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Par Carole Boudreau, Anne Rodrigue, Julie Myre-Bisaillon, Véronique Parent et Annick Tremblay-Bouchard

Image d'un élève et un enseignant qui lisent.

Une lecture efficace repose, notamment, sur deux composantes importantes, soit l’automatisation des mots (précision) et la fluidité (Tressoldi, Vio et Iozzino, 2007). À cet égard, des méta-analyses (Therrien, 2004, National Reading Panel, 2000) ont relevé une relation positive entre l’amélioration de la fluidité et la compréhension. Considérant le rôle que joue la fluidité dans le développement de la compétence à lire, les programmes d’intervention visant à améliorer cette habileté auprès des élèves ayant des troubles d’apprentissage doivent intégrer les composantes suivantes :

  • des critères de performance clairs pour les élèves;
  • une progression systématique vers des tâches plus difficiles quand les élèves atteignent le niveau ciblé;
  • la mise en place de pratiques de lecture en présence d’un adulte;
  • le retour sur les erreurs et une rétroaction par l’adulte.

Selon Rasinski et al. (2005) et Mokhtari et Thompson (2006), les interventions sur la fluidité doivent considérer le développement des habiletés liées :

  1. au décodage et à la vitesse de lecture,
  2. à la compréhension lexicale,
  3. à la prosodie,
  4. à la compréhension de la phrase et aux segments syntaxiques (groupes de mots).

Dans cet article, il sera question de deux approches visant à améliorer la fluidité en lecture, qui elle-même vise à améliorer la compétence à lire chez les élèves ayant des troubles d’apprentissage. Elles sont tirées de deux études récentes (Spencer et Manis, 2010; Tressoldi, Vio et Iozzino, 2007) et partagent certaines caractéristiques. Nous présentons chacune d’elle en situant d’abord le contexte de la recherche, l’approche expérimentée ainsi que les résultats de l’étude.

1re etude: Great Leaps Reading Program (Spencer et Manis)

Contexte de la recherche

En 2010, Spencer et Manis ont étudié les effets d’un programme appelé Great Leaps Reading Program sur l’amélioration de la fluidité en lecture. Au total, 60 élèves de la sixième à la huitième année, scolarisés en classe spéciale dans deux écoles différentes, ont participé à l’étude. Les élèves ont été répartis dans deux groupes, soit un groupe expérimental et un groupe contrôle, et ce, dans chacune des écoles. Ainsi, trente élèves ont bénéficié des interventions du programme Great Leaps Reading, alors que les  autres élèves (n=30) ont été exposés à un autre programme, nommé Skills for School Success. Ce programme vise à améliorer les méthodes de travail des élèves, par la lecture de consignes et des exercices, accompagnés d’une rétroaction de la part de l’enseignant(e). Des mesures pré et post expérimentation ont été prises afin d’évaluer l’effet du programme sur l’amélioration de la fluidité. L’expérimentation s’est réalisée sur une période de six mois (octobre à avril), à raison de dix minutes par jour.

Description de l’approche

Durant ces courtes séances d’intervention (10 minutes/jour), qui se déroule avec un élève à la fois, le professionnel de l’enseignement propose des activités de lecture répétée. Trois variétés de lecture sont demandées à l’élève : la lecture de phonèmes et de mots isolés, la lecture de courtes phrases, et la lecture de textes complets. L’enseignant(e) demande à l’élève de lire une page le plus rapidement et le plus précisément possible en 1 minute. Cette page contient soit des phonèmes ou des mots isolés, des courtes phrases ou des textes complets. Pendant une séance, l’élève doit ainsi lire trois pages, soit une page par type de lecture. Lorsque l’élève réussit à lire une page en commettant moins de deux erreurs, il sait qu’il poursuivra la lecture à partir d’une nouvelle page à la prochaine rencontre. Ainsi, si l’élève lit une page contenant exclusivement des phonèmes et des mots isolés en commettant moins de deux erreurs, il se verra offrir une nouvelle page de lecture de phonèmes et de mots isolés lors de la prochaine intervention. Il en va ainsi pour les deux autres variétés de lecture (courtes phrases et textes complets).

Lorsque l’élève ne parvient pas à lire en réalisant un minimum d’erreurs (deux mots et moins), l’enseignant(e) fait une rétroaction et l’accompagne au plan métacognitif dans le processus de correction. Ce processus de correction sera basé sur le type d’erreurs commis par l’élève. Par la suite, l’élève se pratique à nouveau en utilisant les mêmes mots (ou phrases, ou textes). La routine d’intervention demeure la même d’une séance à l’autre. En fin de séance, l’enseignant(e) formule une nouvelle fois des rétroactions et fait un rappel des stratégies de correction ou en suggère de nouvelles.

