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par Kim Lockhart, M.Ed., enseignante d’immersion française
« Le développement du langage oral constitue la base du développement de la lecture. La lecture nécessite des habiletés langagières solides pour comprendre un texte. » Elsa Cardenas-Hagan, Ph. D., 2020, p. 21.
Des décennies de recherche indiquent que les habiletés langagières orales sont au cœur de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Les jeunes enfants qui arrivent à l’école avec des habiletés langagières bien ancrées ont plus de facilité à apprendre à lire, tandis que les enfants qui ont des défis à écouter et à parler ont tendance à avoir plus de difficultés à apprendre à lire et à écrire (National Early Literacy Panel Report, 2010; Petscher et coll., 2018). Les habiletés langagières orales peuvent être décrites comme suit : c’est l’habileté à comprendre et à utiliser efficacement le langage parlé, et les sous-ensembles d’habiletés langagières orales comprennent la connaissance de la phonologie, de la grammaire, de la morphologie, du vocabulaire, du discours et de la pragmatique (Archibald, L. 2022). Le développement du langage oral commence généralement à la maison avantl’entrée à l’école. Grâce aux conversations, aux lectures et à l’exposition aux mots oraux, la plupart des enfants apprennent à parler et à comprendre le langage oral dans leur environnement familial avant que l’enseignement formel de la lecture et de l’écriture ne commence à l’école.
Résumé de la recherche :
Le panneau intiulé The National Early Literacy Panel (2008) affirme que la capacité à comprendre le langage oral et à le produire est l’un des premiers indicateurs de réussite en littératie. Une étude plus récente a montré que le langage en bas âge est un facteur prédictif de la compréhension ultérieure de la lecture (Hjetland et coll., 2020). De nombreux modèles et cadres de lecture et d’écriture intègrent la compréhension du langage oral, notamment l’outil populaire « Literacy How Reading wheel », conçue par la spécialiste du langage et de la littératie Margie Gillis (2000) qui place à juste titre le langage oral au centre de la roue; tous les autres aspects de la lecture et de l’écriture émanant de ce centre.
Légende : L’outil, Literacy How Reading Wheel, conçu par Margie Gillis et Nancy Eberhardt (2020), décrit les composantes essentielles d’un enseignement complet de la lecture et de l’écriture. Elle place le langage oral – parler et écouter – au centre de la roue et à la base de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Le langage oral dans les programmes de langue seconde
Les élèves des programmes de Français langue seconde (FLS) ou d’Actualisation linguistique en français (ALF), tels que l’immersion en français, n’entrent pas à l’école avec les habiletés de base en français oral que possèdent leurs camarades monolingues anglophones qui entrent à l’école en utilisant la même langue d’instruction que celle parlée à la maison. Les élèves monolingues sont capables de comprendre les instructions de l’enseignante, de suivre des instructions verbales simples et peuvent généralement exprimer à l’oral leurs pensées et leurs sentiments. En outre, les élèves des programmes monolingues arrivent à l’école avec une banque de mots de vocabulaire qu’ils peuvent utiliser pour comprendre le langage oral (p. ex., Walk, door, pour socialiser et s’engager avec leurs pairs (p. ex., Can I have that toy please?) et pour comprendre les histoires qui leur sont lues à voix haute. En revanche, lorsqu’ils viennent à l’école, les élèves faisant partie du programme bilingue d’immersion en français ne sont pas en mesure de comprendre des instructions simples dans cette langue seconde (p. ex., Mets ton manteau! Va à la porte!). Ils n’ont pas non plus le vocabulaire nécessaire pour exprimer leurs besoins en français (p. ex., J’ai envie; J’ai besoin d’aller aux toilettes; J’ai besoin d’un pansement.) ou leurs désirs (p. ex., Je veux un verre d’eau; Je veux un livre de dinosaures.). Autrement dit, les élèves en immersion en français ont besoin d’un niveau d’instruction de base supplémentaire : un environnement immersif en français qui utilise l’enseignement explicite pour établir une base solide d’habiletés en langage oral nécessaires au développement ultérieur des aptitudes à lire et à écrire.
