Ian Matheson et Jeffrey MacCormack
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Ayant à composer avec une charge de travail très exigeante, les professionnels de l’enseignement peuvent avoir de la difficulté à se tenir au fait des recherches qui concernent leurs élèves. Il semble que le discours scientifique s’enrichit chaque année d’un nouveau terme à mesure que s’approfondit la compréhension du cerveau humain.
La recherche dans le domaine des sciences cognitives et neurologiques fait évoluer notre compréhension des troubles d’apprentissage (TA). Auparavant définis comme une « incapacité inexpliquée à apprendre », nombre de professionnels pensent désormais que les TA découleraient entre autres d’un déficit touchant un ou plusieurs aspects de ce que nous appelons les fonctions exécutives (Rosenzweig, Krawec et Montague, 2011).
La réflexion volontaire est contrôlée par les fonctions exécutives.
Ce concept ne vous est peut-être pas étranger et vous croyez peut-être en avoir une bonne compréhension. On l’utilise plus souvent en contexte scolaire pour décrire les difficultés particulières que vivent les élèves ayant des TA. Le problème est que les spécialistes de la cognition ne s’entendent pas sur la nature exacte des fonctions exécutives (Goldstein, Naglieri, Princiotta et Otero, 2014). Le présent article explore certaines fonctions exécutives en faisant un résumé des définitions les plus courantes, étoffées par des exemples.
Comprendre les fonctions exécutives
En général, on emploie le mot exécutif pour parler d’un poste de supervision ou de gestion. Le mot fonction renvoie à une notion d’action. Le terme fonctions exécutives désigne, au sens large, les actions que nous posons pour gérer notre comportement.
Les fonctions exécutives englobent plusieurs activités de gestion, dont la planification, l’autorégulation et l’auto-observation. Ces tâches exigent un effort mental, en comparaison de gestes plus automatiques que nous exécutons sans trop réfléchir. Pensons par exemple à l’effort mental à fournir pour planifier une liste d’épicerie en vue d'une escapade en famille d’une semaine, comparativement à l’effort requis pour se rendre en voiture à l’épicerie habituelle. Pour faire la liste d’épicerie, il faut tenir compte des articles dont on dispose déjà, des mets à préparer et des articles nécessaires. Pour la personne qui conduit chaque jour, le trajet en voiture à une destination courante peut sembler automatique et sans effort.
Chaque fois que nous apprenons quelque chose, nous utilisons un système cognitif qu’on appelle la mémoire de travail. L’information provenant du monde extérieur entre dans ce système théorique et est catégorisée avant d’être traitée et intégrée à nos autres connaissances du monde (ce que nous appelons la mémoire à long terme). Dans ce système, une composante active appelée administrateur central est responsable de trois fonctions principales : la flexibilité mentale (shifting), la sélection et l’actualisation (updating). On considère que ces trois fonctions exécutives jouent un rôle essentiel dans l’apprentissage de diverses matières et que la personne qui présente une déficience liée à l’une ou à plusieurs de ces fonctions est donc défavorisée par rapport à ses pairs sur le plan de l’apprentissage.
Cliquer ici pour consulter l’article de TA@l’école : La mémoire de travail et la charge cognitive.
La flexibilité mentale définit notre capacité de passer d’une stratégie, d’un élément d’information ou d’une tâche à une autre, de porter son attention sur l’élément le plus pertinent. La sélection renvoie aussi à la notion d’inhibition, soit la capacité de résister à l’interférence de données ou de réponses moins pertinentes pour se concentrer sur l’information essentielle. L’actualisation est une fonction qui permet d’intégrer de nouveaux éléments d’information en vue de modifier, d’enrichir ou de remplacer nos connaissances existantes. Chacune de ces fonctions exige un effort mental et est utilisée de différentes façons par les élèves (et nous-mêmes) durant l’apprentissage.
Quand (et comment) nous les utilisons
Les fonctions exécutives — flexibilité mentale, inhibition et actualisation — soutiennent l’apprentissage dans toutes les matières. Pour illustrer chacune d’elles, voyons comment elles se manifestent en contexte scolaire.
