Alain Caron, Psychologue
La situation particulière que nous traversons actuellement nous place dans un contexte où nous devons faire preuve de solidarité, d’adaptation et de créativité. L’école à distance, puisque c’est une nouvelle réalité avec laquelle nous vivrons pendant encore plusieurs semaines changent les barèmes de la relation enseignant-élève.
Si, en soi, les contenus pédagogiques ne changent pas, la façon de les communiquer et comment les élèves se les approprient change sur plusieurs facettes. La présence directe est un facteur reconnu de renforcement et de gratification dans le processus de l’apprentissage. Une main sur l’épaule de l’élève qui s’efforce de résoudre un problème active une gratification l’encourageant à poursuivre la tâche et à vouloir plaire à son enseignante. Il est beaucoup plus difficile de valoriser l’effort de l’élève ou simplement de faire un rappel à l’attention quand nous ne sommes pas là !
De plus, il faut bien saisir que la relation que le jeune a avec la tablette ou l’ordinateur n’est pas la même lorsqu’il s’exécute dans un jeu vidéo que lorsqu’il doit faire des apprentissages. Les jeux vidéo procurent une rétroaction immédiate et dynamique qui stimule constamment l’attention et l’intérêt, tandis que d’écouter une explication sur un thème précis pour pouvoir faire le travail par la suite sollicite beaucoup plus d’attention volontaire et de capacité de persister lorsqu’un effort est demandé.
Pour pallier les nombreux changements qu’implique l’école en ligne, je vous propose quelques stratégies qui peuvent être aidantes et qui partent des bases du développement humain au niveau de l’apprentissage.
En effet, comme le fait si bien ressortir Stanislas Dehaene dans son livre « Apprendre ! », les neurosciences reconnaissent maintenant quatre piliers de l’apprentissage dans la structure même de notre cerveau. Ces piliers sont l’engagement actif, l’attention, le retour sur l’erreur et la consolidation. L’idée ici est de comprendre ce qui a permis à l’humanité de faire des apprentissages de façon tout à fait autonome depuis l’aube des temps et de l’utiliser pour soutenir l’élève devant l’école en ligne. Explorons-les rapidement et voyons quelles applications pratiques que nous pouvons en tirer.
L’engagement actif
La notion d’engagement actif au niveau de l’apprentissage implique que l’élève ait une interaction dynamique et volontaire avec l’objet d’apprentissage et non pas qu’il soit simplement un spectateur passif. Cela semble évident, mais c’est aussi vrai sur le plan neurologique : pour qu’une nouvelle connaissance laisse une trace dans un réseau de neurones, l’élève doit avoir manipulé l’information et non pas simplement l’avoir vu ou entendu. Au fil des centaines de milliers d’années de son développement, le cerveau a donc développé un outil efficace pour y arriver : la curiosité !
En effet, nous savons maintenant que l’enfant vient au monde avec une multitude d’aptitudes inscrites dans la structure même de son cerveau, héritage de l’évolution humaine, qui ne demandent qu’à être activées par l’expérience. Nous pourrions comparer cela à un ordinateur neuf avec tous ses logiciels inclus devant être activés l’un après l’autre. Le cerveau humain est donc structuré pour explorer toute sorte d’aptitudes qu’il porte en lui, en utilisant la curiosité pour les découvrir.
Voyons donc trois pistes de travail que cela peut nous apporter pour soutenir l’autonomie de l’élève en ligne.
1) Manipuler consciemment l’information
Nous savons que quelqu’un qui assiste à une conférence en prenant des notes manuscrites retient mieux l’information communiquée que celui qui le fait sur un ordinateur. Pourquoi ? Parce que prendre des notes manuscrites est plus lent et force donc à faire une meilleure synthèse du contenu de la présentation. Bref, manipuler l’information dans sa tête favorise son appropriation.
Il faut donc inciter l’élève à faire de même et à ne pas simplement « écouter ». Que ce soit en lui demandant de reformuler ce qui a été dit, d’en faire un résumé, de le traduire dans un film dans sa tête, de l’expliquer à ses parents, d’annoter un texte, de s’approprier la tâche à faire en la fragmentant, etc. L’essentiel ici est qu’il fasse activement quelque chose avec cette nouvelle information dans sa tête. Ce faisant, une empreinte plus forte se fait dans son cerveau.
2) Stimuler la curiosité en donnant des hypothèses à valider comme défi
En mettant l’élève devant une tâche ou il doit trouver si une information est vraie ou fausse, par exemple, stimule directement sa curiosité et utilise la structure même d’apprentissage du cerveau. Placer l’élève devant un tel défi le force à devenir actif dans son apprentissage, ce qui évidemment renforce le premier point, mais contribue surtout à activer sa curiosité. En fait, placer l’élève en défi le place face à une nécessité qui devient source de stimulation pour lui.