De plus en plus de recherches indiquent que l’enseignement précoce du langage oral est essentiel pour les apprenants bilingues et multilingues. Le guide intitulé Defining Guide (2022) de la ligue Reading League indique que les apprenants multilingues « bénéficient des pratiques dérivées de la science de la lecture. Tous les lecteurs compétents doivent maîtriser les mêmes concepts pour apprendre à lire. Toutefois, il est important d’accorder une attention particulière aux élèves présentant des différences langagières pour ce qui est du développement du langage oral ». (The Reading League, Defining Guide, 2022. p. 24) Dans son livre « Literacy Foundations for English Learners » (2020), la chercheuse, auteure et experte en littératie Elsa Cardenas-Hagan affirme que les apprenants multilingues « bénéficient d’un enseignement de la lecture qui inclut la conscience phonémique, la phonétique, la fluidité, le vocabulaire et la compréhension de texte. Des adaptations sont toutefois nécessaires. L’une des adaptations principales consiste à mettre l’accent sur la maîtrise du langage oral, qui est souvent négligé pendant l’enseignement. » (Cardenas-Hagan, 2000, p. 38)
Cet article traite de la nécessité d’un enseignement explicite et systématique du langage oral dans le programme d’immersion en français, dans les classes de tous les niveaux, afin d’améliorer les résultats en littératie des apprenants de FLS ou ALF. Accompagné d’une vidéo, cet article définit les habiletés langagières orales, telles que l’articulation des sons du langage, le vocabulaire du domaine scolaire, les connaissances de base et la syntaxe, ainsi que des stratégies de mise en œuvre fondées sur des preuves qui touchent un plus grand nombre d’apprenants et garantissent qu’un plus grand nombre d’élèves acquièrent les habiletés de base nécessaires pour être à la fois bilingues et bialphabètes.
Développement du langage oral pendant la petite enfance et à la maternelle
Le développement du langage oral commence très tôt chez les enfants, dès les premières années de leur vie, lorsqu’ils commencent à réagir aux sons (p. ex., un chien qui aboie) et aux mots (p. ex., lait) de leur environnement. En général, les enfants peuvent comprendre des mots et y réagir (p. ex., ramasser le crayon) avant d’être capables d’utiliser ces mots correctement dans une phrase de leur propre chef (p. ex., je peux ramasser le crayon). Dans le contexte de la classe de FLS ou ALF, les habiletés langagières réceptives des élèves, c’est-à-dire leur capacité à comprendre le langage oral (p. ex., Va sur le tapis.), peuvent également se développer plus rapidement que leurs habiletés langagières expressives, c’est-à-dire leur capacité à utiliser des mots et des phrases verbalement, en contexte (p. ex., Je vais sur le tapis.). Pendant que les élèves développent leurs habiletés langagières réceptives et expressives, ils doivent également apprendre que les sons sont les éléments constitutifs de tout langage oral, y compris en français et en anglais, et que lorsque les sons sont fusionnés ensemble, ils produisent des mots, des phrases et des histoires. Cet aspect du langage est surnommé la phonologie, et c’est l’une des habiletés de base du langage et de la littératie nécessaires pour apprendre à lire, à orthographier et à écrire.
Dès la maternelle, les élèves en immersion française doivent apprendre que les mots sont composés de sons individuels. Dans le cadre d’un enseignement explicite et modélisé, l’enseignante propose un mot simple et familier, comme “mal”. L’enseignante dit à la classe :
ENSEIGNANTE : Dites "mal.”
Élèves : Mal (L’enseignante écoute très attentivement pour s’assurer que la prononciation est bonne et que les élèves ne disent pas accidentellement nal ou quelque chose d’autre que le mot voulu.)
ENSEIGNANTE : Le premier son dans le mot "mal” est /m/. Pouvez-vous dire /m/ avec moi?
Élèves : /m/
ENSEIGNANTE : C’est exact! Le premier son dans “mal” est /m/. /m/ est un son qui s’étire! On peut le maintenir pendant plusieurs secondes et l’étirer comme de la gomme à bulles. Regardez-moi. (L’enseignante maintient le son /m/ pendant 5 à 6 secondes tout en faisant semblant d’étirer une gomme à bulles imaginaire sur sa poitrine.) Maintenant, dites-le son /m/ et étirez-le avec moi.