Dans un cours de mathématiques, Ava travaille à un problème de Sudoku, un jeu de logique fondé sur une grille de nombres. Sa stratégie initiale consiste à résoudre chacun des neuf carrés en s’aidant des chiffres déjà inscrits dans les cases. Elle vient de placer un chiffre correctement et l’a vérifié, mais elle se sent maintenant bloquée. Elle n’arrive pas à trouver les nombres manquants autour du premier qu’elle a inscrit à partir de l’information dont elle dispose déjà. Elle déplace son attention vers un autre coin de la grille et modifie sa stratégie pour regarder les lignes horizontales et verticales de la grille afin de trouver les chiffres manquants.
Ryan s’apprête à écrire un article d’opinion pour un cours de langue. Son style habituel consiste en un modèle à trois paragraphes; dans chaque paragraphe, il reprend la question, explique son opinion et inclut trois arguments. Au dernier paragraphe, il donne une conclusion qui fait écho à l’introduction. Lors de l’activité de rétroaction en grand groupe, ses pairs lui ont fait remarquer que son style d’écriture est mécanique et rigide. Se remémorant les commentaires reçus, Ryan résiste à la tentation d’utiliser son style habituel et commence plutôt sa production avec une anecdote relatant les effets du manque de sommeil sur un élève.
Austin est en train de lire un passage d’un texte qui décrit les effets du soleil sur notre planète. Il arrive au sous-titre « Pourquoi le ciel est-il bleu? », s’arrête et pense que l’eau de la planète se réfléchit et donne au ciel sa couleur bleue. Poursuivant sa lecture, il apprend que la lumière du soleil est composée d’un spectre de couleurs et que les molécules dispersent la lumière bleue plus que les autres couleurs, ce qui explique pourquoi le ciel a cette belle teinte bleue. Pendant qu’Austin apprend cette nouvelle information, il actualise ses connaissances et a très hâte de pouvoir en parler à sa grand-mère lorsqu’il arrivera à la maison.
Les difficultés liées aux fonctions exécutives peuvent avoir un impact sur le rendement des élèves ayant des TA.
Recherche sur les fonctions exécutives
Selon les études réalisées sur les fonctions exécutives, les élèves ayant des TA peuvent avoir des déficits liés au système de la mémoire de travail, ainsi qu’aux fonctions exécutives (Rosenzweig, Krawec et Montague, 2011). Ainsi, les élèves ayant des TA peuvent avoir de la difficulté à réaliser certaines tâches, dont la planification, l’autorégulation et l’auto-observation. De plus, les troubles du fonctionnement exécutif pourraient inclure des difficultés touchant la flexibilité mentale, l’inhibition et l’actualisation, qui sont des fonctions essentielles pour l’apprentissage.
En lien aux matières scolaires, la recherche sur la lecture confirme l’importance des fonctions exécutives en compréhension de texte (Denckla et coll., 2013), domaine où les capacités d’inhibition et d’actualisation semblent jouer un rôle clé (Arrington, Kulesz, Francis, Fletcher et Barnes, 2014). Il ressort notamment que la fonction d’actualisation est un facteur prédictif à la fois du niveau de lecture futur (Gathercole, Alloway, Willis et Adams, 2006) et des difficultés en mathématiques (Toll, Van der Ven, Kroesbergen et Van Luit, 2011).
Dans la dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, cinquième édition (DSM-5; American Psychiatric Association, 2013), on se sert des matières scolaires principales pour définir les types de troubles d’apprentissage en fonction des domaines dans lesquels les difficultés se manifestent. On peut ainsi établir qu’un élève a un trouble d’apprentissage spécifique en lecture, en écriture ou en mathématiques, ou dans plusieurs de ces matières.
Ce qu’il faut retenir, c’est que nous sollicitions nos fonctions exécutives lorsque nos actions sont moins automatiques et exigent un effort mental plus grand. Ainsi, se rendre à l’épicerie du coin en voiture nécessite un certain effort mental, mais pas autant que lorsqu’il faut planifier une liste d’épicerie. Par ailleurs, l’élève doit fournir un certain effort mental pour rédiger un article d’opinion en utilisant son style habituel, mais pas autant que s’il utilise une nouvelle stratégie et une nouvelle technique d’organisation. Il faut voir l’effort et l’automaticité comme les deux extrémités d’un spectre. Plus l’effort mental à fournir est grand, plus on fait appel aux fonctions exécutives pour guider le comportement. Pour les élèves ayant des TA, des écueils inattendus en apprentissage peuvent être attribuables à des troubles du fonctionnement exécutif.
