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L’article suivant accompagne le webinaire de TA@l’école, Le soutien au développement de l’autodétermination dans un contexte de classe numérique – un levier pour engager les apprenantsCliquez ici pour visionner l’enregistrement de webinaire.

Par Marie-Ève Garand-Gauthier

L’introduction rapide et forcée des technologies dans le domaine de l’éducation dans les derniers mois a amené son lot de défis. L’adaptation des situations d’apprentissage en mode numérique, la maîtrise des outils technologiques ainsi que l’engagement des apprenants sont apparus comme des défis pour de nombreux acteurs du milieu scolaire. Par rapport à ce dernier défi qu’est l’engagement des apprenants, le soutien au développement de l’autodétermination apparaît comme une voie prometteuse pour favoriser la réussite scolaire et aurait des impacts au-delà du parcours scolaire pour des apprenants présentant ou non des troubles ou difficultés d’apprentissage. Cet article vise à faire le pont entre les composantes de la théorie de l’autodétermination et les pratiques enseignantes et didactiques dans un contexte de classe numérique pour des élèves du secondaire, allophones ayant des difficultés d’apprentissage. Des stratégies visant la mise en œuvre de la classe numérique seront proposées afin de soutenir les enseignants dans cette démarche. Ces dernières peuvent être transférées dans un contexte ou seulement quelques élèves utilisent les outils numériques en classe.

Les défis du changement de pratique dans le contexte de la pandémie

Avec la fermeture des établissements au printemps 2020, bon nombre d’acteurs du milieu scolaire ont dû adapter leurs pratiques. En effet, si certaines pratiques enseignantes paraissaient efficaces en classe, certaines d’entre elles s’avèrent difficiles à reproduire dans un mode d’enseignement en ligne. À ceci s’ajoute le défi du mode d’enseignement qui peut changer rapidement avec les fermetures de classe rapides; un groupe peut devoir passer du mode présentiel au mode en ligne d’une journée à l’autre. Certains élèves doivent également être isolés à la maison, résultant d’un contexte d’enseignement qui peut être en mode bimodal c’est-à-dire avec des apprenants dans la classe et des apprenants en ligne simultanément.

Dans ce contexte, les enseignants doivent composer avec de possibles défis additionnels. Parmi ces défis, on retrouve les situations d’apprentissage qui ne sont pas adaptées à l’enseignement en ligne, parce qu’elles ne sont pas en format numérique par exemple. Aussi, la maîtrise des outils d’apprentissage numérique peut s’avérer très hétérogène chez les acteurs du milieu. Ainsi, certains ont su s’adapter plus facilement que d’autres dans ce changement. Finalement, l’engagement des apprenants constitue un défi de taille pour les enseignants qui peuvent éprouver des difficultés à maintenir la concentration et l’attention des jeunes lors des cours en ligne.

Engagement, autodétermination et classe numérique

Si l’on se penche sur le dernier défi que nous amène le contexte sanitaire actuel, le soutien au développement de l’autodétermination des apprenants pourrait s’avérer être une avenue intéressante pour soutenir leur engagement au regard de leur apprentissage (Yailagh et al., 2014). Effectivement, la satisfaction des besoins d’autodétermination serait associée à la réussite des élèves ainsi qu’à un engagement dans les activités scolaire, à la poursuite des études post secondaire, à une meilleure planification de l’insertion socioprofessionnelle ainsi qu’à une participation à la vie en communauté. Bref, le développement de l’autodétermination chez les apprenants aurait des impacts positifs sur leur vie bien au-delà du parcours scolaire.

Les stratégies et le cadre de référence proposés ici se veulent versatiles, dans un contexte d’apprentissage en présentiel ou en distanciel, avec des élèves qui présentent ou qui ne présentent pas de troubles ou de difficultés d’apprentissage. Également, le numérique n’est pas présenté comme une solution à l’engagement des élèves : c’est plutôt la façon dont les enseignants mobiliseront les possibilités des outils numériques qui suscitera l’engagement des apprenants.

Qu’est-ce l’autodétermination?