Élèves : /mmmmmmmm/ (Les élèves maintiennent le son en faisant semblant d’étirer une gomme à bulles sur leur poitrine.)
ENSEIGNANTE : Bravo!
Cette routine devrait être répétée quotidiennement, avec toute la classe, en utilisant des mots familiers et de nouveaux mots. Les mots qui commencent par des sons continus, ou les sons « étirés comme de la gomme à mâcher », peuvent être accompagnés du geste de la main qui étire une gomme à mâcher imaginaire (p. ex., s, f, m, l, ch). Les mots qui commencent par des sons occlusifs (p. ex., b, d, k, p, t) peuvent être accompagnés d’un geste de la main plate levée indiquant l’occlusion.
Une prolongation de cette activité consiste à demander aux élèves d’observer ce que font leur bouche, leurs lèvres, leurs dents et leur langue lorsqu’ils articulent un son de parole particulier, tel que /m/. Pendant les années de la pandémie de la Covid-19, les élèves ont porté des masques dans les salles de classe et n’ont pas pu observer la position de la bouche de leurs enseignants. Par conséquent, certains élèves ont plus de difficultés à articuler des sons particuliers, notamment ceux qui ne sont pas familiers dans la langue anglaise (p. ex., /on, in, an/, /r/ en français).
Vous pouvez aider à corriger des erreurs simples (telles que /m/ par rapport à /n/) en montrant aux élèves la position de votre bouche, en décrivant la position des lèvres, des dents et de la langue et en demandant aux élèves de vous imiter lorsqu’ils se regardent dans le miroir. Par exemple, l’enseignante peut dire :
ENSEIGNANTE : Quand je dis le son /m/, mes lèvres sont serrées l’une contre l’autre. Vous voyez comme mes lèvres sont serrées l’une contre l’autre comme dans un sourire? On ne voit pas mes dents ni ma langue. Regardez-vous dans votre miroir et voyez si vous pouvez vous aussi serrer les lèvres en disant le son /m/!
ÉLÈVES : (Les élèves se regardent dans leur miroir à main et imitent le son et la position de la bouche.)
Outre l’identification des premiers sons, un autre sous-ensemble d’habiletés essentielles en phonologie est la segmentation des mots. Les élèves doivent apprendre que les mots oraux (p. ex., bateau) peuvent être segmentés en sons individuels, ou phonèmes. Une activité amusante qui est préconisée à la maternelle est le « découpage de mots ». La routine commence par un enseignement explicite, modélisé par l’enseignante, pendant que les élèves écoutent. L’enseignante prononce un mot, le segmente en phonèmes et les élèves répètent le mot et ses sons, en même temps que l’enseignante. Si des erreurs sont commises, l’enseignante donne immédiatement une rétroaction corrective à l’ensemble de la classe, sans isoler un seul enfant. La répétition est essentielle pour certains, mais bénéfique pour tous!
ENSEIGNANTE : Dites le mot « bateau ».
Élèves : Bateau (L’enseignante écoute pour s’assurer que le mot est bien prononcé.)
ENSEIGNANTE : Regardez-moi : /b/…/a/…/t/…/o/ (À chaque son, elle frappe avec le tranchant d’une main la paume de l’autre main, comme si elle découpait le mot en partie). Faites-le avec moi!
Élèves : /b/…/a/…/t/…/o/.
ENSEIGNANTE : Bravo! Qui voudrait essayer de découper ce mot tout seul? (L’enseignante choisit un élève volontaire; en cas d’erreur, l’enseignante montre la BONNE façon de le faire et demande à l’élève de recommencer jusqu’à ce qu’il réussisse à le faire correctement. Lorsque l’élève réussit, l’enseignante l’applaudit en silence!)
Légende : Mme Lockhart montre comment segmenter, ou « découper » les mots en sons individuels à des élèves de la maternelle en immersion française.