Appuis relatifs à l’efficacité de l’approche

Les résultats de l’étude ont montré que les élèves du groupe expérimental ont amélioré leurs résultats aux épreuves de lecture de mots et de pseudomots, ainsi qu’aux épreuves de vitesse de lecture et de lecture de paragraphe. Les résultats montrent également que les habiletés développées par les élèves du groupe expérimental  ont été réinvesties dans d’autres types de lectures. Selon Spencer et Manis (2010), le programme Great Leaps Reading Program est intéressant parce qu’il offre trois variétés de lecture, et qu’il peut facilement être mis en place dans une école secondaire régulière auprès d’élèves qui présentent des problèmes de lecture, et ce, sans mobiliser un personnel scolaire supplémentaire.

2e étude : Intervention sous-syllabique (Tressoldi, Vio et Iozzino)

Contexte de la recherche

Tressoldi, Vio et Iozzino (2007) ont étudié les effets d’une intervention sous-syllabique sur l’amélioration de la fluidité. Selon les auteurs, un enseignement de la lecture basé sur la reconnaissance des syllabes permettrait aux élèves ayant des troubles de lecture de développer des représentations orthographiques de syllabes fréquentes, lesquelles faciliteraient l’identification rapide et automatique des mots. Ainsi, 63 élèves entre la fin de la 2e année et la fin de la 8e année ont participé à l’étude. Ces élèves, répartis en trois groupes, ont reçu une intervention hebdomadaire le premier mois, puis bimensuelle par la suite. À la maison, cinq fois par semaine, pendant 10 à 15 minutes, ils  devaient également effectuer des exercices de lecture et tenir un journal de bord afin d’identifier le type d’exercices réalisés et consigner le temps passé à les faire.

Description de l’approche

Deux versions de l’approche sous-syllabique, différant au niveau de la modalité de présentation, ont été étudiées auprès de deux groupes expérimentaux: la version Self-Paced (SP) et la version Automatic (AUT). La méthode sous-syllabique consiste à faire lire aux élèves des textes variés en utilisant des programmes informatiques (Special Reader et WinABC) visant l’identification visuelle des syllabes. Dans la version SP, c’est l’élève qui est responsable d’appuyer sur la barre d’espacement du clavier pour changer la syllabe à lire, et ce, selon les objectifs fixés par l’intervenant. Dans la version AUT, la syllabe à lire est présentée de façon automatique par l’ordinateur, et l’élève est invité à suivre le rythme imposé. Dans cette intervention, la lecture de texte est privilégiée puisque, selon d’autres recherches (Martin-Chang et Levy, 2005; Tressoldi, Vio et Lonciari, 2000), les mots sont mieux généralisés par les élèves lorsqu’ils sont présentés en contexte plutôt qu’en listes de mots isolés. Le groupe contrôle a, quant à lui, bénéficié d’interventions composées d’exercices pour améliorer la fusion phonémique, de lecture assistée de mots isolés et de textes simples, sans toutefois mettre l’emphase sur la reconnaissance des syllabes.

Appuis relatifs à l’efficacité de l’approche

Tous les élèves présentant des troubles de lecture ayant participé à l’étude ont amélioré la précision de leur lecture. Les gains au niveau de la fluidité diffèrent toutefois selon la modalité d’intervention privilégiée. Les élèves des groupes contrôle et SP ont démontré des gains similaires, gains atteints au bout de 5 mois pour le groupe contrôle et de 3 mois pour le groupe SP. Les élèves du groupe AUT ont démontré des gains supérieurs à ceux des deux autres groupes. Des mesures supplémentaires prises trois mois après la fin de l’expérimentation montrent que les résultats obtenus auprès des élèves ayant bénéficié de la méthode AUT continuent d’augmenter après la fin des interventions ciblées.

Tressoldi, Vio et Iozzino (2007) concluent qu’à l’aide d’une intervention appropriée, il est possible de continuer à améliorer la fluidité. La méthode AUT a notamment permis aux  élèves ayant des troubles de lecture ayant participé à l’étude d’améliorer leur vitesse de lecture de 25%. Selon Tressoldi et ses collaborateurs, l’identification visuelle des syllabes, leur reconnaissance rapide ainsi que la fréquence des interventions contribuent à améliorer rapidement la fluidité en lecture.

