Par Amal Boultif, Ph. D., Joël Thibeault, Ph. D.
Les conceptions traditionnelles de la littératie axées sur les documents imprimés ne tiennent pas compte de la richesse et de la complexité des pratiques de littératie actuelles rendues possibles par les nouvelles technologies qui amplifient et simplifient l’accès aux textes multimodaux et leur création. (Kajder, 2010, p. 8)
Introduction
En 2023, le ministère de l’Éducation de l’Ontario a lancé un programme-cadre de français révisé, mettant alors en avant des principes didactiques permettant d’orienter l’enseignement de la langue de l’école de la première à la huitième année. Dans ce programme-cadre, l’intégration de la littératie médiatique numérique (LMM@) offre des occasions uniques et créatives d’engager les élèves dans leurs apprentissages du français. Par exemple, les enseignant.es peuvent désormais incorporer dans leurs pratiques des projets où les élèves créent des vidéos explicatives sur des œuvres littéraires étudiées ou des balados discutant de thèmes francophones contemporains. Ces approches ont non seulement le potentiel de motiver les élèves, mais renforcent également leur capacité à communiquer efficacement et ce au moyen de divers médias.
L’article que nous vous suggérons, faisant suite à un atelier virtuel que nous avons offert en mai 2024 dans le cadre de la série des webinaires de TA@l’école, propose un parcours d’activités intégrées reposant sur une œuvre japonaise, Mon voisin Totoro de Hayao Miyazaki (1988), laquelle existe en format animé et en album manga. C’est donc à partir de cette œuvre, ainsi que de la mise en relation de ses versions cinématographique et littéraire, que nous avons élaboré un parcours d’activités qui prend appui sur plusieurs des orientations théoriques qu’adopte le programme-cadre révisé, dont la LMM@. Ce parcours qui s’adapte au primaire et au moyen, en fonction des années de scolarité et des contenus d’apprentissage choisis, rejoint ainsi une grande variété d’attentes curriculaires et offre de nombreuses possibilités d’exploitation par la richesse des thématiques abordées dans l’œuvre, soit l’enfance, la famille, l’écologie, le folklore, le merveilleux et le monde rural, entre autres. En vous exposant les activités au cœur de ce parcours, nous souhaitons principalement vous offrir un exemple de séquence d’enseignement qui est en phase avec le programme-cadre révisé et qui, ce faisant, vous amènera à revisiter vos pratiques en y intégrant les perspectives théoriques qui sous-tendent les plus récents changements curriculaires. Les nouvelles orientations des curriculums de français de la 1e à la 8e année, mettent de l’avant les compétences en littératie médiatique et numérique, qui se trouvent détaillées sous le domaine A2 du curriculum révisé et de les intégrer aux domaines A qui vise à « l’établissement de liens » et sa « mise en application en littératie » et qui fait le lien avec les autres domaines, à savoir : le domaine B qui aborde le développement et le renforcement des « notions fondamentales de la langue » ; le domaine C qui touche la « compréhension :comprendre des textes et y réagir », et le domaine D qui concerne la « rédaction : expression d’idées et création de textes ». La notion élargie de ce que l’on désigne par le terme « texte »englobe ici, les textes multimodaux et les documents numériques, aussi bien en réception qu’en production-création.
L’arrivée de la LMN dans les programmes révisés favorise donc une approche d’apprentissage intégrée plus inclusive, surtout pour les élèves ayant des difficultés d’apprentissage. En effet, lecurriculum révisé offre des avantages significatifs aux élèves atteints de TA, en diversifiant les moyens d’accès à l’information et d’expression à travers des ressources multimodales. Cela permet de mieux répondre à leurs besoins spécifiques et contribue à créer un environnement d’apprentissage plus équitable, où chaque élève peut développer les compétences nécessaires pour réussir dans un monde de plus en plus multimodal et numérique.