Le chant est une autre stratégie qui peut améliorer les habiletés langagières orales des élèves lorsqu’il est utilisé dans le cadre d’un enseignement explicite et dirigé par l’enseignante. Une étude récente a montré que le fait de chanter quotidiennement avec de jeunes apprenants d’une langue seconde améliorait leur connaissance réceptive du vocabulaire (Coyle et Gómez Gracia, 2014). Une autre étude a révélé que les chansons peuvent être efficaces pour développer le vocabulaire réceptif des élèves, améliorer leur articulation des mots, leur aisance à l’oral et leur motivation à apprendre une nouvelle langue (Davis, 2017). Dans la classe de maternelle, les élèves attendent avec impatience la répétition quotidienne de chansons familières, comme la chanson Tête, épaules, genoux, orteilles, surtout lorsqu’elles sont accompagnées d’actions et de gestes. La série « Envol en littératie » des éditeurs Scholastic Canada contient d’excellentes chansons sur une clé USB, ainsi que des marionnettes, des affiches et un livre avec les paroles des chansons. Il est important de ne pas oublier d’enseigner à l’avance le nouveau vocabulaire (p. ex., la pluie) et de le réviser régulièrement pour les élèves qui ont besoin de plus de répétitions du mot avant qu’il ne s’incruste dans leurs systèmes de langage réceptif et expressif.
Légende : Mme Lockhart chante la chanson « Lave les mains », en enseignant le vocabulaire avant de chanter et en utilisant des gestes pendant la chanson pour renforcer le développement du vocabulaire, avec des élèves de la maternelle en immersion en français.
Développement du langage oral chez les élèves de la 1re à la 3e année
Lorsque les élèves terminent lee jardin d’enfants du programme d’immersion en français, ils devraient connaître entre 3 000 et 4 000 mots et continuer à ajouter des milliers de mots à leur vocabulaire chaque année par la suite (Biemiller, 2010). Pour s’assurer que les élèves continuent d’évoluer dans un environnement riche en langage, l’enseignement explicite du vocabulaire est essentiel dans toutes les classes du primaire et dans toutes les matières. La lecture à voix haute est l’une des stratégies pédagogiques les plus efficaces pour enrichir le vocabulaire des élèves. Ces types de lecture sont une composante importante du programme quotidien de littératie parce qu’elles favorisent le développement du vocabulaire et permettent de générer des conversations significatives sur le vocabulaire dans son contexte (al Otaiba, 2004). Selon les recherches, il est conseillé d’enseigner deux à trois nouveaux mots avant une lecture à voix haute dans le cadre d’une leçon de sciences ou d’études sociales de la 1re à la 3e année du primaire (Cabell et Zucker, 2024). Cabell et Zucker (2024) notent également qu’il est important d’enseigner des mots propres au contenu pour développer les connaissances des élèves sur le contenu, ce qui est nécessaire pour réussir la compréhension de la lecture, en particulier dans les classes des niveaux supérieurs.
Dans une leçon d’études sociales de 1re année sur les rôles et les responsabilités des membres de la collectivité, l’enseignante peut vouloir enseigner au préalable des mots de vocabulaire importants et propres au contenu, tels que « voisinage », « caserne de pompiers » et « bibliothèque », avant de lire à voix haute un livre sur le même sujet (p. ex., Benjamin et son voisinage). Pendant la phase de pré-enseignement, il est important que l’enseignante prononce le nouveau mot de vocabulaire et que les élèves le répètent. Le fait de répéter le mot permet de faire passer le nouveau mot de vocabulaire du centre du langage réceptif au centre du langage expressif du cerveau. En outre, les apprenants d’une langue seconde ont besoin d’associer le mot oral (p. ex., pompier) à sa représentation visuelle (p. ex., une personne vêtue d’un uniforme traditionnel de pompier). Il est important de s’arrêter sur ces nouveaux mots pendant la lecture à voix haute et de se reporter rapidement au rappel visuel lié au mot oral pour s’assurer de la compréhension. Les apprenants d’une langue seconde font deux fois plus d’efforts que leurs camarades monolingues pour comprendre une histoire. Les appuis visuels, les occasions de répétition et de révision après la lecture à voix haute sont donc essentielles pour aider ces nouveaux mots à s’inscrire dans leur lexique, ou leur dictionnaire mental, en vue d’une utilisation future en lecture et en écriture.