Répercussions des fonctions exécutives pour les TA
La recherche sur les fonctions exécutives et les TA mène à deux types de constats, soit qu’il est préférable de modifier certaines pratiques d’enseignement et d’adapter la façon de voir les TA.
Le personnel enseignant a accès à plusieurs stratégies pour aider les élèves qui éprouvent des difficultés liées au fonctionnement exécutif, notamment les élèves ayant des TA. Voici quelques-unes de ces stratégies :
- Pour l’élève dont les difficultés touchent la flexibilité mentale, l’enseignante ou l’enseignant peut envisager de fournir un incitatif à adopter d’autres habitudes. En mathématiques, il pourrait s’agir d’une feuille plastifiée sur laquelle l’élève a inscrit différentes stratégies de résolution de problème et les avantages de chacune. En lecture, ce pourrait être une liste de stratégies de lecture que l’élève peut utiliser dès qu’il se sent bloqué dans la compréhension du texte. Amener l’élève à prendre l’habitude de consulter sa feuille l’encouragera à s’arrêter pour choisir la stratégie qui convient le mieux à la situation. De plus, il n’aura pas à chercher dans sa mémoire les stratégies qu’il connaît déjà, une tâche qui peut exiger un effort mental important.
- Pour l’élève dont les difficultés touchent l’inhibition, l’enseignante ou l’enseignant pourrait revoir sa façon de présenter l’information. Si l’élève a de la difficulté à inhiber sa tendance à porter son attention vers quelque chose qu’il trouve plus intéressant dans la classe au lieu de se concentrer sur sa tâche, il serait probablement bénéfique de l’installer à un endroit où il n’est pas sujet aux distractions. L’élève qui a de la difficulté à résister à l’envie d’utiliser une stratégie moins efficace dans une matière donnée tirerait probablement profit d’exemples de stratégies plus adaptées utilisées à des endroits accessibles dans la classe. Des enseignantes et des enseignants affichent dans la classe des modèles de travail qu’ils ont produits, accompagnés d’annotations qui expliquent la réflexion ayant mené à la production du travail. D’autres utilisent des murs d’évolution [bump it up walls] qui présentent le travail des élèves à différents stades de réalisation de la même tâche. Cette méthode vise à aider les élèves à se faire une idée représentative de chaque niveau. Cela peut les inciter à reconnaître les stratégies plus ou moins efficaces qui conviennent à différentes tâches, et à résister davantage à l’envie d’utiliser les stratégies moins efficaces.
- Pour l’élève dont les difficultés touchent l’actualisation, l’enseignante ou l’enseignant peut revoir les méthodes qu’elle ou il utilise pour amener les élèves à réfléchir à ce qu’ils savent déjà sur un sujet et pour s’assurer qu’un apprentissage en profondeur a eu lieu à la suite de la présentation de nouveaux éléments d’information. Des enseignantes et des enseignants peuvent inciter les élèves à faire une liste des éléments d’information qu’ils connaissent sur un sujet particulier puis à actualiser continuellement le sujet à mesure qu’ils acquièrent de nouvelles connaissances, ce qui leur permet de comparer les anciennes informations avec les nouvelles. Ces activités peuvent prendre la forme d’une grille que les élèves remplissent avant, pendant et après l’apprentissage pour faire un retour sur le processus, ou de papier graphique affiché sur une partie du mur de la classe sur lequel tous les élèves inscrivent leurs idées et leurs connaissances sur un sujet afin de s’y référer durant le processus d’apprentissage. Pour consolider tout ce que les élèves ont appris, il est important d’offrir des activités supplémentaires de mise en pratique. En donnant aux élèves la chance de réfléchir au sujet d’étude avant, pendant et après la présentation de la matière et en leur donnant des occasions d’appliquer leurs nouvelles connaissances, on renforce la fonction d’actualisation volontaire.
Pour chaque type de trouble d’apprentissage, le degré de manifestation varie entre les élèves (Geary, 2006), de sorte que le personnel enseignant se trouve dans l’obligation de trouver les bons moyens en fonction des besoins individuels. Il peut aussi être difficile pour les élèves et le personnel enseignant de prédire quels types de tâches poseront des difficultés et plus précisément, quelles parties des tâches seront difficiles. Ceci peut inciter les élèves à présumer qu’ils sont incapables de réaliser les tâches ayant un lien avec leurs TA (par exemple, tout ce qui a trait à la lecture), ou pire, qu’ils sont incapables d’apprendre en raison de leur diagnostic de TA.