Présentation de l’œuvre choisie
Mon voisin Totoro raconte l’histoire de deux jeunes sœurs, Mei et Satsuki, qui déménagent à la campagne avec leur père Tatsuo pour être plus proches de leur mère Yasuko, qui est hospitalisée. Dans ce nouvel environnement rural, elles font la connaissance de nouveaux voisins, dont le jeune Kanta et sa grand-mère. Cela étant, dans leur nouvelle maison, elles découvrent aussi des créatures magiques, les Totoros, et elles se lient d’amitié avec l’un d’eux dont la taille avoisine les deux mètres, et qui deviendra leur compagnon. Dans ce récit fantastique, Miyazaki semble s’être fortement inspiré de Lewis Carol et de son Alice au pays des merveilles, mais aussi des contes nordiques qui foisonnent de lutins et de forêts magiques. Ce texte, multimodal puisqu’il existe en version animée et sous la forme d’album jeunesse, nous offre ainsi la chance de présenter un parcours que nous avons élaboré en tenant compte de certains des principes qui sont mis de l’avant dans le programme-cadre actuel de français à l’élémentaire, à savoir les approches intégrées, plurilingue et multimodale.
Fondements théoriques du parcours
Le programme-cadre révisé de français de l’Ontario prend appui sur une variété d’assises théoriques qui permettent un enseignement pertinent du français. Ce document intègre les compétences liées à la communication orale, à la lecture et à l’écriture dans un contexte où les médias et la diversité culturelle sont omniprésents dans les classes. Il s’appuie donc sur des directives pédagogiques informées par la recherche et adaptées aux besoins des apprenants, et favorisent leur engagement actif. Il utilise les technologies pour faciliter l’accès aux ressources, la création et la collaboration en ligne. C’est pour cette raison que nous avons fait le choixdélibéré de créer un parcours d’activités qui tient compte de ces éléments.
1. L’enseignement intégré du français
Dans le programme-cadre de français, on préconise le recours à une approche dite intégrée (Soucy, 2022), qui vise une mise en relation explicite des différents contenus linguistiques relatifs au français (l’oral, l’écriture, la grammaire, etc.). Par exemple, lorsque l’élève est appelé à visionner un film ou à lire un titre littéraire, le texte au cœur de l’œuvre peut faire l’objet d’une observation par les élèves et devenir la base d’un enseignement grammatical ou lexical. L’élève est ainsi appelé à comprendre les outils linguistiques, dont fait l’usage l’auteur — les unités lexicales, les règles de grammaire, etc. — pour construire son œuvre. Le texte qui est en son cœur devient ainsi le matériau de base à partir duquel, de manière inductive, l’élève peut poser des hypothèses et, en collaboration avec ses pairs, faire émerger le fonctionnement d’une régularité linguistique. Les nouvelles connaissances de l’élève en lien avec cette régularité peuvent ainsi être mises en application par la suite dans le cadre d’activités subséquentes de production, que ce soit à l’oral ou à l’écrit.
2. Les approches plurilingues
Mon voisin Totoro, qui plus est, est une œuvre qui jouit d’une grande popularité auprès des jeunes et des moins jeunes qui s’intéressent au genre manga et aux animés. En conséquence, ses versions cinématographique et littéraire ont fait l’objet d’adaptations dans plusieurs langues. Dans cette perspective, et afin de proposer aux élèves un enseignement du français qui tient compte de la diversité linguistique et culturelle qui caractérise de plus en plus les salles de classe en Ontario francophone, le programme-cadre révisé propose le recours à des approches dites plurilingues. Ces dernières, qui visent la valorisation de l’ensemble des langues que connait l’élève, lui permettraient notamment de s’ouvrir à la diversité linguistique et de s’approcher progressivement du français de l’école (Thibeault et coll., 2022). À cet effet, dans le Guide d’initiation aux approches plurilingues, Marie-Paule Lory et Manon Valois (CFORP, 2021) suggèrent notamment de travailler autour d’œuvres populaires telles que Les trois petits cochons et Le petit prince, qui ont été adaptées dans plusieurs langues et qui peuvent ainsi se situer au cœur d’approches plurilingues. Dans notre parcours, nous nous inspirons de leur travail et proposons des activités où les élèves sont appelés à comparer, d’une part, l’affiche du film qui a été utilisée dans plusieurs pays lors de la sortie en salle de Mon voisin Totoro. D’autre part, pour enseigner le groupe du nom, nous proposons une analyse plurilingue de son titre, et ce, en français, en italien, en japonais, en anglais et en arabe.