De quoi parle-t-on lorsque l’on parle d’autodétermination? Le concept a d’abord été développé dans le domaine politique, comme le droit des peuples à disposer d’eux même. Le concept s’est ensuite développé dans le domaine de la psychologie et plusieurs cadres conceptuels ont émergé dont celui de Wehmeyer dans le domaine des troubles d’apprentissage. Selon cet auteur, l’autodétermination se caractérise par « un ensemble d’habiletés et d’attitudes permettant à l’individu d’agir directement sur sa propre vie, en effectuant librement ses choix et n’étant pas influencé par des agents externes imposés » (Wehmeyer, 2007 dans Pelletier & Joussemet, 2019). Parmi ces habiletés et attitudes, on retrouve la capacité à :

  • Résoudre des problèmes
  • Prendre des décisions
  • S’autoévaluer
  • Se valoriser
  • Se fixer des buts et les atteindre
  • Défendre ses droits

Le développement de ces habiletés serait influencé par trois facteurs;

  1. Les capacités individuelles de la personne
  2. Les occasions fournies par l’environnement
  3. Le type de soutien offert à la personne

Ces facteurs seront eux aussi influencés par les perceptions et les croyances de la personne ainsi que son environnement à s’autodéterminer.

Wehmeyer (2003) identifie quatre caractéristiques d’un comportement autodéterminé. Ce dernier doit être;

  1. Autonome, c’est-à-dire que l’individu agit de manière indépendante, selon ses intérêts et ses capacités
  2. Autorégulé, c’est-à-dire que l’individu est en mesure d’analyser ses propres comportements en fonction des composantes d’une situation, des possibilités offertes ainsi que des conséquences anticipées
  3. Avoir un sentiment de contrôle de situation que l’on vit (empowerment psychologique) parce que l’on est en mesure d’anticiper les résultats de nos actions et que l’on se sent en mesure d’accomplir une tâche à la lumière des habiletés que l’on possède
  4. Autoréalisé, c’est-à-dire se connaître et agir en fonction de ses forces et de ses défis

Les facteurs influençant l’autodétermination et les pratiques enseignantes dans la classe numérique

Ces quatre composantes influençant le développement de l’autodétermination peuvent être associées à des pratiques enseignantes à travers la classe numérique.

Perceptions et croyances

Les perceptions et les croyances de l’élève et de l’enseignant sont en lien avec les quatre facteurs qui peuvent influencer l’apparition d’une autodétermination relative.

1. Le sentiment de contrôle sur la tâche

Offrir des choix à l’élève dans ses activités d’apprentissage ou diminuer la dépendance à l’intervenant peut permettre à l’apprenant de développer un sentiment de pouvoir par rapport à ses apprentissages. Cette pratique, associée à l’habileté à prendre des décisions peut être bonifiée à travers la classe numérique. Effectivement, certaines caractéristiques du numérique peuvent permettre à l’élève de diminuer sa dépendance à l’enseignant. Par exemple, on peut enregistrer les consignes pour faire une tâche ou les explications d’une certaine notion, permettant ainsi à l’élève de réécouter à sa guise lorsqu’il identifie une perte de compréhension.

2. Les rétroactions régulières

Selon les recherches d’Hattie, offrir des rétroactions régulières serait un des facteurs influençant le plus la réussite scolaire (Hattie & Anderman, 2020). Les caractéristiques du numérique peuvent permettre à l’enseignant de gagner en efficacité à cet égard. Il y a d’abord les activités offrant une correction automatisée qui permettent à l’apprenant d’avoir une rétroaction rapide et automatique. Le mode collaboratif de certains logiciels ou plateformes permet également à l’enseignant de suivre le travail des élèves en temps réel. L’enseignant peut ainsi offrir une rétroaction écrite ou orale aux apprenants. Finalement, certaines plateformes permettent les rétroactions par les pairs.

3. La relation de confiance entre l’enseignant et l’apprenant

Toujours selon Hattie (2020), cette pratique ou cette condition influencerait la réussite scolaire des apprenants. Certains enseignants sondés[1] dans le cadre de l’écriture de cet article ont mentionné avoir développé davantage de lien avec leurs apprenants dans un contexte de classe numérique. Effectivement, les rencontres individuelles ou en sous-groupes permettent davantage d’intimité. Selon les enseignants questionnés, certains élèves osent davantage poser des questions craignant possiblement moins le jugement des pairs. En lien avec la théorie fonctionnelle de l’autodétermination, la rétroaction pourrait être associée à la capacité à se valoriser.

4. L’identification d’objectifs de travail

Une stratégie efficace identifiée par les enseignants sondés est d’amener les élèves à identifier leurs propres objectifs de travail pour un temps donné, une période d’une heure par exemple. Cette stratégie pourrait être associée à l’habileté à se fixer des buts et les atteindre. Dans le cadre de la classe numérique, l’enseignant peut d’une part possiblement mieux encadrer et soutenir l’élève dans l’acquisition de cette compétence en utilisant, par exemple, les notes en mode collaboratif. L’élève et l’enseignant peuvent donc avoir accès en temps réel aux objectifs de chacun des élèves de la classe. D’une autre part, l’enseignant pourrait choisir d’utiliser les pairs en optant pour des objectifs de travail de classe ou individuels. Dans ce dernier cas de figure, les élèves peuvent donc voir l’avancement des pairs dans la réalisation de leurs activités d’apprentissage.