Lorsque le personnel enseignant comprend les fonctions exécutives, il peut aider les élèves à les comprendre. Pour mieux appuyer les élèves qui ont des difficultés d’apprentissage, il est important de cerner la cause du problème. Appuyer les élèves ayant des TA, c’est cerner et comprendre leurs points faibles (une ou plusieurs fonctions exécutives) et offrir les mesures d’étayage appropriées, pour pallier les difficultés qu’ils vivent à cause de leurs points faibles. Le fait de renseigner les élèves ayant des TA sur leurs points faibles et sur les soutiens mis à leur disposition les aidera à anticiper des contextes d’apprentissage futurs qui pourraient leur causer des difficultés ainsi que les bonnes stratégies qu’ils peuvent utiliser pour les atténuer, longtemps après qu’ils auront quitté les bancs d’école.
Points clés
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Bibliographie
American Psychiatric Association. (2013). Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (5e éd.). Arlington, VA : Author.
Arrington, C. N., Kulesz, P. A., Francis, D. J., Fletcher, J. M. et Barnes, M. A. (2014). « The contribution of attentional control and working memory to reading comprehension and decoding », Scientific Studies of Reading, no 18, p. 325-346. DOI : 10.1080/10888438.2014.902461
Denckla, M. B., Barquero, L. A., Lindstrom, E. R., Benedict, S. L., Wilson, L. M. et Cutting, L. E. (2013). Attention-deficit/hyperactivity disorder, executive function, and reading comprehension: Different but related. Cité dans H. L. Swanson, K. R. Harris et S. Graham (éd.), Handbook of learning disabilities (p. 155‑168). New York : Guilford Press.
Gathercole, S. E., Alloway, T. P., Willis, C. et Adams, A-. M. (2006). « Working memory in children with reading disabilities », Journal of Experimental Child Psychology, no 93, p. 265-281. DOI : 10.1016/j.jecp.2005.08.003
Geary, D. C. (2006). Learning disabilities in arithmetic: Problem-solving differences and cognitive deficits. Cité dans H. L. Swanson, K. R. Harris et S. Graham (éd.), Handbook of learning disabilities (p. 199‑212). New York : Guilford Press.
Goldstein, S., Naglieri, J. A., Princiotta, D. et Otero, T. M. (2014). Introduction: A history of executive functioning as a theoretical and clinical construct. Cité dans S. Goldstein et J. A. Naglieri (éd.), Handbook of Executive Functioning (p. 3‑12). New York : Springer.
Rosenzweig, C., Krawec, J. et Montague, M. (2011). « Metacognitive strategy use of eighth-grade students with and without learning disabilities during mathematical problem solving: A think-aloud analysis », Journal of Learning Disabilities, no 44, p. 508-520. DOI : 10.1177/0022219410378445
Toll, S. W., Van der Ven, S. S., Kroesbergen, E. H. et Van Luit, J. E. (2011). « Executive functions as predictors of math learning disabilities », Journal of Learning Disabilities, no 44, p. 521-532. DOI : 10.1177/0022219410387302.
Ressources pertinentes sur le site de TA@l’école
Cliquer ici afin d’accéder un article intitulé « Mémoire de travail et TA ».
Jeffrey MacCormack est un étudiant de troisième cycle à la Faculté d’éducation de l’Université Queen's, avec une spécialisation en cognition. Il est titulaire d’un brevet de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario et compte neuf années d’expérience en enseignement au palier élémentaire. Il a occupé le poste de chargé de cours à l’Université Queen's et a conçu et donné des cours en ligne à l’intention des professionnels de l’enseignement. Il effectue actuellement une recherche qui porte sur plusieurs sujets, dont les troubles d’apprentissage, l’autisme, le bien-être affectif et le développement des jeunes.
Ian Matheson entreprend sa deuxième année de doctorat en éducation à l’Université Queen’s avec une spécialisation en apprentissage et cognition. Au cours des deux dernières années, Ian a travaillé comme enseignant suppléant au sein du Limestone District School Board. Il est titulaire d’un brevet d’enseignement au palier élémentaire de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. Il fait partie du Centre d’éducation permanente des enseignantes et enseignants à l’Université Queen’s où il anime un cours menant à des qualifications additionnelles.
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