3. La littératie médiatique multimodale
La littératie médiatique multimodale est un champ interdisciplinaire qui explore comment les individus comprennent, interprètent et produisent des messages à travers divers modes de communication, tels que le texte, l’image, la vidéo et le son (Kress et Van Leeuwen, 2001). Fondée sur les théories des multilittératies du New London Group (1996), la LMM@ va au-delà de la simple compréhension du texte écrit pour inclure la création dans des environnements médiatiques diversifiés (Boultif et Crettenand Pecorini, 2021 ; Lacelle et Boultif, 2016). Intégrer la LMM@ en éducation renforce le développement de compétences linguistiques des élèves en leur permettant de décoder et d’évaluer des messages complexes à travers différents modes de représentation (Kress et Van Leeuwen, 2001). L’approche multimodale en lecture et en écriture est particulièrement bénéfique pour les élèves ayant des troubles ou des difficultés d’apprentissage. Elle leur permet d’explorer et de comprendre le contenu à travers différents modes de communication, ce qui répond à leurs besoins diversifiés et à leurs styles d’apprentissage (Boultif et Crettenand Pecorini, 2021). Par exemple, en utilisant des médias variés comme la vidéo, les balados, les images, ou encore les cartes mentales, les élèves peuvent accéder à l’information d’une manière non linéaire, et interactive et adaptée au rythme de chacun (Boultif et Crettenand Pecorini, 2021). Cette approche stimule aussi leur créativité et leur engagement en leur offrant des moyens variés d’exprimer leurs idées. Les supports multimodaux permettent aussi de contourner certaines difficultés, comme les troubles de l’écriture ou de la lecture, en offrant des alternatives plus accessibles pour la compréhension et la production de contenu. Par exemple, un élève dyslexique pourrait mieux comprendre une leçon à travers une vidéo explicative ou par une lecture augmentée d’illustrations ou une BD plutôt que par un texte écrit seul. L’accès à certains processus complexes comme les inférences, par exemple, peut s’enseigner d’abord via les images et les illustrations des albums sans textes.
De plus, tout en favorisant l’expression authentique, l’approche multimodale encourage les élèves à s’impliquer davantage dans leur apprentissage en leur offrant de travailler avec des ressources authentiques qui sont issues d’une littératie proche de leurs centres d’intérêt et de leurs pratiques quotidiennes, ce qui renforce leur motivation, leur engagement dans les tâches et leur confiance en eux. De plus, la diversité des médias mis à leur disposition contribue également au renforcement de la mémoire à long terme et de la compréhension profonde des sujets abordés, car les élèves associent les informations à des expériences sensorielles variées (Boultif et Crettenand Pecorini, 2021). Ainsi, cette approche aide à créer un environnement d’apprentissage plus inclusif où chaque élève peut trouver le moyen d’apprendre et de communiquer qui lui convient le mieux, réduisant ainsi les obstacles liés aux difficultés d’apprentissage. Le parcours proposé soutient l’enseignement de la lecture et de l’écriture de manière progressive, cohérenteet intégrée, en utilisant des ressources numériques et médiatiques diversifiées. Par exemple, en explorant des genres comme les mangas et les animés, les élèves sont amenés à créer des récits multimodaux qui enrichissent leur compréhension de la langue tout en développant un regard critique sur les médias en ligne. Les parcours intégrés tels que le nôtre peuvent stimuler à la fois la créativité, mais aussi le développement des compétences traditionnelles et critiques des élèves, dans un environnement numérique évolutif.