3) S’engager à fond dans ses apprentissages
Finalement, il faut explicitement nommer à l’élève l’importance qu’il s’engage dans ce qu’il fait s’il veut être efficace et, ce faisant, gagner du temps. Je n’élabore pas sur ce point, mais vous mets en lien une section du MéthoBulles, outil pouvant servir d’aide-mémoire pour soutenir l’élève dans ses démarches, portant sur cet aspect : https://www.methobulles.net/#2O001
L’attention
Une définition pratique de l’attention peut s’avérer assez simple : parvenir à maintenir volontairement sa pensée dans le temps sur la cible en dépit des distractions possibles. Évidemment, les processus attentionnels sont infiniment plus complexes, mais puisque notre souci ici est l’efficacité de l’élève en ligne nous partirons de cette définition pour explorer trois stratégies pour le soutenir.
1) Éviter la surcharge
Un danger de l’école en ligne est que l’élève se retrouve rapidement en surcharge si trop d’informations ou de tâches à faire lui sont présentées simultanément. S’il se retrouve dans une telle surcharge, sa mémoire de travail pourra difficilement contenir et gérer les informations importantes et il risque de décrocher de la tâche. Il est donc essentiel de communiquer les informations pertinentes, que ce soit de nouvelles connaissances ou des tâches à exécuter, à un rythme que l’élève est capable de soutenir. Cela est donc tout aussi valable pour l’enseignante qui envoie l’information que pour le parent qui accompagne son enfant.
2) Présenter des cibles accessibles à court terme et compréhensibles
Ce point parle de lui-même. Dans ce qui est présenté à l’élève, ce qui lui est demandé de faire doit lui être expliqué de la façon la plus explicite possible et l’élève doit clairement comprendre ce qu’il a à faire. De plus, ce qu’il a à faire doit être accessible à ses capacités et il doit pouvoir l’atteindre à court terme. Ici, il ne faut pas oublier que devant l’ordinateur, l’élève risque de décrocher plus rapidement qu’en classe puisque la relation directe n’est pas là. Pour cette raison, il est préférable que les cibles soient à plus court terme que d’habitude.
3) Baliser la tâche
Pour soutenir le point précédent, il peut s’avérer très utile de bien baliser les tâches que nous proposons aux élèves. Baliser consiste simplement à bien fractionner et structurer ce qui leur est présenté. Par exemple, nous leur expliquons qu’il y a trois étapes à suivre, la première consistant à faire telle ou telle chose et devrait prendre environ 5 minutes. En précédant ainsi, nous transformons l’ensemble d’une tâche à faire, en plusieurs petites cibles faciles à atteindre. C’est ce que Jean-Philippe Lachaux, chercheur renommé en neuropsychologie, appelle les « minimissions ».
À ce sujet, je vous encourage fortement à explorer l’approche de ce dernier sur le développement de l’attention dont vous aurez les références à la fin du texte. Vous trouverez aussi un résumé de plusieurs idées importantes dans le MéthoBulles dans la section suivante : https://www.methobulles.net/#1A
Le retour sur l’erreur
Le retour sur l’erreur est cette capacité à tirer des leçons des erreurs et expériences passées afin d’opter pour de meilleurs choix par la suite. Cela demande beaucoup de flexibilité, mais c’est une habileté essentielle pour la progression de l’élève. Pour celui-ci, cela veut concrètement dire d’avoir des rétroactions sur ses actions afin d’ajuster celles-ci afin de poursuivre l’atteinte de son but. Si le développement de cette aptitude est plus efficace dans une interaction éducative directe, voici tout de même quelques pistes pour la facilité dans le contexte de l’école en ligne.
1) Favoriser un questionnement de rétroaction
Lorsque l’élève a à faire une tâche, préparer une série de questions adaptées à celle-ci auxquelles il répondra après l’avoir terminée. Par exemple, vous pouvez poser des questions comme : quelles étapes as-tu suivies pour faire la tâche ; comment t’assurer que tu n’as rien oublié ; comment peux-tu vérifier l’exactitude de ta réponse ; peux-tu identifier une erreur que tu aurais commise, etc. Ce type de questions stimulera sa capacité à se donner une rétroaction sur ce qu’il a fait, pavant ainsi la voie au retour sur l’erreur.
2) Tendre des pièges
Une question du type « Michel a 20 billes et 8 de plus que Paul. Combien Paul a-t-il de billes ? » propose un piège (il y a plus dans la question, donc on additionne) dans lequel plusieurs élèves tombent. En leur tendant ainsi un piège, pour ensuite les amener à prendre conscience de leur erreur, vous activez chez les élèves leur aptitude au retour sur l’erreur. Vous pouvez donc parsemer les tâches que vous leur demandez de petits et grands pièges pour avoir l’occasion d’y revenir.
