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Jeffrey MacCormack et Ian Matheson

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Bien que nous sachions depuis longtemps qu’il existe une relation entre la mémoire de travail et les troubles d’apprentissage (TA), nous n’arrivons pas encore à cerner précisément en quoi cette relation consiste. Grâce à la mémoire de travail, nous pouvons conserver temporairement de l’information pendant que notre cerveau est occupé à une autre tâche. Nous utilisons notre mémoire de travail pour apprendre une langue, résoudre des problèmes et exécuter d’innombrables autres tâches. La capacité de notre mémoire de travail est limitée, et si nous dispersons notre attention ou surchargeons le système mnémonique, nous pouvons perdre une partie de l’information emmagasinée. Pour les élèves qui ont une déficience de la mémoire de travail, notamment ceux qui ont des TA, perdre l’information qui était stockée dans la mémoire de travail peut constituer un immense obstacle à l’apprentissage.

Image d'un cerveau

Qu’est-ce que la mémoire de travail?

Le concept de mémoire de travail provient d’un  modèle théorique (Baddeley et Hitch, 1974) qui explique la façon dont le cerveau garde de l’information temporairement sans avoir à la placer dans la mémoire à long terme et décide quels éléments d’information seront enregistrés dans la mémoire à long terme. La capacité de garder l’information dans la mémoire de travail est extrêmement importante durant l’apprentissage de nouveaux concepts. Par exemple, même si les étapes de la division non abrégée sont enregistrées dans la mémoire à long terme, les élèves peuvent aussi avoir à retenir les instructions données par l’enseignante ou l’enseignant tout en travaillant à un problème de mathématiques.

La mémoire de travail est similaire à ce que l’on appelle la mémoire à court terme, mais elle en diffère par des aspects importants. On la définit comme la faculté de stocker de l’information tout en exécutant d’autres tâches à charge cognitive élevée (Gathercole, Alloway, Willis et Adams, 2006). Lorsque les chercheurs veulent mesurer la capacité de la mémoire de travail, ils peuvent, par exemple, demander à un élève d’évaluer la signification d’une série de phrases et de mémoriser le dernier mot de chaque phrase (p. ex., Daneman et Carpenter, 1980). Selon le modèle de Baddeley, la mémoire de travail compte quatre composantes aux fonctions distinctes. Trois d’entre elles sont des « systèmes esclaves », ou sous-systèmes, dans lesquels nous stockons automatiquement et temporairement des informations auditives et visuelles. Le quatrième système, l’administrateur central, est différent parce qu’il est stratégique et exige un effort mental.

Boucle phonologique. Vous est-il déjà arrivé d’essayer de retenir un numéro de téléphone quelques secondes pendant que vous cherchiez un stylo sur votre bureau pour le noter par écrit? Vous vous êtes probablement répété le numéro jusqu’à ce que vous l’ayez noté. Lorsque vous conservez une information auditive dans votre esprit, vous utilisez votre boucle phonologique pour retenir l’ordre des chiffres. Lorsque nous entendons des mots parlés, nous pouvons retenir le son des mots dans une partie de la mémoire de travail appelée le « magasin phonologique ». En général, nous pouvons conserver l’information sonore quelques secondes seulement. S’il nous faut retenir une donnée plus longtemps, le processus de contrôle articulatoire intervient comme une voix intérieure qui répète l’information en boucle.

Image d'un Micro

Calepin visuospatial. Nous avons la capacité de conserver non seulement des informations temporaires sous forme sonore, mais aussi des informations visuelles et spatiales grâce au calepin visuospatial (Baddeley et Hitch, 1974). De plus, ce sous-système actualise et utilise l’information stockée dans la mémoire à long terme, ce qui permet de se remémorer la disposition d’une classe et le nombre de buissons dans la cour arrière. Si on vous demande combien il y a de portes d’armoire dans votre cuisine, vous vous ferez probablement une image mentale de la pièce puis compterez les portes.

Image d'un Calepin

Tampon épisodique. Ce système mnémonique de soutien permet de stocker des informations visuospatiales et phonologiques sous forme d’épisodes.

Administrateur central. Les trois systèmes esclaves de la mémoire de travail (boucle phonologique, calepin visuospatial et tampon épisodique) sont contrôlés par l’administrateur central, qui décide quels éléments d’information sont plus importants pour la mémoire de travail. Baddeley (1986) décrit le rôle de ce système en le comparant au patron d’une entreprise. Comme un patron, l’administrateur central capte de l’information de diverses sources, détermine quelles tâches requièrent le plus d’attention et affecte des ressources au besoin.

