Par Mireille Saboya, Alexandre Ducharme-Rivard, Annie Beauchamp et Lou-Anne Denis-Masson
La résolution de problèmes est centrale dans les programmes d’étude de nombreux pays. Toutefois, nous avons pu constater qu’elle pose de nombreux défis aux élèves et plus particulièrement aux élèves en difficultés d’apprentissage. À cet effet, Hanin et Van Nieuwohoven (2018) rapportent plusieurs recherches qui mettent en évidence des performances faibles en résolution de problèmes chez les élèves de 5e et 6e année primaire (élèves de 10-12 ans). Nous inspirant du dispositif d’aide mis en place par une enseignante ayant participé à une recherche menée par Theis et al. (2014), nous poursuivions l’objectif d’accompagner nos élèves en difficultés lors de la résolution de problèmes. Nous espérions une diminution de leur anxiété et le développement de leur compétence à résoudre des problèmes, sous l’expression d’un engagement réfléchi (Saboya et al., 2015).
Un dispositif d’aide pour préparer les élèves à la résolution de problème
Le dispositif d’aide réside à préparer les élèves en difficultés en les rencontrant pendant une vingtaine de minutes deux jours avant la réalisation du problème en classe. Les élèves lisent l’énoncé du problème et une discussion s’ensuit sur les données, les contraintes et ce qui est recherché. Ils écrivent par la suite individuellement ce qu’ils pensent devoir faire en classe et l’enseignante met en commun les constats des élèves pour faire ressortir les objets de savoir. Les élèves sont dans l’anticipation de ce qu’il faut faire et ils sont alors prêts à s’engager dans la résolution en même temps que les autres élèves, le rythme de classe n’étant plus accéléré pour eux. Rapportant des effets positifs de ce dispositif sur l’engagement des élèves en difficultés, Theis et al. ont toutefois remarqué que lors de la résolution en classe, certains élèves ayant vécu le dispositif d’aide avaient tendance à court-circuiter le déroulement en voulant expliquer aux autres élèves ce qu’il faut faire.
Pour contrer cet effet, nous avons conçu des activités préparatoires destinées aux élèves en difficultés en amont de la résolution de problèmes en classe, ces activités visant à les préparer aux raisonnements mathématiques à mobiliser lors de la résolution de problèmes sans toutefois aborder directement le problème visé. Nous sommes partis d’un problème qui pose des défis aux élèves, ceux-ci s’engageant dans un raisonnement erroné qu’il est difficile de défaire. La figure 1 présente le problème sur lequel nous avons travaillé qui est tiré d’une banque de problèmes conçue par des conseillers pédagogiques et enseignants du centre de services scolaire Marguerite Bourgeoys, au Québec et qui prend place au 3e cycle du primaire (élèves de 10 à 12 ans).
Tableau 1. Énoncé du problème de la boite de chocolats.
Les boites de chocolat
Ludovic vend des boites de chocolat pour financer son camp d’hiver avec les Scouts. Il doit vendre 295 boites de chocolats qui ont la forme d’un prisme à base carrée et qui ont les dimensions suivantes :
Il veut mettre ses boites de chocolats dans une seule grande boite pour faciliter le transport. Il trouve les deux grandes boites suivantes chez lui : Afin d’éviter de briser les chocolats, il ne peut pas retourner ses boites. Il doit les placer à plat dans la grande boite. Il peut cependant les empiler. Ludovic pense qu’il peut choisir n’importe laquelle des deux boites pour transporter toutes ses boites de chocolats en un seul voyage. A-t-il raison ? Justifiez. |
Trois raisonnements sont habituellement mobilisés par les élèves dont les deux premiers qui sont erronés : 1) Calculer le volume de la boite de chocolat et des deux grandes boites et les comparer, 2) Calculer les aires latérales de la boite de chocolat et des deux grandes boites et les comparer et 3) Comparer les mesures correspondantes des boites. Le raisonnement le plus souvent utilisé par les élèves est le premier, une comparaison entre les volumes des boites. Dans le cas des deux premiers raisonnements, on en conclut que Ludovic a raison, qu’il peut mettre les 295 chocolats dans les deux boites alors qu’en comparant les longueurs des boites, Ludovic ne peut mettre les 295 boites de chocolat que dans la deuxième boite (qui est le raisonnement attendu).