Bref, les perceptions et les croyances des élèves sur leurs propres capacités à s’autodéterminer comme ceux des acteurs du milieu scolaire vont elles-mêmes influencer le développement des capacités de l’élève, le type de soutien que les élèves pourraient recevoir ainsi que les occasions offertes par l’environnement de s’autodéterminer. Le contexte de la classe numérique ne suffit pas à soutenir le développement de l’autodétermination des élèves. Ce dernier peut néanmoins permettre à l’enseignant de gagner en efficacité et de diversifier ses pratiques à cet égard.

Les capacités individuelles de l’élève

Dans la théorie de Wehmeyer, l’un des facteurs influençant le développement d’un comportement autodéterminé est les capacités individuelles de la personne. Ces dernières vont être influencées par des facteurs inhérents à l’élève comme le QI, mais aussi par les situations d’apprentissage que l’élève vivra ainsi que par son développement personnel. Ces facteurs seront eux-mêmes influencés par les perceptions et croyances de l’élève sur la tâche ainsi que sur ces propres capacités. Dans un contexte scolaire, l’enseignant peut proposer aux élèves des situations d’apprentissage visant le développement de compétences disciplinaires variées. Ces dernières peuvent également contenir des composantes visant le développement de ces habiletés et attitudes associées à un comportement autodéterminer, comme la prise de décision ou la résolution de problème. D’ailleurs, selon Hattie, l’enseignement de stratégies pour la résolution de problème est l’un des facteurs influençant positivement la réussite scolaire.

À cet égard, le contexte de la classe numérique permet d’offrir une variété de situations d’apprentissage permettant ainsi de diversifier les approches didactiques et pédagogiques. Le numérique peut également soutenir l’enseignant de la mise en œuvre de la différenciation pédagogique. Un exemple d’une classe où chaque étudiant a son portfolio d’apprentissage pour les trois matières de base c’est-à-dire français, mathématique et anglais, en fonction des apprentissages à réaliser. Ainsi, aucun élève n’a le même parcours d’apprentissage dans la classe. Si cet exemple peut sembler audacieux, certaines plateformes numériques permettent néanmoins d’offrir du travail personnalisé à un groupe ou à certains élèves qui, par exemple, avancent plus rapidement ou qui ont besoin d’effectuer du travail de consolidation pour certaines notions bien précises.

Les occasions offertes à l’élève

Les occasions offertes à la personne de s’autodéterminer sont le deuxième facteur influençant le développement de comportements autodéterminés. Quand on parle d’occasions de s’autodéterminer, on parle d’abord de l’environnement de l’élève. Est-ce que la famille, l’école, la communauté permet à l’élève de faire des choix pour elle-même? Ainsi, les perceptions et croyances des personnes composant l’environnement ainsi que l’organisation de l’environnement permettront à la personne de s’autodéterminer. Les expériences de vie vécues par la personne influenceront également sa capacité à s’autodéterminer. Par exemple, si la personne a eu très peu d’occasion et de soutien afin de se fixer des buts et les atteindre dans sa vie, les chances de voir apparaître un comportement autodéterminé sont plus minces puisque la personne n’aura pas eu la chance de développer cette habileté.

En ce qui concerne l’environnement, la classe numérique permet à l’élève de s’autodéterminer dans un espace relativement sécuritaire. Effectivement, on peut amener les élèves à effectuer des actions ou prendre des risques. Par exemple, plusieurs enseignants interrogés ont observé que certains élèves osaient davantage poser des questions lors de rencontres virtuelles individuelles, ne craignant possiblement le jugement de leurs pairs.

Le type de soutien offert à l’élève

En ce qui concerne le soutien offert, nous nous concentrerons sur certains exemples offerts par les enseignants ou par les pairs. Toutefois, le soutien peut aussi venir de personnes à l’extérieur du contexte de la classe (famille, amis, intervenants, communauté, etc.).

1. Le soutien offert par l’environnement

Nombreux sont les types de soutien qui peut être offert à la personne par les individus de son environnement. Dans un contexte scolaire, on peut penser au rappel des consignes par l’enseignant par exemple ou l’aide à réaliser certaines tâches. La valorisation des capacités de l’élève, une approche bienveillante ainsi que le renforcement positif sont des exemples de soutien qui peut être offert à l’élève qui pourraient favoriser l’émergence de comportements autodéterminés.