Description du parcours d’activités
Inspiré des assises théoriques présentées précédemment, notre parcours intégré multimodalpropose 11 modules d’activités numérotés et six balises pour compléter les activités présentes dans les modules (figure 1). Pour le créer, nous avons recouru à ThingLink, un site finno-américain qui permet l’élaboration de plateformes numériques sur lesquelles la personne enseignante peut loger diverses activités relevant d’une même séquence d’enseignement. Ces plateformes offrent ainsi la possibilité à l’enseignant.e de choisir la modalité d’enseignement souhaitée, variant au besoin le niveau d’autonomie des élèves qui doivent s’engager dans les modules du parcours.
Figure 1 : Capture d’écran de la plateforme avec les modules et les balises
Comme on le constate à partir de l’image, les onze modules sont accessibles à gauche de l’écran alors que les 5 balises complémentaires se situent en haut à droite. Chaque module peut, par ailleurs, s’étaler sur deux séances de cours, voire trois, selon le profil des élèves. Il est à noter que les modules peuvent être réalisés dans l’ordre choisi par la personne enseignante ; les seuls modules que nous recommandons de garder dans l’ordre de la séquence sont le module introductif (1. Mise en situation) et le module final (11. Billet de sortie). Ainsi, les élèves n’ont pas à compléter toutes les activités du parcours ; la personne enseignante peut sélectionner les activités qu’elle juge les plus pertinentes pour ses élèves et les déployer en classe, en fonction de modalités diverses. Dans cette optique, chaque activité peut être réalisée en plénière, en petits groupes, individuellement ou encore dans le cadre de centres de littératie. Le parcours peut être consulté dans sa totalité à partir du code QR ci-dessous. De plus, il est adaptable au primaire et à l’intermédiaire, en fonction des années de scolarité et des contenus d’apprentissage choisis. Enfin, la démarche proposée est transposable à plusieurs genres textuels, moyennant des adaptations, des ajouts ou des allègements.
Figure 2. Code QR du parcours
Module 1 : mise en contexte
Cette première activité permet de situer l’œuvre dans son contexte d’apparition et utilise la fiche stratégique SVA (ce que je sais, ce que je veux apprendre, ce que j’ai appris, disponible dans une des balises) pour amorcer la compréhension de l’œuvre. Les élèves y acquièrent donc des connaissances sur le contexte, l’époque, le public cible et les particularités du genre à l’étude.Les activités de ce module couvrent les notions centrales du récit (temps, lieu, protagonistes), et approfondissent le contexte socioculturel du manga et de l’animé japonais. Un carrousel d’images animées s’y trouve en appui pour cette phase de mise en situation et permet d’illustrer les éléments sur lesquels va porter le questionnement. Les élèves sont invités à remplir une fiche SVA avant, pendant et après la lecture/visionnement, et peuvent faire une mise en commun à partir de leurs notes individuelles dans cette fiche. Ils peuvent ainsi discuter de leurs hypothèses de lecture sur le genre textuel, les personnages, l’époque, l’intrigue et la morale.
Ce module, de façon générale, se prête à la formulation d’hypothèses et permet aux élèves de se doter d’une intention de lecture ou de visionnement. Il précède donc impérativement la lecture de l’œuvre et le visionnement de l’animé ; les élèves, à ce moment, sont en outre encouragés à démarrer une recherche sur le Japon et à collaborer sur un collage interactif sur Padlet, partageant des informations en lien avec leurs discussions. Ce travail peut se poursuivre hors de l’école, offrant ainsi une extension enrichissante de l’apprentissage en classe.
Module 2 : lecture multimodale des affiches
Ce module invite les élèves à une lecture subjective et critique de textes et d’images en utilisant l’approche de la LMM@. Pour ce faire, ils sont appelés à établir des liens entre texte et image en comparant les affiches publicitaires qui ont été diffusées dans plusieurs pays — la France, le Japon, la Chine et l’Espagne — pour faire la promotion de l’animé au moment de sa sortie. L’objectif du module est de développer une réflexion subjective, esthétique et critique sur les images, tout en établissant des liens avec l’intention de l’auteur. Les élèves peuvent dès lors s’engager dans une lecture multimodale de ces affiches en faisant des liens entre ce qu’ils savent des publics cibles de chaque pays, des cultures leur étant afférentes, leurs connaissances du genre textuel et leurs hypothèses par rapport au déroulement de l’histoire. Cette approche est transférable au texte écrit, renforçant ainsi la compétence clé d’interprétation des œuvres, et peutdévelopper des stratégies d’interprétation et une compréhension approfondie des mécanismes de lecture et d’interprétation.