Les chercheurs et auteurs Cabell et Zucker (2024) affirment que les élèves apprennent mieux lorsqu’ils sont engagés dans des conversations importantes après une lecture à voix haute. La planification avancée de questions ouvertes qui ne se prêtent pas à une réponse par oui ou par non, mais qui encouragent plutôt des réponses plus complexes, plus longues et plus élaborées, peut contribuer à améliorer considérablement les habiletés langagières orales des élèves : « lorsque vous posez des questions qui sont difficiles pour les élèves, cela vous donne l’occasion d’étayer et de guider l’apprentissage. Combiner ces types de soutien à la compréhension du langage avec l’enseignement du vocabulaire semble être le moyen le plus efficace de garantir des résultats positifs en matière de lecture. » (Silverman et coll., 2020, tel que cité dans Cabell et Zucker, 2024, p. 102) Au cours d’une leçon d’études sociales portant sur les membres de la collectivité et leurs responsabilités, l’enseignante peut faire participer les élèves aux conversations de type « tournez et parlez », un cadre fondé sur des données probantes qui permet de faire parler plus d’enfants sur un sujet précis. Un modèle « Tournez et parlez » est disponible ici : https://docs.google.com/document/d/1u1FJmk4vfAGkrQlFDunUJg8sBVQjlCMYVmHxNkxU1pY/edit?usp=sharing
Légende : Mme Carlone engage les élèves dans un «tournez et parlez » pendant une leçon d'études sociales.
Développement du langage oral chez les élèves de la 4e à la 8e année
Le développement du langage oral peut sembler très différent entre la 4e et la 8e année, mais il est tout aussi important dans les classes des niveaux supérieurs que durant les classes des niveaux inférieurs! Le chant peut être remplacé par la récitation de poèmes, ou les exercices d’articulation ou de phonétique peuvent être remplacés par des exercices de lecture avec un partenaire. Il ne faut pas oublié cependant que les apprenants d’une langue seconde ont toujours besoin d’un enseignement explicite, dirigé par l’enseignante, avec des occasions quotidiennes de répétitions et de révision répétées, dans toutes les matières. Dans les classes des niveaux supérieurs, le vocabulaire devient plus complexe, les termes deviennent plus techniques et les exigences scolaires de l’apprentissage requièrent un plus grand degré de connaissances de base que dans les classes des niveaux inférieurs. La connaissance du vocabulaire peut avoir des répercussions importantes sur la capacité des élèves à comprendre des concepts dans d’autres matières. Par exemple, si un élève ne comprend pas l’expression « angle aigu » en mathématiques, il risque de mal étiqueter un triangle. Toutefois, si l’enseignante commence son cours de géométrie en présentant d’abord des mots de vocabulaire nouveaux et importants qui sont essentiels à l’apprentissage d’un nouveau concept, tel que la mesure des angles, les compétences en mathématiques des élèves ne seront pas amoindries en raison de leur faiblesse en littératie. En mathématiques de 5e année, l’enseignante commence son cours en expliquant les quatre types de triangles : acutangle, isocèle, équilatéral et scalène. Elle dessine une représentation visuelle de chaque triangle, l’étiquette, le décrit et demande aux élèves de répéter les noms de chaque triangle lorsqu’elle les indique au tableau pour aider à faire passer les nouveaux mots de leur vocabulaire réceptif à leur vocabulaire expressif. Ensuite, elle demande aux élèves de dessiner un triangle, puis, avec un partenaire ou en équipe de deux, de comparer les triangles qu’ils ont chacun dessinés, en utilisant les nouveaux termes (p. ex., angle aigu, angle droit). Le lendemain, l’enseignante passe en revue le nouveau vocabulaire, demande aux élèves de répéter les mots et les fait participer à des discussions pertinentes pour comparer d’autres triangles et leurs caractéristiques. Selon Neuman et coll. (2021), enseigner le vocabulaire de cette manière, par catégories et dans un contexte, permet aux enfants de créer des réseaux de connaissances plus cohérents et se prête à une réflexion de plus haut niveau. Par exemple, au lieu de se demander que signifie « acutangle », les élèves peuvent commencer à se demander s’ils peuvent trouver le périmètre et l’aire d’un acutangle de la même manière qu’ils peuvent trouver le périmètre et l’aire d’un triangle équilatéral.