2. Le soutien offert par les outils numériques

Dans un contexte de classe numérique, les exemples de soutien mentionnés précédemment sont aussi valables. Ce qui distingue la classe numérique, c’est la réduction de l’obligation de la présence de l’intervenant. Le soutien peut donc être vécu par l’élève de façon autonome.

À titre d’exemple, les rétroactions peuvent être faites de façon automatique dans le cadre d’activités interactives en ligne. Dans des situations d’apprentissage plus complexes, la rétroaction peut se faire par l’enseignant de façon plus efficace et rapide (ex: rétroactions audio, vidéo, etc.). Ensuite, les outils d’aide en lecture-écriture offrent un soutien non négligeable, surtout pour les élèves allophones ou présentant un trouble du langage oral, écrit ou des troubles d’apprentissage. La synthèse vocale peut permettre à l’élève allophone de savoir comment se prononcent certains mots, sans nécessairement dépendre de l’intervenant pour lui montrer. Elle permet aussi à l’élève de relire son texte, et ainsi s’autocorriger (habileté associée à l’autodétermination). Finalement, le numérique permet un accès à l’information de façon autonome par l’élève. Ce dernier ne pourrait ne pas dépendre de l’enseignant pour répondre à ces questions. Évidemment, cette habileté à aller chercher de l’information s’apprend et l’enseignant et/ou les pairs peuvent soutenir l’élève dans cet apprentissage.

Bref, si les défis soulevés par le contexte complexe ont forcé les acteurs du milieu de l’éducation à s’adapter rapidement, le soutien au développement de l’autodétermination semble une avenue prometteuse pour favoriser l’engagement pour tous les élèves. Certaines stratégies au regard du développement des capacités individuelles par les composantes des situations d’apprentissage, du soutien offert à l’élève ainsi que des occasions qui lui sont offertes, peuvent être mises en place dans un contexte d’enseignement en présentiel ou en distanciel à travers la classe numérique. À cet égard, les caractéristiques de l’environnement numérique peuvent permettre à l’enseignant d’être plus efficace, notamment au regard de la rétroaction et de l’implémentation de la différenciation pédagogique. Cependant, il ne faudrait pas perdre de vue que ce qui influence les trois facteurs favorisant l’émergence d’un comportement autodéterminé sont les perceptions et les croyances des intervenants et de la personne à s’autodéterminer. Les fondements du soutien au développement de l’autodétermination se trouveraient donc à travers les interactions au quotidien qui transcendent le numérique.

[1] Huit enseignants de la formation générale des adultes œuvrant avec des élèves allophones ou francophones, avec ou sans difficulté d’apprentissage, des classes d’alphabétisation, de francisation, du 2e cycle du secondaire (équivalent de la 9e à la 12e année) ainsi que des classes d’intégration sociale (élèves adultes présentant une déficience intellectuelle avec ou sans trouble du spectre autistique) constituent l’échantillon de cette étude.

Références

Hattie, J., & Anderman, E. M. (2020). Visible Learning-Guide to student achievement. Routledge.

Pelletier, J. E., & Joussemet, M. (2019). Le soutien à l’autodétermination des personnes ayant une déficience intellectuelleAutonomy support for people with an intellectual disability. Revue de Psychoéducation, 43(1), 37. https://doi.org/10.7202/1061199ar

Wehmeyer, M. L., Yeager, D., Bolding, N., Agran, M., & Hughes, C. (2003). The Effects of Self-Regulation Strategies on Goal Attainment for Students with Developmental Disabilities in General Education Classrooms. Journal of Developmental and Physical Disabilities, 15(1), 79–91. https://doi.org/10.1023/A:1021408405270

Yailagh, M. S., Abbasi, M., Behrozi, N., & Alipour, S. (2014). Comparisons of Self-Determination among Students with Learning Disabilities and without Learning Disabilities. American Journal of Applied Psychology, 3(2), 27. https://doi.org/10.11648/j.ajap.20140302.11

Détentrice d’un baccalauréat en enseignement de l’univers social au secondaire de l’Université Laval et d’un DESS en adaptation scolaire et sociale à l’Université de Sherbrooke. Étudiante au DESS en Leadership et gestion des établissements scolaires à l’Université de Montréal. Ayant œuvré auprès d’élèves ayant difficultés et des troubles d’apprentissage en tant qu’enseignante et directrice adjointe d’un centre d’éducation des adultes, je m’intéresse au soutien au développement de l’autodétermination des apprenants ainsi qu’à l’intégration du numérique en classe.