Module 3 : une approche plurilingue sur le titre de l’œuvre
Similaire au module précédent, le troisième propose plutôt une lecture multimodale d’affiches qui ont été utilisées pour promouvoir le film, mais qui ne se distinguent que par la langue du titre dans les affiches. On y trouve la même affiche dans six langues : le français, l’anglais, le japonais, l’italien, l’allemand et l’arabe. Les élèves doivent ainsi analyser les différents titres et, en s’appuyant sur ce qu’ils connaissent des différentes langues du monde, ils tentent de déterminer la langue de chaque titre. Ils pourront également, au gré du module, avancer des arguments visant à justifier leur prise de position. Si certains élèves connaissent les langues en question, ceux-ci peuvent prendre la parole et expliquer aux autres en quoi se distingue la langue concernée (p. ex., l’arabe se lit de droite à gauche, les noms en italien se terminent fréquemment par o ou a). Si, pour certaines affiches, les élèves ne connaissent pas à priori la langue dont il est question, la personne enseignante peut accueillir leurs hypothèses et leurs justifications, et leur offrir la réponse à partir d’une discussion en plénière. À l’instar du module précédent, celui-ci permet une valorisation de la diversité linguistique en classe et vise à engager les élèves dans une lecture ou un visionnement de l’œuvre qui reposent sur des approches qui font de l’hétérogénéité culturelle le fondement à partir duquel se mettent en œuvre les pratiques d’enseignement.
Module 4 : le groupe nominal à partir d’une approche plurilingue
S’inscrivant dans la lignée du module précédent, le présent module propose aux élèves d’explorer les caractéristiques du groupe nominal français en comparant le titre de l’œuvre à son analogue dans les autres présentes dans les affiches mentionnées supra. Dans ce contexte, les élèves seront appelés à relativiser le fonctionnement grammatical du français et à le mettre à distance, de manière à mieux le comprendre. Les élèves, par une analyse interlinguistique des groupes nominaux, découvriront, par exemple, que le déterminant possessif s’exprime à l’aide de deux mots en italien (Il mio vicino Totoro) et qu’en arabe, c’est plutôt en ajoutant une particule à la fin du nom qu’on peut exprimer la possession (Jari Totoro [جاري توتورو]). Ce module repose ainsi sur des activités d’induction avancées, car la connaissance des langues n’est pas nécessaire pour poser des hypothèses vis-à-vis des rouages des groupes nominaux. À contrario, il s’agit davantage de positionner les élèves dans la posture d’un.e détective qui doit mettre au jour les régularités liées à chaque langue pour ensuite les comparer à celles du français.
Module 5 : interprétation du récit à travers l’analyse des personnages
Dans ce module, l’objectif est de travailler l’interprétation de l’œuvre en se concentrant sur les personnages et leurs actions. Les élèves étudient les actants (émetteur, destinataire, opposant, etc.), et utilisent la description subjective et le portrait qu’en fait l’auteur pour analyser les personnages. Ils peuvent faire des parallèles entre le texte et l’image, croiser le texte avec les actions des personnages et, à travers divers indices, rédiger des descriptions des personnages centraux. Ils discutent des éléments qui permettent de caractériser les personnages dans le texte et l’image en s’intéressant au vocabulaire péjoratif et mélioratif, ainsi qu’aux structures grammaticales utilisées pour la description. Les élèves analysent également les actions des personnages pour dresser des portraits psychologiques des protagonistes. Une grille peut être fournie pour noter les caractéristiques des personnages à partir du texte ou de l’animé, permettant ainsi de comparer les deux. Les discussions en plénière favorisent l’exploration de différents personnages et leurs motivations. Enfin, les élèves établissent le schéma narratif à partir de l’album ou de l’animé.
