selon Stuart Shanker [1], l'autorégulation se rapporte au degré d’efficacité avec lequel l’enfant réagit aux facteurs stressants et revient ensuite à un état de calme où il peut se concentrer et demeurer alerte. Ce concept présuppose que l’enfant régule seul ses émotions, et ce, de façon adaptative et fonctionnelle. Toutefois, pour en arriver à ce qu'un enfant soit en mesure de s’autoréguler efficacement, il doit d’abord apprendre la régulation au contact des adultes.

La corégulation

C’est dans l'interaction avec les autres qu’une personne apprend à réguler ses émotions et ses comportements, ce qu'on appelle la corégulation. Contrairement à l'autorégulation, où un individu régule lui-même ses processus internes, la corégulation implique une influence mutuelle entre deux ou plusieurs personnes.

Dans le contexte des émotions, la corégulation émotionnelle se produit lorsque deux personnes, par leurs interactions, s’influencent mutuellement dans la gestion de leurs émotions. Les réponses émotionnelles et comportementales d’un adulte, parent, tuteur ou éducateur, auront donc un grand impact sur les émotions de l’enfant. La corégulation des émotions est un aspect crucial du développement émotionnel et social des enfants, car elle les aide à apprendre à gérer leurs propres émotions et à développer des compétences relationnelles importantes.

Comment fonctionne la corégulation ?

Comme l’explique la métaphore du cerveau dans la main [2] de Dr Daniel Siegel, lorsqu’on vit de grandes émotions ou qu’on fait face à un stresseur important, notre cerveau perd la capacité de se connecter au cortex préfrontal, et donc d’utiliser nos fonctions exécutives et nos habiletés de réflexion. C’est le cerveau primitif (système limbique) qui prend le dessus, géré par l’instinct de survie. Nous pouvons alors observer des comportements de combat, de fuite ou d’immobilisation. Chez un enfant ou un adolescent, ceci pourrait se traduire par des cris, de l’agressivité, un désir de s’enfuir ou de se cacher, ou encore par un repli sur soi ou une impression que l'enfant nous ignore. Le rôle de l’adulte est donc primordial pour aider un enfant dysrégulé à revenir au calme avant de pouvoir faire des apprentissages ou appliquer des stratégies de résolution de problèmes.

La corégulation, par son effet de neurones miroirs [3], permet une contagion émotionnelle de l’état de calme de l’adulte vers l’enfant. Toutefois, le facteur essentiel à l’efficacité de la corégulation est la régulation émotionnelle de l'adulte lui-même. Le parent ou l'éducateur doit donc lui-même en arriver à gérer les émotions que lui font vivre l’enfant ou l’adolescent dans la situation. En étant lui-même calme, l’adulte pourra accompagner l’enfant dans la gestion de ses émotions par sa présence bienveillante et sa modélisation de stratégies de régulation.

Neurones Miroirs :

"Cellules microscopiques présentes en nombre dans notre boîte crânienne n'ont aucun lien avec une quelconque tendance narcissique (présente, elle, seulement chez certains d’entre nous) mais ont pour fonction de nous refléter le monde extérieur."

Marie Baccus et Laura Bertleff, pour Learning Brain

La corégulation se passe non seulement en présence de l’adulte, mais dans le contexte de la relation avec l’adulte. Celle-ci doit être sécurisante, offrant constance, bienveillance et sécurité à l’enfant pour qu’il puisse y déposer son vécu émotionnel. Une telle connexion s’exprime en étant pleinement concentré sur le moment présent, en parlant doucement et en étant physiquement présent, sans envahir l’espace de l’enfant, selon son besoin.

La validation des émotions

Mettre des mots sur le vécu de l’autre permet aussi d’apaiser rapidement l’enfant dans un état de détresse et évite les luttes de pouvoir. Nommer pour calmer (“Name it to Tame it”) est une stratégie qui a fait ses preuves.

Dr Adèle Lafrance [4] soutient que la validation des émotions est essentielle pour favoriser le développement émotionnel sain des enfants. Elle encourage les parents et les éducateurs à reconnaître et à valider les émotions de l’enfant, quelles qu'elles soient, plutôt que de les minimiser, les ignorer ou les rejeter. La validation des émotions implique d'écouter activement, d'exprimer de l'empathie et de montrer une compréhension sincère des sentiments du jeune, même s'ils peuvent sembler irrationnels ou déconcertants.