Ce problème requiert la mobilisation d’une perception spatiale pour arriver à se représenter chacune des boites dans l’espace. En effet, il faut pouvoir voir le positionnement des boites de chocolat par rapport aux grandes boites pour accéder à une comparaison entre les dimensions correspondantes des boites. Remarquons que le fait que les boites de chocolat sont des prismes à base carrée facilite la résolution, il suffit de comparer le côté de la boite de chocolat à la fois à la longueur et à la largeur de chacune des grandes boites[1]. Pour préparer les élèves en difficultés à la résolution de ce problème, nous avons conçu trois activités, elles misent sur un travail sur le concept de volume et sur le développement du sens spatial, habiletés qui sont sollicitées lors de la résolution du problème des boites de chocolats.
[1] Si la boite de chocolat était un prisme à base rectangulaire, il faudrait procéder à plus de comparaisons : la longueur de la boite de chocolat avec la longueur et la largeur des grandes boites et par la suite la largeur de la boite de chocolat avec la longueur et la largeur des grandes boites.
Présentation des trois activités préparatoires pour le problème des boites de chocolats
Les trois activités utilisent du matériel (voir tableau 2).
Tableau 2. Présentation des trois activités préparatoires au problème des boites de chocolats
Activité 1 : Boite de matériel de base 10 (avec cubes d’un cm) et un décimètre cube transparent. | Activité 2 : Billes, pois secs ou macaronis et un décimètre cube transparent. | Activité 3 : Une série de romans identiques et une boite de carton. |
Différentes questions ont été prévues, l’enseignante observe le raisonnement utilisé par les élèves et leur demande d’expliquer aux autres la démarche utilisée.
D’après toi, combien de centicubes/billes/pois secs/macaronis/romans pourront rentrer dans le cube transparent ?
Question de relance : moins de 100, entre 100 et 500, entre 500 et 1000, plus de 1000, plus de 2000...
Combien de centicubes/billes/pois secs/macaronis/romans, puis-je mettre dans la boite ?
Comment puis-je faire pour trouver la réponse ? Quelle expression mathématique utiliseras-tu ?
Depuis trois ans, nous faisons vivre ces activités préparatoires à nos 3-4 élèves en difficultés qui sont intégrés dans nos classes. Ces élèves ont besoin de s’approprier les concepts en jeu en manipulant du matériel. Cela leur permet ensuite de passer à l’abstraction et de transférer ce qu’ils ont expérimenté. La manipulation favorise une rétroaction directe et efficace. Nous les rencontrons pendant environ 15 minutes par activité et ce, en dehors des heures de classe. Une fois la démarche empirique réalisée, nous accompagnons les élèves au transfert vers des opérations mathématiques. Le lendemain de chaque activité, celle-ci est reprise en grand groupe. Les élèves vus en sous-groupe peuvent alors vivre de nouveau l’activité avec un sentiment de compétence et une assurance. De plus, ils sont alors plus disponibles pour comprendre les autres démarches présentées par leurs camarades. Il nous arrive même d’observer qu’ils prennent la parole pour corriger le raisonnement erroné d’un autre élève.
Dans la première activité, il s’agit d’amener les élèves à remarquer que le nombre de centicubes rentre parfaitement dans le décimètre cube et d’arriver à trouver ce nombre, 1000 cubes. Lors de la mise en essai, certains élèves en difficulté affirment que 100 cubes remplissent le décimètre cube. À l’aide du matériel multibase, ils réussissent à détecter l’erreur qu’ils ont faite et à réajuster le tir. Lors de la deuxième activité, les élèves analysent la forme irrégulière des macaronis, ils utilisent de nouveaux raisonnements pour évaluer le nombre total nécessaire pour remplir le décimètre cube. Cette fois-ci avec les macaronis qui ne sont pas cubiques, il y a des trous, tout l’espace n’est pas utilisé. Pour arriver à estimer, par exemple, le nombre de macaronis, certains élèves en viennent à couvrir le fond du décimètre cube avec des macaronis non superposés. Ils évaluent alors que cette couche correspond approximativement à une plaque de 100 cubes. Par la suite, ce nombre de macaronis est multiplié par 10 pour obtenir le nombre cherché puisqu’il y a 10 plaques qui rentrent dans un décimètre cube. Nous remarquons que la manipulation a, en effet, favorisé le passage à l’abstraction. On voit que les élèves finissent par comprendre que l’établissement d’un étage complet de macaronis combiné à la multiplication par 10 permet d’établir un bon estimé du nombre de macaronis. D’autres élèves estiment que l’on peut placer de 2 à 3 macaronis dans un cube, ils multiplient par la suite ce nombre par 1000 puisqu’il y a 1000 cubes dans un décimètre cube. Dans la troisième et dernière activité, nous nous approchons de plus en plus du contexte qui sera vécu lors de la résolution du problème des boites de chocolat. Deux variables didactiques sont modifiées : le contenu (des romans) et le contenant (une boite de carton). Les élèves constatent que comme pour les macaronis, il y a des trous dans la boite, un espace inoccupé. En manipulant, ils en viennent à remarquer que différentes configurations sont possibles pour placer les romans dans la boite. L’enseignante guide les élèves vers une comparaison des dimensions correspondantes du roman et de la boite pour trouver le nombre de romans qui rentrent dans la boite, qui est le raisonnement attendu dans le problème des boites de chocolats.