Module 6 : l’assignation du genre des noms
Réalisable alors que les élèves lisent les premières pages de la version écrite de l’œuvre, cette activité de découverte porte sur l’exploration de régularités qui permettent l’assignation du genre des noms, féminin ou masculin. En nous inspirant du travail de Lyster (2016), nous avons extrait des 15 premières pages du texte des phrases et, par le soulignement, nous attirons à l’attention du lectorat certains noms. Les élèves sont ainsi appelés à classer l’ensemble des noms soulignés dans un tableau conçu en fonction des terminaisons pouvant indiquer le genre nominal en français. Par exemple, les élèves doivent mettre dans une même catégorie les noms se terminantpar « -ure » (créature, allure, verdure) et en induire que la grande majorité des noms se terminant par « -ure » en français sont de genre grammatical féminin. Ils peuvent alors commencer la création d’un référentiel de classe, un référentiel qui sera nourri au fur et à mesure que, dans l’œuvre, le lectorat rencontre d’autres noms avec la même terminaison.
Module 7 : la structure morphologique des verbes à l’imparfait
Comme pour le module précédent, celui-ci porte sur la grammaire et peut se réaliser à partir de la lecture des premières pages de l’œuvre. Au début de l’histoire, comme c’est le cas dans la plupart des œuvres littéraires, l’auteur fait usage d’une multitude de verbes à l’imparfait de l’indicatif. En effet, le principal rôle de l’imparfait est d’exprimer ce qui se passe en arrière-plan dans un récit ; dans cette optique, les premières informations que nous offre un auteur (ce qui suit le fameux Il était une fois) nous présentent la scène initiale, ce qui se trouve en arrière-plan,avant qu’un élément déclencheur, mis en avant-plan, puisse faire avancer le récit. Les premiers verbes dans le livre sont donc logiquement conjugués en majorité à l’imparfait de l’indicatif et, donc, la personne enseignante peut se servir de ces premiers passages pour faire observer la structure des verbes à l’imparfait.
Dans l’activité que nous proposons, nous soulignons les verbes à l’imparfait présents dans les premières phrases du livre et nous les insérons dans un tableau. Nous invitons ensuite les élèves à comparer les verbes à l’imparfait à leur équivalent à la quatrième personne (le nous) au présent de l’indicatif. Grâce à ce travail d’observation, les élèves se rendront compte que le radical des verbes à l’imparfait de l’indicatif est presque toujours le même que le radical des verbes à la quatrième personne au présent (p. ex., élançaient à l’imparfait de l’indicatif, élançons au présent, le radical des deux verbes étant doté d’une cédille). Quand les élèves ont compris cette régularité morphologique, il peut également être intéressant d’initier une réflexion sur l’harmonisation des modes-temps du passé dans l’œuvre, soit le passé simple et l’imparfait. Des discussions pourront alors avoir lieu sur les rôles que jouent les verbes à l’un et à l’autre de ces modes-temps (pour des activités à ce sujet, voir Quevillon Lacasse et Thibeault, 2019).
Module 8 : interprétation et réaction de l’œuvre
Dans ce module, l’objectif est de développer la compréhension et l’interprétation des textes chez les élèves à travers l’intertextualité et la transmodalisation. Les élèves sont invités à faire des liens entre le manga étudié et d’autres récits, explorant les connexions et les comparaisons possibles. Ils travaillent également sur la transmodalisation de l’œuvre en comparant le format album (texte et images fixes) avec le format film (images animées et sonores). Les élèves doivent répondre à des questions les amenant à comparer le manga dans sa version filmée à sa version album, ou à d’autres récits dont il tire son inspiration. Par exemple, ils peuvent se demander à quel autre récit ce manga les fait penser, en justifiant leurs réponses avec des éléments tirés des récits (textuel ou filmé). Ils peuvent comparer la présentation des personnages, les moments forts de l’histoire, la morale, les ressemblances et les divergences entre l’animé et l’album. Ils analysent les effets de la transmodalisation de l’œuvre sur le récit lui-même et réfléchissent aux éléments qui rapprochent ce manga d’autres histoires, comme Alice au pays des merveilles. Ainsi, les élèves développent des compétences en analyse comparative en examinant les similitudes et les différences entre les récits. Ils apprennent à identifier et à interpréter les éléments intertextuels et les références croisées entre différentes œuvres, et à partager leurs réactions face aux œuvres étudiées.