Le vocabulaire est au langage oral comme la morphologie est au vocabulaire! Tous deux sont des éléments constitutifs sur lesquels l’autre repose. La morphologie est l’étude des plus petites unités de sens contenues dans les mots; ces petites parties importantes des mots s’appellent des morphèmes (Bloom et Lahey, 1978). La reconnaissance des morphèmes peut être très utile pour déterminer le sens des mots dans une nouvelle langue, car la reconnaissance des plus petites unités importantes à l’intérieur des mots permet au lecteur de mieux comprendre les mots lorsqu’il les entend et éventuellement lorsqu’il les lit (Cardenas-Hagan, 2020). Bien que l’enseignement de la morphologie soit important dans les classes de tous les niveaux, il doit faire l’objet d’une attention particulière dans les classes des niveaux supérieurs, car les élèves découvrent des mots plus complexes et moins familiers dans les textes. L’enseignement explicite des parties importantes des mots, y compris les préfixes, les suffixes et les mots de base, permettront aux élèves de comprendre les mots dans les textes et, en fin de compte, d’utiliser de nouveaux mots dans leurs écrits. La morphologie joue un rôle important dans la compréhension de nouveaux mots et dans l’enrichissement du vocabulaire, en particulier dans le contexte des mathématiques et des sciences. Par exemple, le préfixe « tri » (p. ex., comme dans le mot « triangle » signifie « trois »; un triangle est donc un polygone à trois angles. Tous les élèves ne peuvent pas « découvrir » cela par eux-mêmes, de sorte qu’un enseignement explicite des morphèmes dans les domaines des mathématiques et des sciences permettra aux élèves d’obtenir des résultats d’apprentissage plus équitables. Une fois que les élèves ont appris les parties importantes des mots, ils peuvent commencer à appliquer ces connaissances à d’autres mots contenant le même morphème, tels que « tridimensionnel » et « trimoléculaire ». Dans les classes des niveaux supérieurs, les élèves peuvent devenir des « détectives de la morphologie » et utiliser leur connaissance des morphèmes pour enrichir leur banque de mots de vocabulaire d’une manière amusante et intéressante.
Légende : Pendant le cours de géométrie, Mme Frappier s'assure que les élèves ont bien compris les instructions, les corrige immédiatement si nécessaire et les invite à partager leurs connaissances avec la classe.
Conclusion :
En conclusion, les habiletés langagières orales sont essentielles pour la maîtrise ultérieure de la lecture et de l’écriture et sont particulièrement essentielles lorsque l’on considère les niveaux d’enseignement dans les programmes d’immersion précoce en français. Des décennies de recherche indiquent que les élèves possédant des habiletés langagières orales solides ont moins de difficultés à apprendre à lire et à écrire que les élèves possédant de faibles habiletés langagières orales. Mme Pamela Snow (2000) compare les habiletés de base en langage oral nécessaires à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture à la fondation sur laquelle la structure d’une maison est bâtie. Une fondation solide est nécessaire pour soutenir les piliers; une fondation faible peut entraîner une instabilité ultérieure.
Il va sans dire que lorsqu’une maison est construite, ce ne sont pas les murs ni le toit qui sont bâtis en premier. La construction d’une maison commence par la fondation, mais plus fondamentalement encore, par le sol sur lequel la fondation sera posée. Le principe de base du langage oral comme fondement de la lecture et de l’écriture stipule que le développement des habiletés langagières orales (réceptives et expressives) des enfants et, plus tard, de leurs habiletés en lecture, en écriture et en orthographe, s’apparente à la construction d’une maison, en ce sens que les deux nécessitent une fondation solide et une attention particulière à l’intégrité structurelle et à l’interconnexion des parties constituantes (Snow, P., 2000).