Réflexion sur les résultats obtenus auprès de nos élèves en difficultés d’apprentissage
Au terme des trois activités, les différents contextes et la variété du matériel utilisé ont permis aux élèves en difficultés de se faire une idée des différents cas de figure et donc de développer une flexibilité. Le rôle du matériel est ici central, il favorise l’élaboration de significations et peut supporter les raisonnements (Corriveau et Jeannotte, 2015). Toutefois, nous avons pu constater que les élèves ont eu de la difficulté à voir la relation multiplicative entre l’objet (cubes, macaronis, romans) et le récipient (décimètre cube ou boite). Le rôle de l’enseignante a été central, elle a gardé en tête l’intention pédagogique et elle a questionné les élèves sur leur raisonnement, sans leur donner les réponses.
Le raisonnement erroné du volume ressort lors de l’activité avec les romans. Nous pensons qu’il doit être mené à terme pour que l’élève prenne conscience lui-même, grâce à la manipulation, de son incongruité. Ainsi, les élèves ont mesuré les dimensions de la grande boite et ont calculé le volume puis ils ont mesuré les dimensions du roman pour en calculer également le volume. Le fait de devoir mesurer les dimensions de prismes à base rectangulaire, leur permet de donner du sens à ces dimensions, de les identifier, de les reconnaître. L’enseignante a dû accompagner des élèves en difficultés pour identifier une des trois dimensions, les élèves en repérant facilement deux mais ayant plus de difficultés à voir la troisième dimension. En divisant le volume de la grande boite par le volume d’un roman, les élèves trouvent le nombre de romans qui devrait rentrer dans la boite. Toutefois, quand ils en font l’expérience, ils s’aperçoivent qu’ils peuvent placer dans la grande boite beaucoup moins de romans que ce qu’ils avaient calculé. Il y a à ce moment un arrêt, une incompréhension, un malaise s’installe. L’enseignant doit annoncer que ce raisonnement ne fonctionne pas mais pourquoi ? Pour bien le comprendre, elle fait appel à la définition du volume qui est la mesure de l’espace occupé, il n’y a pas de vide, pas de trous. Quand on calcule les volumes, on se donne le droit de découper les romans en petits morceaux pour remplir tout l’espace occupé dans la boite. On obtient avec le calcul des volumes un nombre de romans qui comprend un certain nombre de romans entiers et des morceaux de romans qui vont remplir toute la boite. Mais on ne peut pas faire ça, on ne veut pas découper nos romans ! L’enseignante guide alors les élèves vers la comparaison des différentes dimensions de la boite et du roman.
Ces activités préparatoires permettent aux élèves en difficultés de réaliser que la formule du volume maximise les trous, il n’y a pas d’espace inoccupé. Mais quand est-ce qu’on peut utiliser la formule du volume ? Trois cas de figure ressortent : quand les objets rentrent exactement dans la boite, quand on met un liquide et quand on remplit la boite avec du sable. Donc, quand on s’intéresse au volume, il s’agit de choisir des objets ou une matière qui peuvent occuper tout l’espace disponible:
- avec les cubes d’un centimètre de côté il n’y avait pas d’espace,
- les macaronis font prendre conscience de la présence d’un espace inoccupé,
- les romans font émerger la nécessité d’aller vers la comparaison des dimensions correspondantes de la boite et du roman.