Module 9 : questionnaire de spectature
Dans ce module, les élèves travaillent sur leur interprétation de l’œuvre filmée et leur réaction par rapport à elle en remplissant un questionnaire de spectature. Cette fiche leur permet, entre autres, de comparer le film et la narration dans l’album. Ce questionnaire peut être réalisé à l’oral ou par écrit, et aborde différents aspects du récit et la réception du film. Par l’entremise du questionnaire, l’élève revient également sur son intention de visionnement et les hypothèses initialement posées à l’égard de l’histoire.
Module 10 : approche critique et production écrite ou orale
Ce module vise à développer les compétences des élèves en analyse critique et en production écrite ou orale, en les engageant dans une comparaison approfondie des formats cinématographique et littéraire de l’œuvre. À travers ce processus, les élèves analysent divers aspects tels que le public cible, les éléments visuels et les structures narratives. Ils créent ensuite une production critique, sous forme de vidéo ou de texte écrit, où ils expriment leurs préférences personnelles et justifient leurs choix de manière argumentée. Ce module met également l’accent sur l’interaction et la réflexion collective, en intégrant des activités de débat, de tableau comparatif et d’évaluation par les pairs. Ces activités encouragent les élèves à partager leurs perspectives, à affiner leur pensée critique et à améliorer leurs compétences en communication. En somme, ce module permet aux élèves de développer une compréhension plus profonde et nuancée de l’œuvre multimodale retenue, tout en renforçant leurs capacités d’expression et d’analyse critique.
Module 11 : billet de sortie
Dans ce module, les élèves remplissent une fiche bibliographique et résument le récit du manga.Son objectif est de synthétiser les informations clés et de pratiquer la rédaction d’un résumé structuré, adapté au niveau des élèves. Ces activités leur permettent de développer des compétences en synthèse et en structuration de l’information. Ils sont également invités à trouver une bande sonore qui illustrerait le thème du manga, intégrant ainsi une dimension multimodale à l’activité. Les élèves, de cette façon, apprennent à identifier et à organiser les informations bibliographiques essentielles, à résumer un récit de manière concise et structurée, et à utiliser des supports multimodaux pour enrichir leur compréhension et leur présentation du récit.
Arborescence du parcours proposé
Afin de récapituler le parcours que nous avons présenté, nous avons créé l’arborescencesuivante, qui en présente les éléments clés. Sont donc intégrés dans cette représentation arborescente les approches mises en pratique, les types d’activités, les objectifs et les ressourcesnécessaires au gré du parcours.
Entrelacement des compétences
En intégrant des contenus d’apprentissage variés et en utilisant des œuvres multimodales telles que des albums et des films animés, ce parcours propose des activités qui sollicitent notamment des stratégies de lecture pertinentes. Les élèves sont encouragés à se questionner, à faire des liens, à reformuler et à résumer. De plus, ils comparent différents récits, identifient des éléments merveilleux et remplissent des fiches SVA avant, pendant et après la lecture. Les contenus incluent l’analyse de textes et de multimédias, la découverte de notions grammaticales, la production de textes critiques et créatifs, et l’application de compétences transférables dans divers contextes culturels et linguistiques. Par ces activités, les élèves développent une compréhension approfondie des formes de discours, des conventions linguistiques, et des techniques associées aux textes numériques et médiatiques.