En tant qu’enseignants en français langue seconde, nous pouvons aider nos élèves à développer et à consolider les habiletés de base essentielles en langage oral dont ils ont besoin pour être bilingues et bialphabètes au moment où ils obtiendront leur diplôme. Il est important de commencer l’enseignement du langage oral dès la maternelle, en mettant l’accent sur le développement du langage réceptif et expressif, de la phonologie et de la fluidité de l’expression orale par le biais d’un enseignement explicite, de chants et d’une rétroaction corrective immédiate, jusqu’aux cycles moyen et intermédiaire, en mettant l’accent sur l’enseignement des unités morphologiques et sur le développement d’un vocabulaire scolaire propre aux sciences, aux études sociales et aux mathématiques. De petits changements dans notre enseignement quotidien du langage et de la littératie peuvent avoir des répercussions importantes sur les résultats d’apprentissage des élèves, sur leur motivation à participer et à apprendre, ainsi que sur leur capacité à se considérer comme des membres à part entière de la société bilingues et bialphabètes.
Références
Al Otaiba, S. (2004). Weaving moral elements and research-based reading practices in inclusive classrooms using shared book reading techniques. Early Child Development and Care, 174(6), 575-589.
Archibald, L. 2022. https://www.ldatschool.ca/supporting-oral-language-in-the-classroom/
Biemiller, A. (2010). Words Worth Teaching: Closing the vocabulary gap. McGraw-Hill SR.
Bloom, L., & Lahey, M. (1977). Planning a first lexicon: Which words to teach first. Journal of Speech and Hearing Disorders, 42(3), 340-350.
Zucker, T., & Cabell, S.Q. (2024). Strive-for-Five conversations: A Framework that gets kids talking to accelerate their language comprehension & literacy. Scholastic.
Cardenas-Hagan, E. (2020). Literacy Foundations for English Learners: A Comprehensive Guide to Evidence-based Instruction. Paul H. Brookes Publishing Co.
Coyle, Y., & Gómez Gracia, R. (2014). Using songs to enhance L2 vocabulary acquisition in preschool children. ELT Journal, 68(3), 276-285. http://doi.org/10.1093/elt/ccu015
Davis, G.M. (2017). Songs in the young learner classroom: A critical review of evidence. ELT Journal. https://doi.org/10.1093/elt/ccw097
Gillis, M. and Eberhardt, N. (2020). Literacy how reading wheel. Literacy How. http://literacyhow.org/literacy-how-reading-wheel/
Hjetland,H. N.m Brinchmann, E.I.m Scherer, R., Hulme, C. (2020). Preschool pathways to reading comprehension: A systematic meta-analytic review, 30, 100323. https://doi.org/10.1016/j.edurev.2020.100323
National Early Literacy Panel (US). (2008). Developing early literacy: Report of the National Early Literacy Panel: A scientific synthesis of early literacy development and implications for intervention. National Institute for Literacy.
National Reading Panel Report. (2010).
Petscher, Y., Justice,L. M. & Hogan, T. (2018). Modeling the early language trajectory of language development when the measures change and its relation to poor reading comprehension. Child Development, 89(6), 2136-2156.
The Reading League. (2022). Science of Reading: Defining Guide. https://www.thereadingleague.org/what-is-thescience-of-reading/
Silverman, R.D., Johnson, E., Keane, K., & Kahanna, S. (2020). Beyond decoding: A meta-analysis of the effects of language comprehension interventions on K-5 students’ language and literacy outcomes. Reading Research Quarterly, 55.
Pamela Snow/ The Snow Report. (2000). http://pamelasnow.blogspot.com
Kim Lockhart est enseignante en immersion française dans une école publique de Kingston (Ontario). Elle enseigne la littératie au cycle préparatoire et intervient en orthopédagogie de la lecture en français avec les élèves de la 1re à la 6e année. Elle est titulaire d’une maîtrise en éducation (M.Ed) de l’université Queen’s. En outre, elle a adopté une approche d’enseignement de la lecture et de l’écriture fondée sur des données probantes dans le cadre de son programme d’immersion française. Au cours de la dernière année scolaire, elle a contribué à l’enrichissement du contenu publié par une équipe d’experts en lecture en vue d’harmoniser le nouveau curriculum de littératie du ministère de l’Ontario avec les recommandations de la Commission ontarienne des droits de la personne publiées dans le document intitulé « Le droit de lire ». Mme Lockhart est une membre active du conseil d’administration de l’International Dyslexia Association of Ontario et formatrice en littératie dans le cadre du cours « Introduction to Structured Literacy ». Elle organise fréquemment des webinaires à l’intention des parents, des parents-substituts et des professionnels de l’enseignement partout au Canada.
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