Conclusion

Les études réalisées par Spencer et Manis (2010) et par Tressoldi, Vio et Iozzino (2007) révèlent que des interventions spécifiques et intensives portant sur la lecture de phonèmes, de syllabes et de courtes phrases a des effets positifs sur la vitesse de lecture, l’identification de mots, la lecture de pseudomots et la lecture de paragraphe. Par ailleurs, peu importe le programme préconisé, la fréquence des interventions s’avère une variable pouvant influencer la progression du développement de la fluidité en lecture.

Références

Martin-Chang, S.L. et Levy, B. A. (2005). Fluency transfert : Differential gains in reading speed and accuracy following isolated word and context training. Reading and Writing, 18, 343-376.

Mokhtari, K. et Thompson, H. B. (2006). How problems of reading fluency and comprehension are related to difficulties in syntaxic awareness skills among fifth graders. Reading Research and Instruction, 46, 73-94.

National Reading Panel. (2000). Report of National Reading Panel : Teaching children to read. Bethesda, MD : National Institute of Child Health and human Development.

Rasinski, T. V., Padak, N. D., McKeon, C. A., Wilfong, L. G., Friedauer, J. A. et Heim, P. (2005). Is reading fluency a key for sucessfull high school reading? Journal of Adolescent and Adult Literacy, 48, 22-27.

Spencer, S. A., & Manis, F. R. (2010). The effects of a fluency intervention program on the fluency and comprehension outcomes of Middle‐School students with severe reading deficits. Learning Disabilities Research & Practice, 25(2), 76-86.

Therrien, W. J. (2004). Fluency and comprehension gains as a result of reppeated reading. Remedial and Special Education, 25, 252-261.

Tressoldi, P. E., Vio, C., & Iozzino, R. (2007). Efficacy of an intervention to improve fluency in children with developmental dyslexia in a regular orthography. Journal of Learning Disabilities, 40(3), 203-209.

Tressoldi, P. E., Vio C. et Lonciari, I. (2000). Treatment of specific developmental reading disorders, derived from single- and dual-route models. Journal of Learning Disabilities, 33, 278-285.

horizontal line tealJulie Myre-Bisaillon est professeure Titulaire au Département des études sur l’adaptation scolaire et sociale à la Faculté d’Éducation de l’Université de Sherbrooke.  Elle est responsable du Collectif de recherche sur la continuité des apprentissages en lecture et en écriture (CLÉ), équipe de recherche qui regroupe une vingtaine de chercheurs.  Ses intérêts de recherche portent sur l’adaptation de l’enseignement pour les élèves en difficulté, dans des approches par projet à partir de la littérature jeunesse et dans une perspective de multidisciplinarité de même que sur l’éveil à la lecture et à l’écriture dans les milieux défavorisés.  Elle a enseigné au secondaire et a fait de l’intervention orthopédagogique. 

Carole Boudreau est professeure au Département d’études sur l’adaptation scolaire et sociale de l’université de Sherbrooke. Avant d’occuper ce poste, elle a été orthopédagogue en milieu scolaire, conseillère pédagogique en déficience auditive et agente de projets à la Direction de l’adaptation scolaire au ministère de l’éducation du Québec. Ses intérêts de recherche portent sur les difficultés en lecture et en écriture, ainsi que sur les pratiques orthopédagogiques. Elle est membre du Collectif de recherche sur la continuité des apprentissages en lecture et en écriture (CLÉ).

Véronique Parent est psychologue et professeure au Département de psychologie de l’Université de Sherbrooke. Ses intérêts de recherche portent sur les troubles cognitifs liés aux troubles d'apprentissage et d'adaptation. Elle s’intéresse également à l’utilisation d’interventions novatrices dans le milieu scolaire afin de favoriser le développement du potentiel d’apprentissage des élèves en difficulté, dont l’utilisation de programmes d’entrainement cognitif.  Elle est membre du Collectif de recherche sur la continuité des apprentissages en lecture et en écriture (CLÉ).

Anne Rodrigue est étudiante au doctorat au Département des études sur l’adaptation scolaire et sociale de l’Université de Sherbrooke. Orthopédagogue de formation, elle partage son temps entre la recherche à l’université et la pratique en milieu scolaire depuis plus de 10 ans.

Annick Tremblay-Bouchard est étudiante à la maîtrise en sciences de l’éducation axée dans le domaine de l’adaptation scolaire à l’Université de Sherbrooke. Enseignante au primaire de formation, elle se spécialise auprès des élèves ayant un handicap auditif.