3) Mettre des alertes émotives
Les recherches ont démontré que lorsque les élèves étaient confrontés à des pièges comme au point précédent, le fait de leur donner une alerte émotive du type « méfiez-vous, il y a peut-être un piège dans la question » augmente leur chance d’éveiller leur attention qui leur permet de ne pas tomber dans le panneau. Autrement dit, si les élèves sont déjà tombés dans un piège dans le passé et que vous mettez une alerte émotive à ce que vous leur présentez, ils apprennent à se méfier et à se souvenir de leurs erreurs passées pour être plus efficace. Vous pourriez, par exemple, leur dire que dans la question ou le problème suivants il y a un piège ou, encore, que dans les cinq questions suivantes, il y en a une qui comporte un tel piège. Vous pourriez même aller jusqu’à dire que dans les dix problèmes à résoudre que vous leur avez donnés, il y en a assurément deux qui leur tendent un piège et peut-être même un troisième…
La consolidation
Finalement, la consolidation est l’étape finale de l’apprentissage qui consiste à faire en sorte qu’une nouvelle connaissance ou habileté qu’a faite l’élève devienne une compétence de plus en plus automatisée de sorte qu’elle lui demande peu d’effort. Voici quelques points qui facilitent ce processus.
1) Réactiver régulièrement les nouveaux apprentissages
Lorsqu’une nouvelle notion a été présentée à l’élève, le fait de revoir périodiquement cette notion réactive le réseau de neurones qui y est associé, consolidant de fait cette connaissance. Cette réactivation n’a pas à être aussi poussée et active que la première fois, mais vise à remémorer les éléments importants de cet apprentissage. Cette réactivation peut se faire par la suite de plus en plus espacée et courte, telle une révision qui consolide l’acquis.
Si vous désirez explorer un peu plus cet aspect, voici deux liens sur le MéthoBulles qui vont dans ce sens : entretenir les « sentiers » neurologiques (https://www.methobulles.net/#3A001) et planifier ses apprentissages et sa mémorisation (https://www.methobulles.net/#3A002).
2) Se reposer le corps et l’esprit
Finalement, les recherches le prouvent clairement, dormir favorise la consolidation des apprentissages. En effet, durant le sommeil, notre cerveau réactive les principaux nouveaux apprentissages de la journée, ce qui favorise leur consolidation. Il est donc essentiel que, même en ces temps perturbés, les enfants dorment bien et sur un horaire régulier.
Conclusion
Partir des processus naturels de l’apprentissage que sont les quatre piliers que le cerveau a construits au fil de son évolution ne garantit pas automatiquement que tout sera facile pour les élèves dans le contexte actuel où les apprentissages se font par le biais de l’écran. Toutefois, puisque, justement, ce sont des processus naturels, les différentes stratégies proposées ici risquent de favoriser le développement d’une meilleure autonomie cognitive chez les élèves.
Références et pistes pour aller plus loin
Berthier, Jean-Luc ; Neurosciences cognitives, comment changer l’apprentissage ? 8eConvention pédagogique : Les pédagogies actives et renouvelées ; Lyon ; 30 et 31 aout 2017 ; YouTube ; https://www.youtube.com/watch?v=69vya5lvdkw.
Caron, Alain : « Arrête, observe et agis » ; Chenelière Éducation ; 2019 ; Montréal
Dehaene, Stanislas ; Apprendre ! les talents du cerveau, le défi des machines ; Odile Jacob ; Septembre 2018, Paris.
Dehaene, Stanislas ; Apprendre : les talents du cerveau, le défi des machines ; YouTube ; https://www.youtube.com/watch?v=DAIhjeyET4c. (À l’occasion de la Rentrée Solennelle de l’université de Poitiers.)
Lachaux, Jean-Philippe ; Le cerveau funambule. Comprendre et apprivoiser son attention grâce aux neurosciences ; Odile Jacob ; 2015 ; Paris.
Lachaux, Jean-Philippe ; Les petites bulles de l’attention. Se concentrer dans un monde de distraction ; Odile Jacob ; Novembre 2016 ; Paris.
Titulaire d’une maitrise en psychologie de l’Université Laval, Alain Caron travaille depuis plus de 25 ans dans le secteur de l’éducation. Fort de son expérience de travail auprès des élèves du primaire, du secondaire et de ceux qui éprouvent des difficultés d’adaptation scolaire, il a développé un intérêt particulier pour l’incontournable problématique de l’attention en classe, de l’hyperactivité, de la persistance dans la tâche, ainsi que de l’importance des fonctions exécutives dans la réussite scolaire des élèves.
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