Pour rendre l’apprentissage interactif et engageant, les activités proposées incluent l’ajout de bandes sonores aux images, la création d’illustrations ou d’affiches, la valorisation de plusieurs langues et la réalisation de bandes-annonces vidéo. Les élèves sont également amenés à identifier la structure des récits, à compléter des schémas narratifs et actanciels, et à participer à des discussions critiques. Les supports jouent un rôle crucial dans ce parcours ; par exemple, les affiches promotionnelles et les premières de couverture d’albums en diverses langues sont utilisées pour des activités comparatives. Les banques de sons gratuites permettent en outre aux élèves de créer des productions audiovisuelles, tandis que des grilles de tri et d’identification sur la plateforme Thinglink aident à l’assignation du genre des noms et à l’analyse morphologique des verbes à l’imparfait. Les approches plurilingues sont intégrées tout au long du parcours pour aider les élèves à utiliser leurs compétences transférables et à communiquer efficacement dans des contextes variés.
Conclusion
Le parcours intégré que nous proposons vise à favoriser l’entrelacement des compétences en lecture, en écriture et en analyse critique, comme le préconise le programme-cadre révisé de français. Les activités multimodales et les approches plurilingues qui y figurent en bonne place, au côté de stratégies plus conventionnelles, offrent des perspectives diversifiées et encouragent l’innovation pédagogique. Les élèves sont engagés dans des démarches actives et collaboratives, renforçant leur capacité à interpréter et à produire des discours variés, tout en développant une appréciation approfondie des œuvres littéraires et multimédias. En somme, ce parcours d’apprentissage cohérent et enrichissant pour les élèves des cycles primaire et moyen encourage l’innovation et l’interconnexion des compétences. Les approches, les outils et les activités s’intègrent de manière harmonieuse, permettant aux élèves de développer une compréhension riche et nuancée des textes. En comprenant et en utilisant différents médias numériques de manière responsable, les élèves deviennent des citoyens numériques mieux préparés. Selon Boultif et coll. (2021), la LMM@ enseigne aux élèves à naviguer dans un monde numérique complexe tout en respectant la diversité culturelle et linguistique, renforçant ainsi leur aptitude à communiquer efficacement.
Nous espérons donc que l’exemple que nous offrons dans cet article saura inspirer les personnes enseignantes de l’Ontario qui, à la suite de la parution du programme-cadre révisé de français, doivent apprendre à intégrer les différentes compétences linguistiques, et ce, au moyen de la LMM@. Si le parcours dont il est question ici n’est pas forcément un modèle à imiter, nous espérons qu’il suscitera chez vous une certaine curiosité et qu’il vous encouragera à revisiter les pratiques que vous mettez en place en y incluant les fondements théoriques qui sont à la base de ce parcours.
Références
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Soucy, E. (2022). Vers une définition de l’approche intégrée du français. Formation et profession, 30(3), 1-14. https://doi.org/10.18162/fp.2022.724
Thibeault, J., Maynard, C. et Boisvert, M. (2022). Exploration de pratiques plurilingues et plurinormatives pour enseigner la grammaire en Ontario francophone. Éducation et francophonie, 50 (3). https://doi.org/10.7202/1091117ar
Amal Boultif est professeure adjointe à la faculté d’éducation. Ses recherches portent sur les multilittératies et plus particulièrement l’enseignement et l’apprentissage avec les littératies multimodales et numériques. Elle s’intéresse, en particulier, à l’écriture et à la lecture sur supports numériques, en lien avec les élèves en difficulté. Elle voit dans la littératie médiatique et multimodale en contexte numérique une voie nouvelle pour l’enseignement dans des contextes plurilingues et minoritaires. Ses plus récentes recherches portent sur les effets de la ludification en enseignement du français.
Joël Thibeault est professeur régulier à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa et professeur auxiliaire à la Faculté d’éducation de l’Université de Regina. Dans le cadre de sa recherche, il s'intéresse notamment à l'enseignement et à l'apprentissage de la grammaire en contexte francophone minoritaire, à l'utilisation de la littérature de jeunesse dans l'enseignement des conventions linguistiques et aux approches plurilingues en enseignement du français.
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