Aider les élèves ayant une faible mémoire de travail

Deux approches ont été utilisées pour aider les élèves qui présentent une déficience de la mémoire de travail. L’efficacité de la première, qui consiste à entraîner la mémoire de travail des élèves, n’est pas confirmée par la littérature scientifique. La deuxième approche, qui consiste à créer un environnement d’apprentissage pour réduire la charge imposée à la mémoire de travail des élèves, est utilisée couramment avec les élèves ayant des TA.

Améliorer la capacité par l’entraînement. Même si certaines interventions ont produit quelques améliorations à court terme pour la mémoire de travail verbale, la mémoire de travail visuospatiale et le décodage des mots (voir la méta-analyse de Peijnenborgh, Hurks, Aldenkamp, Vles et Hendriksen, 2015), ces améliorations ne sont pas durables et ni facilement transférables à d’autres situations d’apprentissage (p. ex., Melby-Lervag et Hulme, 2013). Il existe des programmes informatiques, comme Robomemo, qui permettent aux joueurs d’entraîner leur mémoire de travail à raison de 35 minutes par jour pendant six semaines et qui semblent produire une certaine amélioration (Klingberg et coll., 2005). Autres que les gains limités par entraînement direct, on considère généralement que la mémoire de travail est un trait constant qu’on ne peut facilement améliorer par une intervention.

Réduire la charge imposée à la mémoire de travail. Pour atténuer les difficultés des élèves, on choisit plus souvent d’utiliser des stratégies pour réduire la charge imposée à la mémoire de travail. Gathercole et Alloway (2008) recommandent une méthode à plusieurs étapes que les professionnels de l’enseignement peuvent utiliser pour aider les élèves ayant une déficience de la mémoire de travail.

  1. Reconnaître le problème. Rechercher des indices que l’élève a de la difficulté à garder des idées ou des instructions en tête.
  2. Faire une évaluation de la charge cognitive. Par exemple, vérifier le nombre d’instructions que vous donnez aux élèves avant de les mettre au travail. Si vous constatez que les élèves ont beaucoup d’informations à traiter, vous pouvez réduire la complexité de la tâche et éliminer le matériel moins pertinent.
  3. Répéter et souligner les éléments d’information importants. D’autres élèves peuvent être recrutés pour aider à la mémorisation. Les tableaux muraux, les dictionnaires personnalisés et les cartes mnémoniques peuvent aider les élèves ayant une faible mémoire de travail en éliminant une partie de l’effort de mémorisation. Les référentiels (aide-mémoire, etc.), les critères d’évaluation (listes de vérification, etc.) et les murs d’évolution [bump-up walls] (affiches Où suis-je et où vais-je) réduisent la charge extrinsèque pour que les élèves aient accès aux indications sans solliciter leur mémoire à long terme.
  4. Aider l’élève à nommer ses besoins. Il peut être désorientant de perdre des instructions en cours de tâche, mais l’élève qui a une faible mémoire de travail doit arriver à trouver par lui-même les stratégies qui lui sont le plus aidantes, comme prendre des notes, demander de l’aide, rester organisé et enregistrer de l’information dans la mémoire à long terme.

Cas illustratifs

Dunstan n’excelle peut-être pas en orthographe, mais tout le monde sait qu’il est le maître de Minecraft; il adore jouer à ce jeu vidéo. Il parle continuellement de stratégies de construction et regarde même des vidéos sur YouTube qui expliquent comment jouer. Pour divertir ses amis, il invente des histoires de toutes pièces qui parlent d’aventures dans l’univers de Minecraft, de batailles contre le Dragon de l’Ender et d’apparitions d’Herobrine. Le jour où l’enseignante demanda à la classe d’écrire une histoire, personne n’a été étonné que Dunstan choisisse de faire sa composition sur son jeu vidéo préféré. L’enseignante précisa aux élèves : « N’oubliez pas d’inclure trois personnages, un moment de tension et une fin qui apporte une solution au problème ». Alors qu’il commençait sa rédaction, Dunstan constata avec surprise que le processus était vraiment difficile. Il savait ce qu’il voulait écrire, mais il avait une immense difficulté à structurer ses idées sous forme de récit. Il n’arrivait pas à se concentrer ou à garder ses idées en tête. Il pouvait voir l’histoire se dérouler dans son esprit, mais se sentait incapable de l’écrire. Chaque fois qu’il commençait à écrire une phrase, son esprit se vidait entièrement et il devait tout recommencer. Après la période de composition, il regarda sa page. Il n’avait écrit que le titre, son nom et trois phrases incomplètes.