Ces activités préparatoires ont été significatives pour les élèves en difficultés d’apprentissage. Comparer des dimensions correspondantes de la boite et du roman est devenue une activité tangible. Quand le problème des boites de chocolat a été présentée à tous les élèves en classe, les élèves en difficultés ont fait des liens avec ce qui avait été fait dans les activités préparatoires. Ils se sont engagés dans la résolution, au même rythme que les autres élèves de la classe, certains d’entre eux ont pris de la place quand ils étaient en équipe, ils n’étaient plus spectateurs, leur anxiété face à la résolution de problèmes avait beaucoup diminué !
Les fonctions exécutives permettent de relever des défis qui sont en constants changement. Le fait de varier le contexte des ateliers développe une flexibilité cognitive (voir figure 1). En faisant d’abord les tâches en sous-groupes, cela permet d’influencer positivement la mémoire de travail notamment parce que l’enseignante sollicite l’attention soutenue des élèves du sous-groupe en interagissant constamment avec eux.
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Figure 1. Les fonctions exécutives (tiré de Perreau-Linck, 2021)
Le problème des boites de chocolat est un problème clé sur lequel l’enseignante se réfère au cours de l’année scolaire. Les élèves ressentent des sentiments positifs envers ce problème. Nous vous encourageons à essayer les activités préparatoires au problème des boites de chocolat. Donnez-vous ce défi pour l’année scolaire, un défi par année, c’est bien suffisant.
Bibliographie
CORRIVEAU, C. et JEANNOTTE, D. (2015). L’utilisation de matériel en classe de mathématiques au primaire: quelques réflexions sur les apports possibles. Bulletin AMQ, Textes du 58e congrès, LV(3), 32-49.
HANIN, V., et VAN NIEUWENHOVEN, C. (2018). Évaluation d’un dispositif d’enseignement- apprentissage en résolution de problèmes mathématiques : Évolution des comportements cognitifs, métacognitifs, motivationnels et émotionnels d’un résolveur novice et expert. Évaluer. Journal international de recherche en éducation et formation, 4(1), 37-66.
PERREAU-LINCK, É. (2021). Le point sur les fonctions exécutives : que sont-elles et que faire lorsqu’elles font défaut ? Institut des troubles d’apprentissage, https://institutta.com/mediatheque/fonctions-executives
SABOYA, M., BEDNARZ, N. et HITT, F. (2015). Le contrôle exercé en algèbre : conceptualisation et analyses en résolution de problèmes. Annales de didactique et de sciences cognitives, 20, 61-100.
THEIS, L., ASSUDE, T., TAMBONE, J., MORIN, M. P., KOUDOGBO, J. et MARCHAND, P. (2014). Quelles fonctions potentielles d’un dispositif d’aide pour soutenir la résolution d’une situation-problème mathématique chez des élèves en difficulté du primaire? Éducation et francophonie, 42(2), 158-172.
À propos des auteurs :
Mireille Saboya est professeure à l’université du Québec à Montréal. Elle est détentrice d’un doctorat en éducation dont la spécialité est la didactique des mathématiques. Elle s’intéresse au développement d’une action contrôlée chez les élèves en mathématiques et plus particulièrement auprès des élèves en difficultés d’apprentissage. Il s’agit par exemple de favoriser chez les élèves un engagement réfléchi dans une activité, d’être en mesure de discerner une procédure gagnante et d'en écarter d'autres. En concert avec des intervenants du milieu scolaire, des interventions ont été construites pour aider les élèves en ce sens.
Alexandre Ducharme-Rivard est conseiller pédagogique en mathématiques à la commission scolaire Marguerite Bourgeoys au niveau primaire. Il est détenteur d’une maîtrise en mathématiques dont la spécialité est la didactique des mathématiques. Il travaille depuis de nombreuses années auprès d’enseignants et d’orthopédagogues dans des écoles de la région de Montréal dans des contextes de diversité ethnoculturelle et d’indices de défavorisation variés. Il possède une grande expertise en accompagnement d’enseignants à tous niveaux du primaire et a travaillé conjointement avec différents chercheurs autour de problématiques vives du milieu scolaire.
Annie Beauchamp et Lou-Anne Denis-Masson sont enseignantes au primaire depuis de nombreuses années. Après les deux années du projet, elles ont poursuivi avec la chercheure et le conseiller pédagogique pour poursuivre la réflexion sur les interventions élaborées conjointement. Elles ont ouvert les portes de leurs classes et elles se sont proposées pour que leurs interventions auprès des élèves soient filmées.
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