En validant les émotions de l’enfant, les adultes bienveillants peuvent aider à renforcer la confiance en soi, l'estime de soi et le bien-être émotionnel de la jeune personne. Cela crée également un environnement dans lequel l'enfant se sent entendu, compris et soutenu, ce qui favorise une relation positive et solide.

Par exemple, si un jeune refuse de faire un travail, voici comment l’adulte pourrait utiliser la validation des émotions :

  • Traduire ce qu’il observe : “On dirait que tu ne veux vraiment pas faire ce travail.”
  • Valider l’émotion : “Je peux imaginer que tu te sentes frustré parce que cette matière n’a pas toujours été facile pour toi, ça va te demander un certain effort et tu aimerais mieux aller jouer.”
  • Offrir un soutien affectif : “Je te comprends, je suis avec toi.”
  • Offrir un soutien pratique : “Est-ce que tu aimerais que je t’aide à commencer ou qu’on prenne une petite marche avant ?”

La validation des émotions ne signifie pas nécessairement approuver ou céder à toutes les demandes de l'enfant. Au contraire, elle consiste à reconnaître ses émotions tout en établissant des limites claires et en aidant l'enfant à développer des compétences pour réguler ses émotions de manière saine et constructive.

Dans l’exemple présenté, prendre une pause pourrait s’avérer une stratégie efficace pour permettre au jeune de se réguler. L'émotion intense pourrait ainsi se dissiper et laisser place à un état de calme où l’enfant serait en mesure de retrouver l’accès aux fonctions supérieures du cortex frontal. Le jeune, de retour dans un état où il est disposé à répondre à la situation, aurait ainsi accès aux fonctions exécutives qui lui permettraient de passer à l’action, que ce soit en verbalisant ses préoccupations de façon calme, en trouvant des solutions au problème ou même en acceptant tout simplement la situation (s’activer et débuter le travail à accomplir).

Tout comme pour l’apprentissage des matières scolaires ou des habiletés sociales, les enfants et les adolescents ont besoin de modèles et de pratique pour apprendre à réguler leurs émotions. Ce sont nous, les adultes, qui avons la responsabilité d’être ces modèles et de les accompagner dans ces apprentissages afin de les préparer à devenir les adultes de demain.

Ressources

[1] En savoir plus sur le processus Shanker Self-Reg pour améliorer l'autorégulation, par Stuart Shanker : https://self-reg.ca/

[2] Vidéo : Le cerveau dans la main, pour aider les enfants à gérer leurs émotions. https://www.youtube.com/watch?v=9aONSCU9v_w

"Cette vidéo permet aux enfants de comprendre ce qui se passe dans leur cerveau lorsque l’émotion est trop grande et qu’ils piquent une crise. Elle leur donne aussi des pistes pour apprendre à se calmer tout seuls." - Dr Daniel Siegel et Tina Payne Bryson

[3] Apprenez en plus sur les neurones miroir : https://www.learningbrain.be/blog/les-neurones-miroirs/

[4] Site Internet du Dr Adèle Lafrance, découvrez-en davantage sur ces recherches : https://dradelelafrance.com/

Retrouver l'enregistrement du webinaire, "Quand les émotions prennent le dessus… Comment aider un enfant à revenir au calme ?" sur le sujet : https://www.taalecole.ca/webinaire-emotions-calme/

 

Références

https://self-reg.ca/

https://drdansiegel.com/

https://dradelelafrance.com/

https://www.mentalhealthfoundations.ca/

La validation d’émotions - Fiche CÉNO

La validation des émotions - Vidéo CÉNO

https://www.thirdpath.ca/

https://www.albertafamilywellness.org/

 

Marie-Ève Landry est psychothérapeute avec le Consortium pour les élèves du nord de l'Ontario. Titulaire d’un baccalauréat en psychologie et d’une maîtrise en psychoéducation, elle est également membre de l’Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec. Elle offre du soutien aux équipes scolaires pour la gestion des comportements des individus et des groupes ainsi que pour la promotion du bien-être des élèves. Son approche vise à bâtir la capacité des adultes à appuyer les enfants. Elle mise sur les forces des jeunes et sur le développement des habiletés socio-émotionnelles et de régulation.