Pour l’élève qui, comme Dunstan, a de la difficulté à garder l’information phonologique dans la mémoire de travail, l’organisation des idées en mots représente tout un défi. Lorsque la mémoire de travail devient surchargée, l’élève perd les données essentielles dont il a besoin pour réaliser la tâche. Des études montrent qu’il est très difficile de garder deux éléments d’information différents dans la boucle phonologique ou le calepin visuospatial. Dans le cas de Dunstan, il perd l’intrigue qu’il essaie de mettre sur papier chaque fois qu’il entreprend de prononcer les mots qu’il écrit. L’organisateur graphique peut aider un élève comme Dunstan en le libérant d’une partie de la réflexion, de sorte que la charge mnésique, soit la quantité d’informations à garder dans la mémoire de travail, est moins grande.

En 6e année, Catrina dut renoncer à lire des albums parce que sa mère était d’avis que les miniromans étaient plus appropriés pour son âge que les « bandes dessinées ». Catrina n’y vit pas d’inconvénient. Sa série favorite de romans illustrés était également disponible en miniromans. Elle réussit à déposer son dernier album et à commencer la lecture du numéro suivant de la série en format miniroman. Le problème, c’est que lorsque Catrina commença à lire le miniroman, elle eut vraiment beaucoup de difficulté à comprendre les paragraphes. Les longues lignes de texte noir uniforme semblaient danser sur la page, et une fois parvenue à la fin de la ligne, Catrina avait perdu le fil des idées. Elle se retrouva à relire les lignes, incapable de progresser vers le bas de la page. Elle parvint à terminer les premières pages avec grand effort, elle était épuisée et avait mal aux yeux.

Vu l’importance du son des lettres en lecture, il n’est pas surprenant qu’on considère que la boucle phonologique est étroitement liée à la capacité de lire. Les élèves qui réussissent moins bien les tâches sollicitant la boucle phonologique ont généralement de la difficulté à apprendre à lire. Les difficultés en lecture peuvent aussi être causées par une faible mémoire visuospatiale, car les élèves qui ont du mal à lire ont aussi de la difficulté à se remémorer des informations visuospatiales (Swanso, Cochran et Ewers, 1990). Pour les élèves comme Catrina, les problèmes de lecture ne sont pas causés par une compétence moindre en lecture ou par une déficience intellectuelle. Les professionnels de l’enseignement peuvent aider les élèves comme Catrina en réduisant les distractions, en guidant la lecture et en offrant des technologies d’aide.

Keone adore le vendredi après-midi. Ce jour-là, la classe reçoit le problème de mathématiques du vendredi sur une petite feuille bleue. La meilleure partie, c’est qu’une fois le problème résolu, les élèves peuvent sortir à l’extérieur en avance de la récréation. Keone prend le temps de bien lire la question sur la feuille et y répond avec le plus de soin possible. Elle est habituellement parmi les premiers élèves à résoudre le problème et à sortir de la classe. Ce vendredi cependant, il n’y avait pas de question sur la feuille bleue. À la place, l’enseignante lut la question à voix haute : « Le gérant du magasin a acheté 18 litres de nettoyant à plancher. Chaque litre du produit permet de nettoyer 40 mètres carrés de plancher. Le plancher du magasin a une superficie de 56 mètres carrés… » La question semblait ne plus finir. Keone écrivit le chiffre 40, mais n’était pas certaine s’il s’agissait de la superficie du plancher ou de la quantité de litres de nettoyant. L’enseignante relut la question, lentement cette fois, mais Keone ne réussit quand même pas à suivre. L’enseignante finit par aider Keone à terminer le problème, mais cela faisait déjà un moment que le reste de ses camarades étaient dehors.

Pour les élèves qui ont de la difficulté à conserver des suites d’information dans leur mémoire de travail, il peut être difficile d’assimiler les questions lues à voix haute. Même pour Keone qui arrive habituellement à résoudre rapidement les problèmes de mathématiques, son incapacité à organiser l’information de manière efficace dans son esprit lui fait obstacle dans sa démarche de résolution. Pour les professionnel de l’enseignement, il peut être frustrant d’aider les élèves qui ont une faible mémoire de travail parce qu’ils donnent parfois l’impression d’être distraits, de « partir dans la lune ».

On ne sait pas exactement quelle composante de la mémoire de travail est responsable des TA en mathématiques. Selon les études consultées, le problème trouverait son origine dans la boucle phonologique (Dark et Benbow, 1994) ou dans le calepin visuospatial (Siegel et Ryan, 1989). On pense aussi que la boucle phonologique et le calepin visuospatial sont tous deux touchés par une déficience de l’administrateur central (p. ex., Gathercole et Pickering, 2000).

Pour l’enseignante qui aide Keone avec le problème de mathématiques du vendredi, la solution la plus simple serait de lui fournir la question par écrit. Des études ont démontré que la reformulation de la question par une ou un camarade de classe peut aider les élèves comme Keone à traiter l’information. L’incapacité de Keone à assimiler des instructions verbales risque de s’accentuer dans sa vie d’adulte, lorsqu’elle sera au travail et aura à traiter les instructions données par son patron pour le quart de travail. D’ici là, il est à espérer qu’elle aura acquis la capacité de faire valoir ses besoins, comme demander des instructions par écrit ou avoir en tout temps un calepin pour prendre des notes.

Points clés

  • Nous utilisons la mémoire de travail pour traiter l’information avant de la stocker ou de l’oublier.
  • Une faible mémoire de travail pourrait être responsable en partie des difficultés scolaires des élèves ayant des TA.
  •  En modifiant l’environnement d’apprentissage, on peut réduire la charge imposée à la mémoire de travail.

Bibliographie

Baddeley, A. (1986). Working memory. Oxford : Oxford University Press.

Baddeley, A. et Hitch, G. (1974). Working memory. Cité dans G.H. Bower (éd.), The psychology of learning and motivation: Advances in research and theory (p. 47‑89). New York : Academic Press.

Daneman, M. et Carpenter, P. A. (1980). « Individual differences in working memory and reading », Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior, no 19, p. 450‑466.

Dark, V. J. et Benbow, C. P. (1994). « Type of stimulus mediates the relationship between working-memory performance and type of precocity », Intelligence, no 19, p. 337‑357.

Gathercole, S. E. et Baddeley, A. D. (1989). « Evaluation of the role of phonological STM in the development of vocabulary in children: A longitudinal study », Journal of Memory and Language, no 28, p. 200‑213.

Gathercole, S. et Alloway, T. (2008). Working memory and learning: A practical guide for teachers. Portland, OR : Sage.

Gathercole, S., Alloway, T., Willis, C. et Adams, A. (2006). « Working memory in children with reading disabilities », Journal of Experimental Child Psychology, no 93, p. 265-281. DOI : 10.1016/j.jecp.2005.08.003

Klingberg, T., Fernell, E., Olsesen, P.J. et coll. (2005). « Computerized training of working memory in children with ADHD – A randomized, controlled trial ». Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, no 44, p. 177‑186.

Melby-Lervag, M. et Hulme, C. (2013). « Is working memory training effective? A meta-analytic review », Developmental psychology, no 49, p. 270‑291. DOI : 10.1037/a0028228

Morguefile.com (sans date) Cerveau01 [Photographie]. Source : http://morguefile.com/creative/jkt_de

Peijnenborgh, J., Hurks, P., Aldenkamp, A., Vles, J. et Hendriksen, J. (2015). « Efficacy of working memory training in children and adolescents with learning disabilities: A review study and meta-analysis », Neuropsychological Rehabilitation, no 1, p. 1‑26. DOI : http://dx.doi.org/10.1080/09602011.2015.1026356

Siegel, L. S. et Ryan, E. B. (1989). « The development of working memory in normally achieving and subtypes of learning disabled children », Child Development, no 60, p. 973‑980.

Swanson, L., Cochran, K. et Ewers, C. (1990). « Can learning disabilities be determined from working memory performance? », Journal of Learning Disabilities, no 23, p. 59‑67.

Ressources pertinentes sur le site de TA@l’école :

Cliquer ici afin d’accéder un article intitulé « Mémoire de travail et TA ».

Cliquer ici afin d’accéder un article intitulé « Mémoire de travail et charge cognitive», par Ian Matheson et Dre Nancy L. Hutchinson.

Cliquer ici pour accéder un article intitulé «Les fonctions exécutives et les troubles d’apprentissage (TA) ».

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Photo to Jeffrey, auteur de l'article.Jeffrey MacCormack est un étudiant de troisième cycle à la Faculté d’éducation de l’Université Queen's, avec une spécialisation en cognition. Il est titulaire d’un brevet de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario et compte neuf années d’expérience en enseignement au palier élémentaire. Il a occupé le poste de chargé de cours à l’Université Queen's et a conçu et donné des cours en ligne à l’intention des professionnels de l’enseignement. Il effectue actuellement une recherche qui porte sur plusieurs sujets, dont les troubles d’apprentissage, l’autisme, le bien-être affectif et le développement des jeunes.

Photo de IanIan Matheson entreprend sa deuxième année de doctorat en éducation à l’Université Queen’s avec une spécialisation en apprentissage et cognition. Au cours des deux dernières années, Ian a travaillé comme enseignant suppléant au sein du Limestone District School Board. Il est titulaire d’un brevet d’enseignement au palier élémentaire de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. Il fait partie du Centre d’éducation permanente des enseignantes et enseignants à l’Université Queen’s où il anime un cours menant à des qualifications additionnelles.